Impasse des charognards . La trilogie Cacha - Partie 1 -
dimanche 19 février 2012
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Ici, le debut du livre
Loin des yeux,
Proche du cœur,
Marseille toujours.
Claude IZZO
Solea
Pardon et Merci à Dany
Toute ressemblance
Avec certains personnages présentés ici
Et des personnes vivantes ou ayant vécu
Ne pourraient être que le fait d’une coïncidence.
L’auteur décline toute responsabilité à cet égard
Et rappelle qu’il s’agit ici d’une œuvre de pure fiction.
« Car le jardinier n’est pas
Toujours aussi beau que ses fleurs
Ou aussi droit que ses tuteurs »
Sébastien A.
Chapitre 1 – Chat-pis-train.
Ça commence comme ça :
De la musique: Un accordéon (genre Jalousie)
Après, un mouvement de camera, on voit un gars qui écrit.
La camera passe au dessus de l'épaule et on lit sur une fiche :
Nom : Jean-François Cacha.
Age : Quarante ans.
Parcours : Renvoyé de l’école de police dès sa première semaine de cours, digne fils de son père commissaire principal pendant près de quinze ans, décoré, chef de la sécurité du palais présidentiel puis directeur des renseignements généraux,
Autre : Jean-François n’est pas, et loin s’en faut, un Poirôt ou un Holmes, non.
Jean-François était destiné à suivre les traces de son exemplaire géniteur mais, maladroit et gaffeur, il avait mortellement blessé son instructeur lors d’un exercice de tir.
Là, la voix intérieure qu'on entend jusqu'au mot fin :
La seule balle qu’il ait tirée dans sa vie avait fini dans le poumon du maitre d’armes et abattu du même coup l’individu et la carrière naissante de l’élève officiant.
Malgré tout, son père avait bidouillé avec ses copains bien placés dans les couloirs des pouvoirs ministériels et lui avait offert sa licence de détective pour ses trente trois ans.
CACHA INVESTIGATION
Avait-il fait noter sur la porte de son bureau, lequel était aménagé avec soin d’un vieux secrétaire à coulisse posé contre le mur de droite et un vrai bureau avec des tiroirs sur roulettes qui siégeait en face de la porte d’entrée. Au plafond tournait au ralenti un ventilateur des années cinquante acheté dans une brocante, et qui s’allumait en même temps que l’éclairage, assuré quant à lui par des ampoules dissimulées dans des appliques en pate de verre chinées elles aussi.
Ça aurait put être un bureau de détective s’il y avait eu des clients.
Son bureau était en fait un appartement remodelé, dans une des pièces duquel il avait installé un salon vidéo avec un canapé « Clic-clac », un grand écran plasma, et une clim pour les jours de canicule.
Il y passait ses après-midi à somnoler tout en matant tout ce que le cinéma ou la télévision offraient comme images de détectives, commissaires, inspecteurs… Avec cependant une préférence pour Derrick et Colombo qui l’aidaient à dormir.
Toute la collection des San Antonio (de Fréderic Dard - chez les éditions du fleuve noir), des SAS (de Villiers chez Plon), des Exbrayat (Librairie des champs Élysées) et des formats poche d’espionnage ou de policier, de chez plusieurs maisons, remplissaient des étagères ou l’on trouvait aussi une belle série de DVD d’anthologies James Bond et compagnie.
Coté client, c’était plutôt les livres du type les grandes enquêtes du siècle, les grands criminels, tous les Agatha Christie et Gaston Leroux, les couvertures jaunes-orangées du masque, noires et jaunes de la collection série noire (Marcel Duhamel chez Gallimard) qui étaient à l’honneur éclairés par deux lampes de bureau orientées en mini projecteur, ça rendait pas mal.
Plus un musée personnel qu’un bureau en vérité, car à l’évidence, un bureau était sensé servir à bureaucrater, mais il manquait la matière c'est-à-dire les clients : Les cocus, les volés, les chantés, les égarés, les persécutés, les mères abandonnés, les pères solitaires, les traqués, les égarer de bulletin gagnant, les enfants adultérins en quête de vérité, de géniteurs ou d’héritage fantasmés, les mères curieuses des faits de la petite bonne, les maris désireux de régler le divorce dans l’intérêt du patrimoine, les sociétés suspicieuses, les mères Michels et leurs chats égarés, les messieurs Seguin et leurs brouteuses volages, les E.T. maison ?, les chercheurs d’anneau, bref, tout ce qu’il faut pour un succès populaire, une mission bien remplie et les félicitations du public ravi.
Pour ce mois de juin finissant, Jean-François avait fait en tout et pour tout deux enquêtes qui l’avaient toutes deux envoyées au même endroit, c'est-à-dire au service des urgences.
Ces deux enquêtes (si l’on peut dire), étaient toutes deux des filatures.
La première, celle qui ouvrit l’année avec quinze point de sutures, un bras cassé, un œil poché et vingt et un jours d’immobilisation sur un matelas à eau, consistait à surveiller une fillette dont la mère (célèbre actrice et chanteuse française dont le nom sera tu ici), craignait qu’on essaye de l’enlever.
Il faut dire que la fameuse mère sortait d’un rôle dans un film ou l’on traitait justement de la séquestration d’une fillette et qu’elle avait du mal à s’en remettre. Finalement, au bout d’une semaine à surveiller l’enfant, Jean-François s’était fait prendre pour un pervers par l’association des parents d’élève de la fameuse école, dont une bonne moitié pratiquait un art martial. Ils l’avaient rué de coups parce qu’ils avaient découvert sa présence et jugeaient qu’il observait la fillette avec trop d’insistance. Cependant, une fois les explications faites, il avait été couvert de chocolats Suisses et de travaux d’écoliers offerts par ses assaillants, qui voyaient ici l’occasion de débarrasser leurs caves remplies de cendrier en boite de camembert, ou de dessous de plat en forme de cœur fabriqué avec des épingles à linge et du pain de mie.
Sa seconde enquête était, elle, consacrée à suivre un couple adultérin qui aimait se rendre dans les cinémas pornographiques et qui se plaisait à s’ébattre sur la scène. Jean-François les suivait, sans doute de trop près, et l’amant était jaloux.
Croyant que le suiveur en avait après sa femelle, l’indigent avait retourné son poing fermé dans la figure de notre camarade puis son genoux plié dans sa partie abdominale, à la suite de quoi, profitant de l’évanouissement momentané du détective, il s’était acharné à coup de pied sur celui-ci, lui laissant comme souvenir depuis, un bourdonnement dans l’oreille gauche, une côte cassée et deux dents envolées dans l’égout.
Évidement, surveiller une femme infidèle, ça n’était pas son occupation favorite, mais quand celle-ci était une des femmes les plus en vue du moment dans le domaine de la littérature dire « sérieuse », c’en était une auteure, heu… une autre.
On avait coutume d’embaucher Jean-François quant on savait l’affaire dangereuse ou compromettante.
Plusieurs fois, il avait fait montre d’une telle audace que sa personne était connue des gens de la haute ou des peoples accrochés comme :
(1) Des ballons d’hélium sur des fils de téléphone.
(2) Des peintres funambules tout en haut de l’échelle branlante de la réussite mondaine.
Le fait qu’il ne portait jamais d’armes, sa discrétion et sa capacité à garder en lui les secrets les plus brulants, étaient ses meilleures publicités.
Cependant, ombre noire au tableau, ses gaffes étaient retentissantes et en effarouchait plus d’un.
Les gens surveillaient avec attention un glissement de langue malheureux et irréversible, comme ce jour resté gravé ou le vieux pape étant en cours de pivotement afin de tourner le dos aux vivants, et qu’un prétendant à la tiare se trouvait à Paris.
Il devait être ramenée au Vatican rapidement car il était question de conclave, il était même question de succession immédiate, « l’affaire était faite » en quelque sorte.
La papauté était dans la poche, ce n’était plus qu’une question d’urne. Il fallait accompagner le prétendant le plus rapidement et discrètement possible depuis Paris à Rome.
A l’époque, le père de Jean-François était encore vivant, et il avait pour habitude de faire travailler son fils en extra, histoire de lui donner quelque chose à faire et de s’établir quelques relations avec les pontes.
Pendant tout le voyage, Jean-François n’avait put s’empêcher de raconter toute une ribambelle de blagues salaces qu’il sortait tout droit défournées des « Histoires gratinées avec le carré blanc » d’un certain Jean-Charles, (artiste illustre tombé dans l’anonymat, à qui l’on doit une vingtaine d’ouvrages désopilants, et dont la disparition à laissé la place vide d’un trou) qui ne faisaient rire personne.
Tiens je vous en donne une pour juger :
- Sais-tu ce qui vient d’arriver à la gare ?
- Non.
- Le train.
Désopilant non ?
Bref, personne ne riait.
Il insista sur des blagues encore pire (dont je vous dispenserais) pour tenter de décrisper les autres agents mais personne n’avait ri.
Un moment, un agent de l’état s’était senti obliger de rompre le sceau du secret pour que Jean-François s’arrête.
Bien sur, si personne ne me prévient, je ne suis pas Nostradamus. Un gars en civil c’est un gars en civil ! Évidement si on lui avait laissé sa robe j’aurais put voir que ce n’était pas un homme, avait il déclaré alors que le futur souverain pontife en puissance se trouvait juste derrière lui.
Une autre fois, une princesse bien connue pour sa glaciale majesté, lui avait tendu sa sérénissime main branleuse de futur monarque, et il lui avait serré négligemment les yeux rivés sur son décolleté vertigineux, alors que tous venaient de lui effectuer une révérence digne du guide de savoir vivre en société de notre charmante Nadine.
Depuis, la fameuse Nadine lui avait offert un de ses incontournables ouvrages, et il s’était senti obligé de travailler son style.
N’allez pas croire qu’il est rustre ou agreste, que c’est un barbare ou un arriéré, non, Jean-François n’est pas un lourdaud grossier, s’il est parfois irrespectueux ou provocateur, c’est parce qu’il est tête en l’air et sans façon surannées.
On pourrait dire de lui qu’il est un peu con mais gentil.
Un gentil con dans la moyenne nationale.
Son physique est à la frontière le l’ingratitude.
Jean-François n’est pas beau, ce n’est pas un canon. Son allure tient du personnage de B.D. mal dessinée et mal coloriée.
Ses cheveux rebelles bouclés sont incontrôlables et rebiquent ici et là en une sorte très spéciales d’antennes d’insecte poilu au crane poivre et sel (depuis l’âge de vingt ans), dont les mèches monochromes ne poussent pas dans la même direction.
Son mètre soixante huit sur la jambe droite et mètre soixante dix sur la jambe gauche est corrigé par une calle discrète dans sa chaussure droite.
Il arbore souvent un complet veste et pantalon à rayures blanches et noires qui lui donne une allure de code barre.
Une vendeuse d’un supermarché l’avait un jour scanné par accident avec son pistolet optique de caisse et le résultat avait été :
Vermifuge pour chats en lot de trois : 17€40.
Bien qu’instable sur ses fondements, Jean-François est pour le reste bien constitué avec des épaules « en toit de chiotte » comme on dit chez nous.
Il est gratifié par dame nature d’une musculature naturelle et bien dessinée et ne semble pas destiné aux aléas de la poignée d’amour ou de la tripe débordante.
Son visage est carré, marqué de deux petites cicatrices à l’arcade gauche. Son nez, bien que cassé plusieurs fois, a gardé sa rectitude et ne porte pas la trace des rencontres inopinées avec les poings, têtes, pieds, de ses agresseurs.
Il est issu du mélange savoureux de sa mère Russe et de son père Grec.
Sa mère, emportée il y a quelques mois maintenant par le crabe métastasique, s’appelait Nataniela Katarina Komisatromikolokov, et son père, décédé il y a de cela trois mois maintenant, s’appelait Chisirophe Cachakopoulos.
Le nom complet de Jean-François est :
Jean-François, Yvan, Zorba, Dionysos, Andrei, Nicolas, Daniel, Cachakopoulos Komisatromikolokov (sa mère ayant insisté pour accoler son nom de jeune fille en plus du nom du père sous prétexte d’un hypothétique héritage dormant à l’est).
Jean-François cumule donc quatre K dans ses seuls noms de familles ce qui aurait put faire de lui un leader de la lutte blanche outre-Atlantique. Un vrai pur sang mélangé à la façon facho rempli de hamburger et ce cola.
Un jour, enfant, il avait essayé de contracter son nom d’identité en acronyme pour voir ce que ça donnait : JFYZDANDCK, comme le bruit d’un objet qui tombe en sifflant avant de toucher le sol dans un son creux (un œuf au dur jeté d’un deltaplane ?), plus tard il découvrira que ça pourrait vouloir dire « Merci pour le gin fizz » (En Allemand).
On l’appelle Jean-François ou Jef ou Cacha, parfois les deux en même temps.
Son bureau est situé au numéro 14 de l’impasse des sinistrés à Paris, je n’ai plus le numéro de l’arrondissement en tête, mais ceci étant un découpage à intérêt administratif et structurel autant qu’historique de la société, nous en avons cure ici car nous ne sommes pas Hugo Victor, loin s’en faut. Il n’y aura donc pas ici 53 pages sur l’architecture le la rue et son histoire passée.
Par avance pardon.
Sachez tout de même et ceci dans l’intérêt des familles, que c’est un quartier gentil de bourgeois proprets soignés et tranquilles.
Nous voilà rassurés.
Jef à pour habitude matinale de se préparer longuement dans son appartement avant de quitter ce dernier à neuf heures, l’horloge du salon faisant foi, de descendre les escaliers qui le portent depuis le cinquième étage au rez-de-chaussée.
Jef utilise rarement l’ascenseur car ce dernier ne l’aime pas (ou peut être l’aime t’il passionnément ?) et a pour coutume de le retenir dans sa cage pendant de longues minutes (ses congénères aussi), parfois coincé entre deux étages.
Quant aux escaliers, il faut se méfier aussi, car le zèle du concierge, furieux polisseur de lattes, a transformé les innocents travaux d’un menuiser consciencieux en véritable patinoire qui sert des croches pieds invisibles à ses usagers afin, semble t’il, d’évaluer la fermeté des fesses des gens. (Curieux non ?)
Le concierge, un Espagnol refugié après la transition Franco-Juan, est un organe à part du biotope de l’immeuble.
Tout d’abord, sans encore l’avoir vu, on l’entend.
Paco Pérèz, puisque c’est son nom, à la voix cassé comme d’avoir trop chanté, un accent à découper des provinces, et il semble ne pas savoir régler le ton de son organe tant chaque mot parait être crié.
C’est un petit homme à lunettes carrées qui parle du coin de la bouche.
Bedonnant, équipé en série d’un double menton et d’un crane au sommet incroyablement dégarni et brillant, il porte toujours la dernière tenue exhibée par les mannequins du club Catalan de foute-balle de Barcelone lors des matches qu’il suit avec dévotion et sur sa télé.
Paco Pérèz fait régner un ordre militaire dans l’immeuble ou il impose le silence et le respect des lieux à grands renforts d’affichettes dans l’entrée, ou en suivant les passants dans le grand vestibule qui mène du seuil à l’ascenseur (ou l’escalier pour Jef), son eternel balai à franges dans la main, prenant bien soin d’effacer au fur et à mesure des pas, la moindre trace de passage dans le corridor immaculé empestant la cire d’abeille et l’eau de javel.
Paco Pérèz n’hésite jamais à venir sonner à la porte des habitants de l’immeuble s’il considère que la musique est trop forte, ou que le chien de tel (surtout de telle) résident(e) à uriné trop près de l’immeuble et lorsqu’une fois, le chien de madame Ledu, la sympathique petite vieille au cheveux violets du troisième, avait déféqué trop près de la porte d’entrée, Paco Pérèz n’avait pas hésité une seconde à poursuive la vieille dame jusqu'à sa porte, ayant pris soin de ramasser la petite chose encore fumante dans sa main (gantée de rose), et de lui déclarer suffisamment fort pour que tout le monde entende en lui tendant la chose comme une menace, que :
- Madame Ledu, votre chien vient encore de perdre quelque chose, remarquez que je suis vigilent et bien aimable de vous la ramener.
Il faut surveiller vos affaires madame Ledu ! Je ne serais pas toujours là pour vous rapporter ce que vous perdez.
C’est bien dommage d’oublier un morceau de son chien comme ça dans la rue !
Faites attention, un jour peut être qu’il n’en restera rien, petit à petit votre animal est en train de s’émietter !
Vous pourriez peut être remettre le morceau dedans pendant qu’il est encore chaud !
Et de lui coller la crotte de chien dans la main.
Bien sur, on ne peut pas lui en vouloir, ceci est presque un acte civique, les crottes de chiens nous emmerdent, c’est un fait prouvé.
Vu d’ici on pourrait se dire « Oh ! quel esprit ce Paco Pérèz ! ».
Croyez moi, pour la majorité des habitants du bâtiment de style Haussmann, Paco Pérèz est une plaie, un homme détestable, un véritable tyran domestique qui tient les habitants de l’immeuble sous son pouvoir.
C’est par ailleurs à cause de lui que Jef a pris son bureau dans l’immeuble voisin, car ses très rares clients discrets ne pouvaient accéder à l’appartement du cinquième sans subir un interrogatoire digne des brigades Franquistes.
Donc, ordre et discipline est la devise de Monsieur Pérèz sauf, car il y a un sauf, si l’équipe du Barça joue une « partie de Bâle à la tévé » (comme on dit en Suisse).
A ce moment, la construction entière résonne des commentaires (en Espagnol) de sa télévision au son poussé à l’extrême.
Bien que célibataire, Pépé, comme le surnomme les malheureuses victimes du numéro 12 de l’impasse des sinistrés, arrive à lui seul, et on ne sait par quelle magie, à animer ses matches de discutions et de disputes entre Paco et Pérèz, tout en invectivant dans sa langue pleine de vilains mots incompréhensibles, les commentateurs de la T.V.E.
Suite à enquête, il s’avère que Paco Pérèz est fan du Barça, et qu’en cas de match Barça-Real, Paco est pour le Barça, et Pérèz pour le real. Bref, tout ceci est bien mignon et terriblement exotique. Olé !
Pas de quoi se mettre en chiffon sauf que, tout ceci est supportable tant qu’il n’y a pas de but car si par malheur l’équipe des « rouge et bleu » marque, alors commence pour les résidents une torture auditive digne des pires supplices chinois.
Monsieur Pérèz ouvre la porte de sa loge et hurle dans l’escalier des « GGGOOAAALLLL ! » Qui n’en finissent pas. Il beugle le nom du joueur qui vient d’utiliser son pied pour la bonne cause, il braille son numéro de maillot, il rugit le nombre de but qu’il a marqué depuis le début de la saison ainsi que la totalité des buts marqués par l’équipe depuis le début du championnat.
Au sommet de sa joie, il tape sur la porte de l’ascenseur et fait résonner le bruit de métal de l’engin jusqu’à la pièce la plus close du huitième étage.
Les coups dans la cage de fer ne se comptent pas, et Pépé s’évertue à donner de l’harmonie à son expression de bonheur footballistique non communicatif usant le célèbre : « Bang, bang, bang, bang, bang, blangblangblangblang, bang, bang ».
En cas de victoire, le lendemain est fête nationale au 12 et monsieur Pérèz resplendit baigné d’une aura de vainqueur victorieux. Tout ou presque est permis ce jour là, et la voix singulière de Paco Pérèz résonne dans le hall ou, guettant le moindre signe de vie, si quelqu’un vient à passer, il surgit de sa loge au moindre mouvement pour commenter pour lui-même le match, tout en ne manquant pas de ponctuer ses phrases de mots sans égaux d’une vulgarité toute Espagnole.
Ces jours là, tous les habitants de l’immeuble les redoutent, et certains se cloitrent chez eux pour éviter le contact direct avec « El aficionado de la pelota ».
Mais Paco Pérèz ne s’avoue pas vaincu pour autant, il a la parade !
S’il n’a pas eut son lot de gibier suffisant, il attrape sa bouteille de Mirror et un chiffon pelucheux (qu’il brandit comme une arme) et commence tout d’abord par astiquer les plaques de l’architecte et du comptable qui se trouvent en façade. Seulement les gens de l’impasse savent bien au bruit de l’ascenseur d’hier soir que Pérès est dans son jour de communion et ce jour là, il y a plus de passants du coté impair que du coté pair.
Si Pérès n’a pas récolté son lot, alors il part à l’attaque des étages.
Il commence par astiquer les boutons nacrés de l’ascenseur ainsi que les plaques en plastique imitation cuivre qui portent chacune, gravés, les noms des occupants, puis il s’attaque aux sonnettes.
Comme par accident, il sonne donc aux portes, et les victimes de sa maladresse volontaire sont condamnés sous peine de devenir folles (car Pérès ne lâche pas le bouton comme ça) d’ouvrir et de subir les salutations rapides du concierge et ses commentaires qui n’en finissent pas.
Impossible de réprimander le tapageur nocturne sans craindre son pouvoir de représailles futures.
Signalions ici que Paco Pérèz à la dent dure et toujours un grief en réserve pour chacun.
Vigilent, il sait qui, quoi, à fait quoi, avec les affaires (généralement la femme) de qui, comment quoi, a fait ceci, avec qui, et ou, derrière le dos de lequel. A croire que dans sa loge, il tient des dossiers secrets sur chacun des vingt trois habitants du vieil immeuble bourgeois à la façade gracieuse.
Un jour, un ancien locataire avait annoncé à Paco Pérèz qu’il n’aimait pas qu’on le réveille pour rien, et qu’il détestait le foute-Baule, qu’il considérait comme, je cite: « Un sport de con pour les cons ».
Paco Pérèz n’avait pas tellement apprécié de se faire traiter de con par l’homme convalescent (l’homme se relevait d’une chute dans l’escalier la veille) à qui il venait de ruiner la grasse matinée et obligé de se lever malgré ses douleurs articulatoires par son insistance à nettoyer sur la sonnette du quidam une tache inexistante puisqu’alibi.
- « Ce pauvre monsieur Solas » Comme pense Jef à chaque fois qu’il passe sur le palier du second ou habitait l’homme il y a encore quelques semaines.
La vengeance de Paco Pérèz avait été d’une violence inouïe.
Tout d’abord il avait rebaptisé monsieur Solas, monsieur Salos, le Salos du second.
Auguste Solas souffrait de nombreux maux dus à d’héroïques actes durant toutes les guerres ou avait été engagée la France et ce, même avant l’âge de sa majorité.
Décoré de la croix machin, l’étoile de truc, le ruban bidule, la médaille de la chose… Bref, une ribambelle de décorations et de médailles qui, collées sur une porte de grange, auraient donné le tournis à Maurice Bougnon, éleveur agricole (champion de la meilleure laitière) et qui, (les medailles), fondues, constituaient un volume de métal suffisant important pour qu’on puisse ériger à monsieur Solas, une statue de survivant des barbaries teutonnes, nazies, asiatiques, magrébines, africaines…
L’odieux Paco Pérèz fut plus fort que le héro Solas.
Tout d’abord, il commença son œuvre maléfique par la rétention d’information. D’un seul coup, et du jour au lendemain, Monsieur Solas ne reçut plus son courrier. Celui-ci était lut puis jeté systématiquement à la poubelle par, selon le témoignage de Paco Pérèz, les jeunes à casquettes de la rue.
Âgé de quatre-vingt trois ans, Auguste Solas était condamné à rester dans le hall (que Paco Pérèz prenait bien soin de ventiler d’un courant d’air assassin), pour surveiller le passage du facteur, afin de s’assurer des recevoir son journal et les rares lettres qui lui étaient destinées.
Il s’était résolu à cette situation quand un après midi, un agent de l’EDF avait coupé l’électricité chez lui pour impayé.
N’ayant reçu ni facture, ni avis de coupure, le vieil homme passa deux jours sans courant et sans téléphone, dont la ligne fut coupée le même jour.
Le vieil homme dut se déplacer jusqu’au bureau de l’entreprise nationale le lundi matin, pour qu’on daigne bien lui remettre les moyens de se chauffer, nourrir, laver à l’eau chaude, puis il dut effectuer la même opération dans un bureau situé loin du quartier pour qu’on veuille bien rebrancher sa ligne de téléphone au réseau.
Paco avait rebaptisé monsieur Solas, et il ne manquait pas une occasion de lui rappeler.
Les Salos résonnaient dès le matin dans l’immeuble.
Paco Pérèz avait l’habitude de s’adresser aux gens qu’il n’aimait pas à la troisième personne.
On entendait donc déclamer ses :
- « Alors Salos on vient ramasser son courrier ?
- Il n’a pas bonne mine le Salos ce matin.
- Solas, monsieur Pérèz, je m’appelle Solas, Auguste Solas.
- Pas trop fatigué mon vieux Salos ? »
Et cætera.
Un jour, en regardant la plaque de sa porte, le vieux monsieur s’aperçu que cette dernière venait d’être changée.
De Solas Auguste, on lisait maintenant Auguste Salos. En rage, l’homme était descendu dans la loge de monsieur Pérèz, et s’adressa à ce dernier en des termes choisis dans le vocable imagé du monde animal.
Les cris des deux combattants résonnèrent dans le grand puits que forme la gage d’ascenseur grillagée, et s’élevait entre les escaliers permettant à tout chacun d’enrichir son vocabulaire s’il avait put être déficient en qualificatifs de toutes natures.
La où Auguste Solas désignait plutôt la faune, Paco Pérèz préférait la généalogie.
Les deux orateurs concourant chacun dans une catégorie différente, il n’y eut ni vainqueur ni vaincu.
Les duellistes inspirés campaient sur leurs positions et, près d’un quart d’heure plus tard, chacun ayant développé son argumentaire avec verve, les jouteurs se séparèrent zéro à zéro.
Même les ultimes tirs au but ne purent designer de lauréat.
La force des portes claquées chacune leurs tours émirent toutes les deux environs cent soixante décibels.
Quelques jours plus tard, Auguste Solas quittait discrètement la copropriété.
Personne n’a encore pris sa place, la plaque d’Auguste Salos est toujours sur la porte et Paco Pérèz a gagné.
Donc, comme je le disais plus haut, Jean-François quitte toujours son appartement à neuf heures précises pour arriver à son bureau à neuf heures et quinze minutes après avoir traversé la rue deux fois.
En effet, du numéro 12 de l’impasse des sinistrés, il se rend au bar qui se trouve juste en face.
Le bar s’appelle « Le 13 Tabac - P.M.U - LOTO ».
Les vendredis bien connus et rares, le bar se remplit de joueurs superstitieux.
Ces jours là, c’est la cohue au P.M.U., au LOTO et au comptoir ou les gens enfiévrés de symbolique, achètent les jeux de hasard par dizaine, au grand désespoir de la petite vendeuse qui regarde son café refroidir sans avoir le temps d’y toucher.
Petite, ça c’est sûr.
Du haut de son mètre cinquante sur talon, on ne la reconnait jamais quand elle sort de derrière ses nombreuses machines programmées à pomper l’argent du benêt.
Il faut dire que derrière le fameux comptoir garni de jeux à gratter, de briquets, d’opinels, de laguioles, de porte-clés, de stylos Bic, de machines à jouer et de la grosse caisse enregistreuse au son « pinkfloydesque » (Passez moi l’expression et du feu), et devant les étagères garnies de tout le matériel nécessaire pour vous assurer un cancer de la gorge, des lèvres, du palais, de la langue, de la trachée ou des poumons, ainsi que de quelques autres fantaisies pour les amateurs de cancer des sinus ou des gencives, se trouve une estrade de trente centimètres qui la propulse à près de un mètre quatre-vingt et s’il lui vient l’envie de se faire une coiffure à la « casque d’or », c’est plus d’un mètre quatre-vingt dix d’empoisonneuse vénale qui vous toise dès l’entrée.
Claude et Claude Garibaldi sont les propriétaires du « 13 ».
Les deux Claude comme les appellent certains clients ou alors « monsieur Claude » et « madame » Attention ! Interdiction absolue d’appeler madame « Madame Claude » ça ne la fait pas rire du tout !
Madame est tout en gouaille et vend à grand cris ses cartons à gratter comme on vend du poisson au port de sa ville natale.
Si par malheur on gratte son ticket devant elle et qu’il est perdant, elle vous jette un regard chargé de dégout et c’est tellement gênant, qu’on se sent obligé d’en acheter un autre et d’aller se cacher dans un coin pour perdre loin de son regard réprobateur.
Monsieur Claude est une montagne de viande mue par de puissants jarrets qu’il arbore sur sa petite terrasse installée sur le trottoir les après-midi de printemps quand il porte son short bleu et blanc.
Son ventre démesuré dépasse de sa ceinture comme une pate à pain oubliée à l’étuve.
Depuis vingt cinq ans qu’ils ont quitté Marseille, il semble travailler sa voix qui parait plus Marseillaise que dans la réalité.
(Remarquez que mis vis-à-vis de l’accent parisien, celui de Marseille semble de toute façon un peu forcé, non ?).
Monsieur Claude porte de nombreux tatouages dignes des vrais bandits du panier ou de bagnards échappés de Cayenne, Nouméa ou ailleurs. Sa réputation n’est plus à faire et il a déjà boxé quelques clients dont les jeux de mots sur les pipes, Claude et madame ne l’avait pas fait rire.
Pourtant de nombreux clients fréquentent son établissement parce qu’il sert le pastis sans boule et que, comme il en est grand consommateur, il y en a toujours deux bouteilles.
La « légale » et la « nôtre » (avec l’accent).
La « légale » descend au rythme de une par semaine et la « nôtre », approximativement quatre par jours.
Pour les habitués, la « légale » est plus chère que la « nôtre » de cinquante centimes.
Monsieur Claude ressemble à un hippopotame.
Ses bajoues tombent et son sourire dégage deux canines inferieures à la taille curieusement supérieure à la moyenne.
Il a les cheveux noirs gominés à outrance qui accumulent dans la journée les poussières du comptoir.
Ses mains sont épaisses et il ne porte pas d’alliance, ni madame d’ailleurs…
Il passe beaucoup de temps à lisser ses cheveux plaqués, et les verres des clients portent les traces de ces attentions capillaires.
Monsieur Claude vouvoie toujours madame et l’appelle « Madame ».
Les rares fois ou monsieur tutoya madame, les clients attablés ou affalés sur le comptoir durent baisser la tête pour ne pas être touché par les fléchettes empoisonnés qu’elle envoya de ses yeux vénéneux.
En regardant monsieur Claude, on le voyait se nanifier à vue d’œil, comme si les dites flèches contenaient une substance aux propriétés rapetissantes.
Madame ne supporte pas qu’on la tutoie en public et surtout si c’est monsieur Claude, elle déteste qu’il affiche par ce signe leur intimité verbale et la nudité de leurs propos au regard vicieux des oreilles des gens.
Depuis qu’ils sont installés à Paris, monsieur Claude et madame ne sont jamais retournés à Marseille.
Au « Café du Coin », le bien nommé concurrent du « 13 », les clients qui ont déserté le P.M.U. racontent à qui veut bien l’entendre que monsieur et madame Claude, la reine des pipes, meilleure tailleuse de la région P.A.C.A., juste à bonne hauteur pour la chose, celle qu’ils surnomment L.S.D. (elle suce debout) ne sont en fait pas mariés, et que Garibaldi ça n’est pas leur vrai nom.
On dit que monsieur est normand et que seule madame Claude est marseillaise.
On dit aussi (car on dit beaucoup de chose dans les cafés) que c’est madame Claude qui porte le pantalon (ça parait évident) et que c’est elle qui a mit le pognon pour le bistrot.
Certains racontent que le poignon (bien nommé), elle l’a gagné justement à la force du poignet, et que lui, il travaillait pour le souteneur de la Claude, et qu’ils s’étaient carapatés en douce tous les deux un jour avec les économies que la professionnelle avait mit à gauche quand, pendait ses passes, elle faisait des extras que son maquereau ne pouvait pas vérifier. (Ça l’aurait foutu mal s’il était rentré dans la chambre pendant les ébats pour voir s’il n’y avait pas de rab au menu)
Bref on parlait beaucoup au « Café du coin », en attendant l’expresso était meilleur au « 13 ».
En tout cas et pour finir sur le « 13 », on raconte aussi que madame Claude gratte les tickets des vieux et que s’ils sont gagnants, elle les subtilise derrière le comptoir et empoche le magot.
« On » finit souvent sa phrase par : La salope !
Jean-François aime bien aller au « 13 » parce qu’il y a toujours de l’ambiance et que tous les matins monsieur Claude l’accueille avec une formule différente (bien que répétitive).
- Alors Colombo ça va ?
- Ça va Claude et toi ?
- Eh ça va putaing.
- Tu me fais un café Claude ?
- Et un café de la bonne mère !
- Bonjour Madame.
- Hey…Bonjour com-missaire.
- Je suis détective.
- Hé…dé-tec-ti-ve, com-missaire, c’est pareil(le).
- Si vous le dites Madame, je vous offre un café ?
- Oh, petite belette, tu m’offres un kafai ?
- Si vous voulez.
- Allez vas donc pour un kafai ! Et un kafai pour madame, commandait-elle à son mari.
- Un café ! répondait-il. Et voila les cafés, ah ! Un bon café ! Bonne mère, il n'y a pas à dire, le café, c’est le café !
- Ah ça, je ne vous le fait pas dire monsieur Claude, le kafai c’est le kafai ! Je dirais même plus, un bon Kafai ça vaut tous les kafais, pas vrai monsieur le com-missaire ?
- Il est détective Madame.
- Hé… c’est pareil(le).
Jean-François aime le « 13 » parce que c’est toujours animé.
Avant de boire son café, ses oreilles ont déjà englouties douze cafés Marseillais à l’arrière goût d’anis et de bouillabaisse.
Madame prend son café et s’installe pour le boire derrière son comptoir de vente parce qu’ :
- Un comptoir vide ça nuit au commerce !
Surtout que d’où elle est située elle voit tout et madame aime savoir ce qui se passe dans l’impasse.
- Ça par exemple ! Je crois qu’on a de la visite ce matin monsieur le com-missaire.
Une voiture noire de grand gabarit venait de se garer devant le numéro 14 de l’impasse des sinistrés.
Un grand homme vêtu de noir et lunettes fumées désignait la plaque sur laquelle on voyait gravé en caractères d’imprimerie :
« CACHA INVESTIGATION - 2ème Étage ».
Un vieil homme sortait de l’arrière du véhicule et tous deux entraient dans l’immeuble.
Jean-François avala rapidement son café sans omettre de se bruler la langue et de tacher sa chemise blanche à rayure au passage puis, d’un bond, il s’élançait dans l’impasse pendant que Monsieur Claude lui hurlait :
- Je vous les note !
Il parlait des cafés.
Chapitre deux – Capitulas secundo
Jef franchit la rue en deux bonds, il entre au numéro 14 et, à peine a-t-il franchi la porte, qu’un bruit sourd retenti dans sa tête et qu’il se retrouve allongé sur le sol en marbre avec un goût de produit d’entretien et de sang dans la bouche.
Le gorille en sur-mesure qui montrait la plaque du doigt il y a moins d’une minute, avait abattu un poing d’une force colossale dans la face du sprinteur, et l’appareil destiné à remplacé les deux dents manquantes de Jef, avait fait un bond dans l’espace à faire rougir Apollo XI.
Aussitôt saisi par le col, Jef avait maintenant les pieds à trente centimètres du sol et son sang affluait dans sa tête.
Le col bien vissé autour de son cou, Jef avait du mal à respirer et ses yeux lui donnaient l’impression de gonfler.
Il essayait désespérément de respirer.
- An-ran-oi ah-ah! Articulât-il avec peine dans un effort physiologique qui aurait eut raison du physique d’un phtisique.
Ses projections articulatoires projetaient sur son agresseur des gouttes de salive mélangées à son sang qui mouchetaient la chemise du dit.
Aussitôt le vieil homme giflât le monstre de muscles qui lâcha Jean-François.
Le temps que notre copain détective arrive sur le sol et son agresseur avait reçu quatre belles taloches en aller-retour dont le son sec et enchainé résonnait dans le hall et dans la pauvre tête cramoisie du limier.
- Herchi ! Dit-il avec son sourire édenté et dégoulinant.
Ses yeux étaient bien rouges quand même.
Une petite minute pour reprendre son souffle, une autre grosse minute pour retrouver ses dents qui avaient atterri à quelques mètres de là, un petit geste rapide dans la bouche, et Jean-François était prêt à faire la connaissance du gladiateur et de son propriétaire.
Le gorille ressemblait à un gorille. Son visage était forgé par les coups de poings, de coudes, de pieds, de genoux, de boules, de couteaux, de matraques, de crosses, du sort.
Il avait un corps de gorille, grand, gros, fort.
Ses mains étaient du type 3 en 1 fortes, grosses, grandes, sa droite était adroite et il ne semblait pas gauche de l’autre.
Le plantigrade était impressionnant sauf son regard ou un très léger strabisme divergeant presque invisible, lui donnait un air un peu con.
Il portait des chaussures marron sur un costume noir ce qui est une faute de goût impardonnable.
- « Ne fait jamais confiance à quelqu’un qui fait une faute de goût vestimentaire » disait toujours maman.
L’autre homme était vieux.
Son visage de vieux creusé de rides profondes qui tombaient le faisait paraitre encore plus vieux qu’il en avait l’air.
Ses cheveux était blancs à l’extrême et même ses oreilles était ridées.
Ses mains étaient comme des gants de dentelle qui aurait agrandi au lavage. Il portait une chevalière avec une tête de mort en argent incrustée dans une pierre noire de type onyx.
Ses yeux étaient à demi visibles sous ses paupières tombantes, et il avait l’air fatigué. Pas du physique (bien que…) mais des choses, des gens, du temps.
Sa voix était posée et cassée et il avait un accent italien. D’ailleurs, quand il s’adressa à son gorille, c’était en italien. (En fait en Sarde)
Son costume était noir et sur mesure. Il portait des chaussures noires parfaitement cirées.
Le vieux devait être magicien car en une seconde, il avait transformé le gorille en macaque qui poussa des petits cris en exhibant toutes ses dents dans des courbettes dignes d’un teuffeur en fin d’after.
- Nous cherions plus à l’aiche dans mon bureau, chi vous voulez bien me chuivre chest au checond. Chi vous voulez vous pouvez prendre l’achencheur, moi che monte par l’echcalier.
Le vieil homme se dirigeait vers l’ascenseur accompagné de son primate qui avait (entre temps) retrouvé un peu d’allure.
Non pas que Jean-François ne veuille pas monter avec eux, ou qu’il n’y a pas de place pour trois, non. Simplement, il sait que les ascenseurs ne l’aiment pas, et c’est peut être grâce à ces exercices quotidiens dans les escaliers de tous les endroits ou il se rend qu’il doit sa forme physique.
Chaque fois que Jef doit prendre un ascenseur, car il n’y a parfois pas d’autre choix, il se munit toujours de provisions à boire et à manger.
- « on est jamais trop prudent » référence à sa mère.
Jean-François monte deux à deux les escaliers et entre dans son bureau.
Dans la salle de bain de celui-ci, il se rince la bouche, enlève les poils de chien collés sur son appareil dentaire, tente vainement d’organiser ses cheveux mis en bataille par le gorille, se rince le visage, retourne dans son bureau, attrape des glaçons qu’il a dans son minibar freezer à usage de ses hypothétiques clients, et se fait une poche pour éviter l’hématome, tout ceci bien évidement en un temps record.
Lorsque les deux hommes se présentent à sa porte, il est presque présentable.
- Je préférerai que votre…votre….heu, reste à la porte monsieur.
Le gorille émet un grognement suivi d’un petit couinement de souris en réponse au regard du vieux monsieur plissé.
- Merci, dit-il à l’intention du dresseur, avant de refermer la porte au nez du gorille tout en regardant à travers l’homme de main comme s’il n’était pas là.
Le vieil homme s’assoit et met sa main dans sa veste. Il en ressort deux billets de cinq cent euros qu’il pose sur le bureau.
Jean-François le regarde avec un air qui vaut toutes les questions.
- Pour le dérangement monsieur Cacha.
(L’homme roule les R, je vous épargne ici la retranscription phonétique)
Jef ne prend pas l’argent mais ne le refuse pas.
- Quelle est l’affaire qui vous amène monsieur… monsieur ?
- Aucune importance, je ne suis pas venu chercher un extrait d’état civil, je vous apporte une affaire c’est bien assez.
- Pardonnez-moi mais je n’ai pas pour habitude de travailler pour qui me boxe sans même me saluer et s’adresser à moi sans se présenter.
- Bien, excusez mon intrusion monsieur Cacha.
L’homme se lève et tend la main à Jean-François.
- Bonjour monsieur Cacha, je m’appelle Luciano Centomille et j’ai besoin de vos services je vous prie.
- Mais bien sur monsieur Centomille, asseyez vous je vous en prie, que me vaut l’honneur ?
- Voila, j’ai perdu un document, ou plutôt on me l’a volé, et je voudrai le récupérer le plus discrètement possible.
- Quel type de document ?
- Une carte portant des chiffres et des symboles.
- Vous n’en avez pas de copies ?
- Bien sur que non, sinon je ne la chercherais pas.
- Oui c’est juste, et où avec vous perdu, selon vos dires…
- Volé !
- Oui, où vous a-t-on volé cette carte ?
- Dans un avion.
- Un avion ?
- Oui, un jet si vous préférez.
- Un jet, c’est intéressant, et à qui appartient ce jet ?
- A l’état français je crois, un responsable de l’état.
- A bon ? et qui en particulier ?
- C’est l’avion du président.
- Ouah la ! Il me faut des détails, voulez vous boire quelque chose monsieur Centomille ?
- Non, j’ai déjà bu dans la voiture.
- Très bien, racontez-moi tout.
- Est-ce que l’affaire vous intéresse ?
- A première vue oui, mais il me faut des détails.
- Bien, merci, je vous recontacterai.
Sans que Jef ai le temps de dire quoi que ce soit d’autre, l’homme quitte la pièce, et les deux visiteurs entrent dans l’ascenseur.
En un éclair (en fait, trois pas), Jef se dirige à sa fenêtre (pas besoin d’éclair pour aller du bureau à la fenêtre) et voit les deux hommes sortir de l’immeuble, monter dans la grande voiture, démarrer, et quitter la rue.
Au même instant, une autre voiture parquée un peu plus haut démarre à son tour, et s’engage à la suite du carrosse aux vitres fumées.
Avant de partir, elle à laissé un passager sur le trottoir.
Depuis sa fenêtre, Jean-François reconnait le tas qui s’est extirpé du second véhicule.
C’est un énorme bonhomme qui vu d’en haut, ressemble à un tic gorgé de sang.
Jef range consciencieusement les deux billets de cinq cent euros dans la poche de son veston et attend son second visiteur du jour bien callé dans son fauteuil de détective qu’il a trouvé dans un vide grenier en province.
L’oreille à l’aguet (l’autre est encore bourdonnante pour son dam*), il perçoit par sa porte restée ouverte, souffler le gros bonhomme qui vient de pénétrer dans l’immeuble.
*Notre Dame de Laguet |
Il reconnait le son spécifique de la porte de l’ascenseur, et les craquements et miaulements plaintifs de la cage qui peine à soulever la masse du bibendum.
Finalement, dans un ultime effort, la machine crache l’amas de calcium et de gélatine sur le palier, et une éclipse à lieu en direct devant les yeux du détective.
L’espace de la porte est entièrement bouchée par la carcasse du visiteur transpirant et soufflant de l’effort fourni par les vingt mètres qu’il vient de parcourir à pied et par son voyage en ascenseur.
Un gros corps, sans autre forme qu’un rond surmonté d’une tête sans cou en forme de goutte, le sommet du crane anormalement pointu et chauve.
Ses cheveux sont roux, et se situent uniquement dans la zone située au dessus de ses oreilles.
Ils pointent en l’air.
Le tout est porté par deux petites jambes invisibles, disparues sous la masse gluante, retenue par une chemise de trappeur canadien.
Un mètre soixante cinq et cent quatre vingt dix kilos de corruption et de bakchichs.
- Commissaire c’est toujours une surprise de vous parcourir.
- Jean-François, Yvan, Zorba, Dionysos, Andrei, Nicolas, Daniel Cachakopoulos-Komisatromikolokov.
- Daniel, Marie Douyoumdjian quel miasme vous amène ?
- Nous avons un problème jeune homme.
La voix du commissaire est toujours essoufflée et semble sortir d’une partie sous terraine de l’individu située au tréfonds de sa carcasse.
Moins qu’une voix, cela paraissait plus une flatulence, heureusement sans autre odeur que rillettes ou blanc d’alsace.
A première vue, il y a un souci.
En moins de deux minutes, le commissaire l’a appelé jeune homme et il a sorti l’intégralité de son état civil en un souffle, ce dont peut sont capables, et qui est signe d’ennuis à bâbord.
Le visage du gros chef de la police gouttait et, tel le Pavarotti de l’intérieur, il l’épongeait avec sa petite serviette à main qu’il traine toujours avec lui comme un enfant promène son doudou.
Son gros nez rougissait et l’unique poil qui s’y trouvait baignait dans ses effluves saumâtres.
Jean-François connait le commissaire depuis toujours, c’était un des meilleurs ami de son père, et le dernier des prénoms de Jef lui est dédicacé, c’est dire.
Il s’en fallut même d’un poil pour que Douyoumdjian soit le parrain de Jef.
Quand il était enfant, Jef était super impressionné par ce gros bonhomme car, les rares fois ou ce dernier leur rendait visite à l’appartement familial, on lui mettait toujours deux chaises pour qu’il s’assoit, et une fois assit, il débordait encore des deux malheureux supports qui geignaient au moindre des mouvements de leur tortionnaire.
- Prenez donc des chaises et affalez-vous !
- Un peu de respect jeune homme.
- Seriez-vous venu me donner une leçon ?
- C’est trop tard pour te redresser, tu as poussé de travers c’est dommage, ton père disait touj…
- Ne parlez par de mon père !
Le père de Jean-François avait été abattu lors d’une mission des renseignements généraux ou normalement il ne devait pas y être.
Douyoumdjian non plus par ailleurs.
Le commissaire avait pris une balle dans l’épaule ce qui l’avait rendu hémiplégique à quarante cinq pour cent de la partie droite de son visage, Chisirophe Cachakopoulos avait été blessé mortellement d’une balle dans la région du cœur et d’une autre dans l’oreille droite.
Depuis, Jean-François gardait une grande amertume envers le commissaire qui avait monté cette affaire de démentiellement de trafic de faux billets.
A quinze jours du départ en retraite de Chisirophe Cachakopoulos, il aurait put éviter de le mettre dans cette histoire.
Le commissaire savait bien que Jef lui en tenait rigueur et il faisait en sorte de subir les attaques de ce dernier sans trop broncher.
Son visage se crispa puis se détendit en un essai de sourire paternel. Seule la partie gauche de son visage souriait, la partie droite restait incroyablement immobile et sans expression ce qui lui donnait l’air d’un pur faux cul.
- Sais-tu mon petit qui vient de sortir de ton bureau ?
- Quelqu’un est sorti de mon bureau ?
- Ne me prend pas pour un con ! Répondit le commissaire en tentant de donner un coup de poing sur le bureau de Jef.
Son bras trop court l’en empêcha, et sa main retomba inerte sur un de ses jambons. Il empoigna son doudou et s’épongeât longuement de l’effort qu’il venait de fournir en vain.
- Alberto Cornelli, ça ne te dit rien ?
- Pas le moins d’immonde, commissaire.
- Tu m’énerves Jef.
- Nous sommes sur la bonne voie.
- Écoute bien, Alberto Cornelli dit « L’équarisseur ». Drogue, prostitution, diamant, immobilier, premier lieutenant de Camillo Cornelli, son frère, dit « Le dandy », politique, show business, luxe, jeux, faux. A tous les deux ils tirent les ficelles de toutes les magouilles et combines qui gangrènent la planète depuis les années soixante dix. Tout le monde doit quelque chose ou quelqu’un aux Cornelli. Eux, ce sont les marionnettistes et tous les autres, ce sont les marionnettes, impossibles à toucher, clairs comme de l’eau de roche, blancs comme l’agneau qui vient de naitre.
Le commissaire était amateur de métaphores.
- Des amis à vous sans doute ?
- Ne te fous pas de ma gueule Cacha !
On ne peut être plus sérieux que moi en ce moment Douyoum’.
L’œil du commissaire se plissait pour fouiller dans Jef. Il n’y trouva rien.
- Que voulait-il de toi ? Pourquoi est il venu te voir ?
- Je ne suis pas le seul habitant de l’immeuble.
- Je t’ai posé une question Jean-François.
- J’espère que vous n’attendez pas de moi une réponse Daniel-Marie ?
- On se reverra petit con !
Le commissaire s’extirpa de ses sièges, s’épongeât longuement avant de toiser Jef de son œil porcin, puis il sorti du bureau comme il y était entré : de profil
A nouveau l’ascenseur hurlait sa complainte pour ne pas s’écraser. A l’entendre, on aurait parié qu’il forçait plus pour descendre que pour monter ce qui laissait Jean-François méditatif.
L’ascenseur se posait sans dégât au rez-de-chaussée et les câbles craquèrent longuement.
Les poulies se soulageaient dans des sons émouvants ce qui confirmait Jean-François dans ses soupçons que les ascenseurs sont des êtres vivants comme les autres qui subissent dans leurs tendons et articulations les caprices des passagers rendus maitre un instant de leurs destins. Puisqu’il en était ainsi, Jef s’autorisait à penser qu’il n’était pas inenvisageable d’imaginer qu’ils soient aussi doués de pensée, et pourquoi pas de décision, voir de rétention avec préméditation.
Depuis sa fenêtre, Jean-François regardait le gros Libanais qui basculait de gauche à droite pour avancer. Vu d’en haut on aurait cru un culbuto mou.
Une Renault 21 Nevada arriva à sa hauteur, et le commissaire s’y engouffra avec peine.
La voiture quitta l’impasse.
A sa suite, une grosse voiture de luxe célèbre par son ange qui montre ses fesses au chauffeur, se gara juste sous la fenêtre ou était accoudé Jef.
Une portière s’ouvrit à l’arrière.
Il vit d’abord une jambe, puis une autre, elles étaient grandes, fines, blanches et couvertes de bas.
Il vit ensuite une paire de seins issus sans doute d’un génie du scalpel.
Les jambes et les seins étaient couronnés d’une touffe de cheveux dorés et bien coiffés.
Les petites mains rangeaient les protubérances mammaires dans leur présentoir avec soin.
D’où il était, Jean-François avait une vue imprenable sur l’exercice du chignon qui dégageait son bustier pour mettre en avant les miracles de la chirurgie plastique.
Vu d’en haut, on aurait cru des fesses dépassant d’un pantalon trop court (mais sans la ficelle).
La pin-up s’extirpait du véhicule pendant qu’une main d’homme l’encourageait d’une petite tape sur son cul de poule puis, Ça entra dans l’immeuble.
Ça ne prit pas l’ascenseur.
Ça monta par les escaliers et le tapotis des talons sur les marches en bois était rythmé et marquait les secondes avec précision.
Jean-François était sûr que Ça venait le voir.
Deux minutes plus tard, Ça c’était encadré dans la porte avec ses gros seins, sa taille fine et ses fesses bien serrées et affermies par les tapes amicales de son financeur.
Équipée de deux jambes aux mollets impeccables et aux cuisses supposées écartables, Ça portait sur son visage un faux air de chatte en chaleur.
Ça parlait avec une voix douce.
Ça semblait plus miauler que parler.
Ça avait des yeux, un nez et une bouche trop bien dessinés pour être l’œuvre de dame nature, mais c’était quand même joli à voir.
Pendant que Ça, envoutait Jean-François de ses chants de sirène trop mielleuse pour être honnête, lui se laissait bercer par les mots au goût vanille-fraise de la créature tout en cherchant les cicatrices que le professeur Frankenstein avait dut laisser en réalisant son œuvre.
Ça parlait d’un document, d’un code, de sa maladresse, de son mari riche industriel qui ne savait pas qu’elle l’avait égaré (la carte), Ça parlait de son désespoir et que Ça, donnerait tout pour le retrouver, tout vous comprenez…
Jean-François, les yeux perdus dans les deux saladiers de Ça, entendait une voix dans un écho lointain pendant qu’il s’imaginait la tête entre ses deux seins qui avaient été fabriqués pour ça.
Ça sentait bon, et s’était installé, sur un des fauteuils du bureau et Ça remuait de l’arrière train comme si Ça avait des vers.
Ça remontait régulièrement sa main depuis un de ses globes pectoraux jusqu’à derrière son oreille, Ça avait dut vouloir être actrice, mais Ça avait loupé sa carrière. Trop artificielle.
- Je ferais tout pour retrouver ce document, vous comprenez ? Tout.
Ça croisait et décroisait les jambes comme si Ça ne savait pas quoi en faire.
Jean-François n’est pas amateur de jouets sexuels (en anglais « sais que ce tôt oye ») car le contact du plastique l’irrite, mais Ça avait tellement l’air d’avoir été envoyé chez lui pour ça, livrée à la porte toute prête à être consommée, qu’il fut curieux de savoir jusqu’ou le chirurgien avait travaillé.
- Est-ce que c’est prévu dans votre contrat pour un complet ou vous êtes juste venue pour m’allumer ?
Le visage de Ça s’alluma d’un air surpris.
- Hein ? Ça dit avec bêtise.
Décidément, pensa Jef, les actrices sont meilleures quand elles ont un texte.
- Est-ce que le gars qui surveillait que votre arrière train était bien à sa place tout a l’heure quand vous êtes sortie de la voiture, vous a préparé aussi pour un peu de sexe, ou juste pour que vous vous trémoussiez au plaisir unique de mon fauteuil ?
Le visage de la bonde se décomposa.
Elle était plus jolie sans chichi, plus nature. Son air "Je suis un peu bêtasse euuuh" lui donnait un charme indéniable.
- Hein ? répondit Ça, à nouveau.
- Vous parlez Français ?
- Hein ?
« Attention, nous avons affaire à un spécimen du genre » se dit Jef. Le chirurgien qui a collé les morceaux n’a pas travaillé sur le cerveau.
Ça commençait à être prise de spasmes qui secouaient ses gros seins du haut vers le bas comme une danseuse orientale.
Ça avait beugé.
Les yeux de Ça commençaient à rougir, et Ça cherchait un moyen de s’enfuir.
Malheureusement Ça n’avait pas été programmée pour établir une stratégie de repli.
Une petite perle naquit dans un coin de son œil et entamait son chemin dans l’intention d’aller s’écraser sur un sein.
Ça avait maintenant un trait noir qui lui barrait la joue. Jef lui tendit un mouchoir.
- Tenez, essayez ça vous faites pitié
Ça, restait figée, l’air bête.
Jean-François la saisit par le menton avec douceur et essuya la trainée de rimmel (qui n’était pas « flotte-maquisard ») avec attention comme on nettoie une tache.
Sur un objet fragile, … Oh pardon, je reprends.
Alors gnagna …oui, ah ! Voilà :
Jean-François la saisit par le menton avec douceur et essuya la trainée de rimmel avec attention comme on nettoie une tache sur un objet fragile.
- Vous êtes gentil.
- Comment vous appelez vous ?
- Melissa.
- Et bien Melissa, il va falloir me raconter quelques petites choses en sortant de votre texte, c’est possible ?
- Hein ?
- Ne recommencez pas douce enfant ! D’abord qui est votre patron ?
- Je n’ai pas de patron. Comme je vous disais, j’ai perdu un document que mon…
- Ça suffit ! qui est l’homme dans la voiture ?
- Mon mari.
- Votre mari qui ne sait pas que vous avez perdu son document, et qui vous emmène à la porte d’un détective privé en vous tapotant les fesses amicalement ?
- Hein ?
- Vous le faites exprès !
- Hein ?
- Vous le faites exprès ?
- Quoi ?
- les « hein ? » c’est volontaire ?
- Non.
- Qui est l’homme dans la voiture ?
- Mon mari.
- Attention jeune fille !
Jef se dirigeât vers la porte en tirant une clé de sa poche.
- Qu’est ce que vous faites ?
- Je vous enferme !
Jean-François ferma la porte, et tourna deux fois la clé dans la serrure, puis il remit la clé dans sa poche.
- Maintenant répondez moi jeune demoiselle, et répondez moi bien, car il se pourrait que vous ne sortiez pas de ce bureau avec toutes les prothèses que vous aviez en entrant.
Qu’est ce que vous voulez savoir ? dit-elle en sanglotant.
La vue des seins en silicone de Melissa troublait Jef au plus haut point. Plus elle sanglotait et plus ils ondoyaient dans le bustier débordant. Ce spectacle était des plus agréable et furieusement excitant.
- Qui est l’homme dans la voiture ?
- Je ne sais pas.
- Enfin ! On progresse, ce n’est donc pas votre mari.
- Je ne suis pas mariée.
- Comment l’avez-vous rencontré ?
- Je travaille dans un club, le « Papagayo », il est venu me trouver hier soir en me disant qu’il avait un boulot pour moi en extra.
- Bien payé ?
- Cinq mille euros.
- Et ça consiste en quoi ce boulot ?
- Vous inciter à travailler pour moi.
- Vous êtes une professionnelle ?
- Non je suis une artiste, une danseuse, et je voudrai être actrice, dit elle la voix pleine d’espoir.
- Je n’en doute pas, mais si je peux vous donner un conseil Melissa, vous devriez apprendre à improviser.
- Ça ne devait pas se passer comme ça.
- D’où l’intérêt d’apprendre à improviser, vous savez Melissa, la tête, ça ne sert pas qu’à se coiffer.
- Hein ?
- Rien.
Jef la regardait l’air accablé. « Quel dommage qu’elle soit si conne » se dit-il. Pourtant les yeux de la demoiselle brillaient d’une intelligence mystérieuse. Finalement, il décida de mettre l’éclat de ses yeux sur le compte de la cocaïne ou d’un truc comme ça, un stimulant pour actrice en herbe engagée dans un rôle de haut vol.
- Bien, reprenons notre affaire, quel travail avez-vous, ou plutôt, votre patron, a-t-il a me proposer ?
- Retrouver un document qui a été perdu dans un avion au nom de boisson à la menthe.
- Un jet ?
- Oui un Get ! Vous connaissez ?
- 27 – 31.
- Hein ?
- Vous le faites exprès ?
- Quoi ?
- Les « hein ?» c’est volontaire !
- Non ça sort tout seul, je viens du nord, de Valencienne.
- Ah voila, donc nous parlions d’un document perdu dans un Jet.
- Oui ! Get 27, Get 31 ! J’ai compris !
- Bravo. Ensuite ?
- Ben, c’est tout, il n’y en a que deux je crois, non ?
- Non, ensuite l’avion ! « Dur-dur» pensait Jef.
- Ensuite, je dois vous dire que ce document n’a pas de prix, et que le votre sera le mien.
- Quinze mille euros.
- Quoi ?
- Mon prix c’est quinze mille euros, les frais en sus, quelque soit le temps de la mission, je m’autorise à abandonner au bout de trois mois sans résultat, ceci n’implique pas de clause de remboursement, vous voulez que je vous le note ?
- Non ça va je m’en rappellerai.
- Bien, à réception de cinquante pour cet d’arrhes, je commence l’enquête.
Jef pris un document sur son bureau.
- Tenez, ceci c’est le contrat, vous pouvez l’emporter avec vous et me le retournez habillé de votre signature avec l’acompte. Ça ira ?
- Ça ira. Mais dites donc ?
- Oui ?
- Quinze mille euros, c’est beaucoup d’argent.
- Et cinq mille, c’est peut être pas beaucoup d’argent peut être ?
- Si, mais il y a un risque.
- Ah bon, lequel ?
- J’aurais put user de mon corps pour vous obliger à travailler pour moi, vous savez, les sentiments quoi… c’est pour ça qu’on me paye cher, je ne suis pas une …
- Il n’est peut être pas trop tard, la coupa il, tout en laissant glisser une main curieuse depuis son genoux vers le haut de sa cuisse.
- C’est vrai, il n’est pas trop tard, lui répondit elle le regard brillant en dandinant du genou.
- Si vous voulez bien me suivre.
Il la saisit par le bras avec délicatesse, et l’entraina dans son salon, la projeta sur le clic-clac et vérifia en tous points la présence de cicatrices sur le corps de la demoiselle.
Les seules qu’il découvrit étaient correctement lovées.
Durant leurs ébats, elle poussa même un :
- Oh Jef ! digne des meilleurs James Bond.
Chapitre trois – siort ertipahC
A midi, Jean-François déjeune toujours au « Café du coin » parce que le menu n’est pas cher, et que la patronne au fourneau est un vrai cordon bleu qui refait pour ses clients les menus qu’elle regarde tous les matins à la télé.
Aujourd’hui sur le tableau :
Menu unique à 12 euros.
Tarte aux petits légumes,
Filet de Morue poché à la grecque
Pommes de terre paillasson,
Bombe glacée fourrée.
¼ de vin par personne
Ou une boisson sans alcool)
Le café est compris, mais Jef ne le bois jamais car il le trouve meilleur au « 13 ».
Serge et Antoinette Leval sont les propriétaires gérants de l’entreprise.
Ce sont des braves gens sans histoires qui habitent au dessus de leur café comme les patrons du « 13 » mais c’est leur seul point commun.
Serge porte la moustache élégante sur un visage de notaire.
Il est toujours vêtu d’une chemise blanche, d’un pantalon noir et d’un tablier de caviste de couleur bordeaux.
Il a un physique bonhomme et un sourire sincère collé aux lèvres du matin au soir.
Il travail en charentaise parce que ses pieds gonflent dans la journée à cause de la goutte de son père.
Il s’autorise deux cigarettes par jour, le soir uniquement, et un quart de vin à midi.
Serge est un véritable artiste du service qui déambule dans sa salle, en terrasse, ou derrière son comptoir avec des gestes fluides sûrs et précis.
Il est d’une rapidité, d’une efficacité et d’une dextérité déconcertante. C’est un véritable plaisir que de le regarder travailler, on dirait qu’il danse. Il semble mener une espèce de quête du zen, une recherche absolue de la perfection dans les actes de débarrassage, nettoyage des tables ou le service du demi parfait (un centimètre de mousse dense). Une quête qui le conduira peut être au graal par la voie de la pinte. Serge est originaire de Loches.
Antoinette est une brave femme de Côte-d’Or qui a épousé la cuisine de Claude et qui n’en sort quasiment jamais.
Elle a une tête bien ronde avec des yeux noisette un peu gros. Elle est toujours coiffée avec les cheveux courts mèches en avant.
Grassouillette, elle est la garantie vivante de la bonne qualité de sa cuisine.
Serge et Antoinette symbolisent à eux deux la constance.
Depuis une quinzaine d’années qu’ils tiennent le « Coin », lui n’a pas varié sa moustache ou elle sa coupe de cheveux.
L’uniforme de Serge est toujours le même bien qu’il en change, et Antoinette est constamment habillée en cuisinière immaculée.
Si par malheur un objet (cendrier, verre, chaise, porte parapluie, parasol, soucoupe à cacahouète… etc.…) vient à casser, c’est toujours exactement le même objet qui vient le remplacer.
Au « coin », c’est chacun dans son coin.
Antoinette en cuisine, et Serge en salle, ainsi, chacun à sa place comme les deux poids identiques posés chacun sur un plateau de la balance, ils conservent l’équilibre parfait.
Sur les étagères derrière le comptoir, il y a toujours exactement le même nombre de verres, rangés exactement à la même place et dans le même ordre avec les publicités parfaitement exposées vers l’extérieur, et les anses des tasses posées au dessus de la machine à café sont toutes tournées vers la droite. Serge essuie consciencieusement les sous-tasses, les petites cuillères et les touilleurs.
Sur les étagères, les bouteilles d’alcools sont organisées par ordre alphabétique des marques, et les sirops par ordre alphabétique des gouts.
Le Café du coin » ferme le samedi à 16 heures pour cause de cinéma à 17 heures, et le dimanche toute la journée parce que : Les poissons pour Serge, et les champignons, mures, châtaignes, pour Antoinette.
Dès cinq heures du matin, ils partent en auto depuis Paris jusqu’à Pont, leur lieu de distraction dominical.
Leurs deux espaces de loisirs étant situés sur le même territoire mais pas au même endroit, il n’y a donc pas de raison qu’ils empiètent l’un sur l’autre.
Serge est sur sa barque et taquine le brochet ou le carpe, Antoinette est bien les pieds sur sa terre Bourguignonne.
En résumé, un couple simple, gentil, poli, discret, travailleur et amoureux peut être, avec une vie réglée comme une pendule franc-comtoise, légale, organisée, plate comme un lac et droite comme une forêt.
- Bonjour monsieur Cacha.
- Bonjour Serge.
- Bonjour Monsieur Cacha.
- Bonjour Antoinette, alors, pas trop difficile le menu aujourd’hui ?
- Oh non monsieur Cacha, ça a été, et je ne veux pas me vanter mais, je crois que j’ai fait comme à la télé. Je suis même allé plus vite qu’eux de deux minutes !
- Bientôt c’est vous qui présenterez l’émission Antoinette.
- Ah non ! dit-elle en s’empourprant. Je ne pourrais pas faire le menu à la télé et ensuite faire le menu au café, ce serai trop fatiguant.
- Mais si vous devenez une star de la télé vous ne ferez plus à manger au café, Antoinette.
- Ah non ! Jamais ! Et qui c’est qui vous fera a manger si ce n’est pas moi ? Vous savez monsieur Cacha, de nos jours, les gens ont vite fait de vous mettre de la margarine à la place du beurre… Non, non, non… Jamais, jamais, jamais, ou lala ! quelles drôles d’idées vous mettez dans la tête monsieur Cacha ! ou lala !
- Voila que vous m’avez retourné la tête de ma brave Antoinette, monsieur Cacha.
- Tant qu’elle reste sur ses épaules ! Interpella un poivrot du comptoir.
- Docteur Doncier, reprit Serge avec l’œil d’un instituteur grondant son élève fils du maire.
- Ce midi ! Bouchée à la reine, Tête de veau façon Capet, soufflé du royaume !
- Monsieur Doncier, reprit Jef.
- Mieux ! Pâté de tête, chaperon au panier dans son sang, fraise sautée.
- C’est dégoutant ! S’exclamât Antoinette avant de quitter la salle.
- Attendez ! Dauphin en gelée, pavé de biche à l’Autrichienne, pêche au Bourbon ! Pff !
- A table ! cria Antoinette qui s’était refugiée dans sa cuisine pour fuir les menus fantaisistes du docteur Doncier.
Antoinette prépare toujours douze repas à vendre plus un pour son mari et un autre en secours.
Les clients du midi sont réguliers, et bien ponctuels, car Antoinette n’aime pas réchauffer.
Parce que réchauffé ça gâche ! dit elle avec son accent de l’Auxois.
Les convives sont tous des célibataires de l’impasse.
Il y a le coiffeur pédéraste, l’assureur escroc, le banquier voleur, le guichetier complice, le facteur curieux, le taxi bavard, le médecin poivrot, l’épicier avare, l’entrepreneur véreux, l’architecte conciliant, le détective raté et la place d’Auguste Solas désespérément vide.
Tous les jours les douze apôtres se retrouvent pour une cène ravitaillée par Antoinette et servie par Serge. Les conversations partent dans tous les sens au gré des nouvelles du jour de la rue, et de l’actualité imprimée ou télévisée.
Aujourd’hui le centre du monde c’est Jean-François.
- Alors Monsieur Cacha, on a eut de la visite ce matin ? Demande le facteur.
- Oui un peu, répond Jef.
- Et attention, une blonde sulfureuse, reprend le facteur.
- Et un grand garçon musclé comme un rugbyman, remarqua le coiffeur.
- Avez-vous vu les bagnoles ? Repris le banquier.
- Deux véhicules haut de gamme, ajouta le complice.
- T’ention l’prix du plein, compléta le taxi.
- Sans compter les primes ! Rectifia l’assureur.
- Ça en fait des pièces de cinq, jugeât l’épicier.
- J’aimerais bien savoir comment ils font, se demanda l’entrepreneur.
- Détournement sur la matière première, assura l’architecte.
- Ça ne leur rallongera pas la vie de montrer leur argent comme ça, servi le docteur aux convives ainsi qu’un petit verre pour lui-même.
Monsieur Solas qui est absent s’abstint donc de commentaire. Il aurait sûrement déclaré que
- « Ces fortunes là se sont faites avec l’or des juifs planqué en Suisse par ces voleurs de boches »
Le tour de table des commentaires continua sans précision de dit il, commenta-t-il, répondit il.
- Dans l’ordre le vieux et le rugbyman, il y a les poulets qui les suivaient, je les ai vu dans mon miroir.
- Ils ont décampé comme des voleurs à l’étalage.
- Avant il y a le gros Polac qui est descendu de leur voiture.
- C’est un Libanais.
- Il est gros comme une femme.
- Que du cholestérol ! et hop, un p’tit verre.
- Et de l’argent !
- Beaucoup d’argent !
- Lui, il est à la bonne place pour prendre à la source.
- C’est sur, ça n’est pas lui qui paye ses manœuvres.
- Non c’est nous qui payons tous les jours, essence, vignette, taxes, bakchichs.
- Ah ? vous payez des bakchichs dans la profession ?
- Oui bien sur, vous aussi non ?
- Non, nous, nous donnons des enveloppes.
- C’est pareil !
- C’est plus noble !
Monsieur Solas aurait dit
- « D’not’ temps on t’aurait envoyé tout ça au peloton ».
- Messieurs, dames, dit un homme superbement habillé et ganté en entrant dans le café.
- Bonjour monsieur, répondit Serge en se levant.
- Est-ce qu’on peut déjeuner ?
- Je vais demander.
- Antoinette, est ce que l’on a un menu ?
- On en à deux !
- Un seul suffira merci.
Installez-vous donc monsieur, dit Serge en montrant la place vacante d’Auguste Solas.
Tout le monde regarda la chaise vide comme si le nouveau allait s’assoir sur les genoux de monsieur Solas.
Le nouveau se présenta comme David Benbouhot. Il était le nouveau douzième du groupe.
Non content d’avoir pris la place à table d’Auguste Solas, il avait aussi repris son appartement pour lequel il avait signé le matin même un bail pour cinq ans.
David Benbouhot était tailleur pour dames et messieurs élégants. Il avait une bonne cinquantaine et se retirait du circuit après avoir passé plus de trente cinq ans de sa vie à envelopper les plus grands de ce monde de tissus précieux et d’animaux en voie de disparition.
- Vous mangez du porc ? Demanda Antoinette inquiète
- Oui.
- Vous n’êtes pas juif ?
- Si.
- Mais vous mangez du porc ?
- Oui comme vous pouvez le voir, je suis juif et je mange du porc.
La table se trouva donc un nouveau membre, tailleur, juif et porcophage.
Rapidement la discussion retourna sur le sujet du jour.
- En tout cas c’était beaucoup de visite pour une seule matinée.
- Des gens discrets.
- Mais bien coiffés, sauf cet horrible Lituanien.
- Libanais.
- En tout cas un bon client pour son épicier.
- Et son docteur… Un homme comme ça, c’est un fond de commerce, il doit consulter au moins trois fois par semaine et puis les médicaments pour le cholestérol, les visiteurs donnent des voyages. Dit-il en se resservant un verre à demi.
- Dites monsieur Cacha, je peux prendre votre quart ?
- Allez-y docteur.
- Merci mon ami.
- J’aimerai bien savoir ce qu’il fait de ses sous, ça fait de l’argent tous ses petits billets ici et là, et il ne peut pas mettre ça à la banque, ça se verrait.
- L’immobilier avec un prête-nom.
- Les paradis fiscaux, pas besoin de justifier !
- Monaco, les Caïmans, San Marin, Saint Martin, Andorre, Genève, Lausanne ah ! Genève oh ! Lausanne ! Ça fait rêver.
- Et le vieux avait l’air vieux, vieux.
- Vous prendrez du vin ou une boisson sans alcool ?
- De l’eau carafe suffira merci.
- Je peux prendre votre quart monsieur ?
- Appelez-moi David.
- Enchanté David, Alors ?
- Oui, prenez-le si vous voulez !
- Merci David, vous pouvez m’appeler docteur.
- Cette couleur de cheveu, c’est trop blanc, ça n’est pas naturel.
- Vieux comme ça avec tous ces sous, un bon client, en plus les visiteurs d’Alzheimer donne des caisses de champagne. Il descend bien ce rouge.
- C’est un cabernet du Loiret.
- Il est bon. Et hop.
- Et cette bagnole, au moins quinze litre au cent.
- Et le rugbyman, très sexy.
- Chaussures marron sur costume noir.
- Oh Israël ! Quelle faute de gout.
- Je suis d’accord avec vous c’est ce que j’ai pensé moi-même.
- Si je peux vous donner un conseil monsieur… monsieur ?
- Cachakopoulos, Jean-François mais appelez moi Jef ou Cacha.
- Jean-François, un bon conseil, ne faites jamais confiance dans quelqu’un qui fait une faute de goût vestimentaire.
- D’accord David, je n’oublierai pas votre conseil.
- Et cette chose horrible qui est sortie de la voiture anglaise, quelle vulgarité !
- Quelle bombe !
- Un canon !
- Belle comme un billet neuf.
- Un bon du trésor !
- Une course à Menton !
- Une promotion exceptionnelle !
- Un chantier à la défense !
- Un appel d’offre !
- Un mandat au porteur !
- Un constat amiable !
- La tournée du patron ! et hop !
Chapitre quatre - Chat pitre qu’âtre
Après le repas, Jef a l’habitude de boire son café au « 13 ».
- Alors Poireau, on a eut une grosse mâtiné ?
- Et oui, comme tu vois Claude, qu’est ce que tu veux, ça n’est pas tous les jours tranquille.
- Dit donc, et du beau monde, Salette !
- Et oui, tu vois, on fréquente, on fréquente.
- Et attention, monsieur tire son coup pendant qu’un ministre campe sur son paillasson.
Un ministre ?
- Oui l’ami, monsieur Testula en personne qui attend dans sa Rolls, pendant que monsieur Cacha tripote son émissaire.
- Comment tu peux savoir ce que je fais dans mon bureau ?
- Moi, je connais bien les femmes, et avait l’air bien contente quand elle est sortie de l’immeuble, tu dois être un sacré bonhomme à l’exercice, elle rayonnait, et Testula avait l’air content de lui quand elle lui a fait signe que lui de la tête. Il a bien lut le contrat et avec les quinze milles euros que tu vas lui extorquer, tu vas pouvoir me payer les deux cafés de ce matin.
- Les trois.
- Comment ?
- Fais-moi un café s’il te plait, dis-moi, comment tu sais pour les quinze mille ?
- Elle lui a dit en entrant dans la Royce.
- Suffisamment fort pour que tu l’entendes ?
- Non, je lis sur les lèvres.
- Il faut que je me méfie de toi, Claude.
- Non, il faut que tu me fasses confiance.
Jef but son café et paya son ardoise puis il monta chez lui.
Sur la porte de monsieur Solas, Paco Pérès avait retiré la plaque. Le support restait pour l’instant vide de toute inscription.
« Ça avait dut être une vraie jouissance pour lui d’enlever la plaque comme on coupe ses attributs aux taureaux assassinés dans son pays » pensa Jef.
Au troisième, sur le palier, juste devant la porte de madame Ledu, un petit plateau était posé par terre. Sur celui-ci trônait une petite crotte pleine de poils de son Lhassa-apso.
Paco Pérès avait trouvé une nouvelle victime à harceler.
Jef rentra chez lui et prit rapidement une douche. Il se brossa les dents, retira sa prothèse et la mit à tremper dans une solution effervescente, puis il s’allongeât sur son lit, et s’embarquât immédiatement pour le pays des siestes bien méritées.
A 14 heures 50, Jef se réveilla sans réveil, s’habilla et tenta vainement de se coiffer.
Le résultat était égal aux jours précédents. Même ultra-gominés, ses cheveux étaient incorrigiblement rebelles.
Il sorti de chez lui et descendit les escaliers pour rejoindre son bureau.
Au troisième, le plateau était toujours en place, mais la petite chose qui était dessus portait la trace d’une chaussure de femme.
« Pauvre madame Ledu » se dit il en continuant sa descente vers la sortie du territoire de l’ibérique à grande gueule.
Celui-ci justement était en train d’expliquer à monsieur Benbouhot qu’il ne pouvait pas utiliser l’ascenseur pour déménager, et qu’il fallait bien veiller à ce que les déménageurs, ne rayent pas le plancher, ne crache pas, ne fume pas, qu’ils ne laissent pas de trace de leur passage, et qu’il était interdit de siffler dans l’immeuble. Paco Pérès rappelait qu’il était formellement interdit d’entrer et de sortir trop souvent de l’immeuble, que le stationnement était interdit devant l’entrée, que l’on ne pouvait pas faire passer les meubles par les fenêtres et qu’il était défendu d’encombrer les trottoirs et les passages, il lui rappelait que… et encore et encore…
La litanie continuait lorsque la porte se referma derrière Jef qui entrait dans le calme de l’impasse.
- Gogogadgetaucafé !
- Oui Claude, Merci.
Jef était toujours amusé par les annonces d’accueil du bistrotier accentuées à outrance.
- Attention, poulet à trois heures, dit il discrètement en posant la tasse fumante devant son client.
Jef se leva avec son café et alla s’assoir à la table des policiers en civil.
- Bonjour messieurs, dites, ça sent le guano ici non ?
- Hein ? répondit l’un des deux.
Les deux agents étaient assis face à face et se ressemblaient beaucoup c’était marrant.
Des clones chez les Claude.
Ils avaient tellement le même type, qu’on aurait cru des frères d’une quarantaine d’années.
Taille moyenne, cheveux gris-beige plaqués en arrière, grand front signe d’intelligence*, moustache à la mode « guerre d’Algérie », visages confits à l’eau de vie, regards ovins.
Tous les deux faisaient à peu près un mètre quarante assis et portaient santiags genre croco, jeans délavés et chemises assorties avec la poche brodée d’une guitare pour l’un, et d’une tête d’indien sans corps pour l’autre, genre flic fan de Johnnie ou d’Elvis, selon que l’on connaisse l’un ou l’autre.
- Vous êtes de valencienne vous non ?
- Pourquoi tu dis ça Cacha ?
- On se tutoie ?
- Qu’est ce que tu fais à notre table cacha ?
- Pourquoi vous planquez devant mon bureau ?
- T’as vu quelqu’un planquer toi ? dit Elvis.
- Non j’ai rien vu, répondit Johnnie.
- Alors pourquoi vous n’êtes pas dans votre poulailler ?
- Qu’est ce que tu crois qu’il pense de nous ?
-
*Selon les personnes à grands fronts |
J’dirais qu’il croit qu’il peut nous forcer à faire comme il veut lui, mais que nous, on fait comme on veut nous, hein Johnnie ?
- Vous croyez ça ? moi je crois plutôt que vous faites ce que vous dit de faire Douyoumdjian, pas vrai ?
- Et moi, j’crois qu’tu crois trop, pas vrai Johnnie ?
- Tu crois Elvis ?
- C’est vrai ça les rockeurs, vous croyez ça ?
- Ouhai et j’crois même que tu crois qu’t’en sais mais qu’en fait t’en dit plus que t’en sais vraiment qu’t’en dit. J’me trompe ?
- Vous avez une commission rogatoire au moins ?
- Regarde donc un peu si tu la trouves pas dans ton cul Cacha, hein ?
- J’espère qu’il vous paye bien Douyoumdjian ?
- Et si t’allait t’faire un peu foutre Cacha, hein ?
- J’espère que ça ne vous fait pas trop mal quand vous regardez vos plaques. vous avez des plaques ?
- Qu’est ce que tu dirais d’aller te faire remplir le colon dans ton pays d’origine Cacha ?
- Oh ! Super classe les poulets ! Super classe !
- Vais te faire foutre Cacha !
- Bon, messieurs, dit Jef en se levant, ça n’est pas que je m’ennuie avec vous, mais je vais vous laisser dans votre médiocrité. Comprenez moi, j’ai un vrai travail moi, c’est au second si vous voulez vérifier.
- Va te faire foutre Cacha !
- Ouhai, occup’toi d’ton cul et va t’faire fout’ Cacha.
- Claude, les consommations des grotesques c’est ppour moi, je ne voudrais pas que tu salisses ta caisse avec leur argent.
- Va te faire foutre Cacha !
- Hé ! Monsieur Cacha, vous oubliez votre facture pour vos frais, vous n’aurez qu’à la classer à verres de contacts.
Jef montait dans son bureau.
Quelqu’un était passé avant lui et ça se sentait.
En fait, ça puait l’embrouille.
Une enveloppe avait été glissée sous la porte.
Elle n’avait pas été visitée.
« Il faudra que je demande à Claude » se dit Jef avant de poser la facture de celui-ci sur son bureau.
En parcourant son espace de travail du regard quelque chose lui disait que quelqu’un avait posé ses sales pattes sur ses affaires et ça ne lui plaisait pas trop.
Il s’assied, et saisit une feuille de papier pour noter les événements du jour en bref, histoire de se faire une idée de la chose.
Il observa son schéma de réflexion qui ressemblait à une pyramide dont il était le centre.
A chacun des angles il avait noté un nom (en fait une lettre) C. D. T. et lui C1 était au centre de tout cela. Pourquoi ces trois personnages prenaient tant d’attention à lui ? Et pourquoi passaient-ils tous dans son bureau comme dans un vaudeville, rentre, sort, claque les portes…
Quels étaient ses atouts personnels dans la partie qui se jouait entre police de la rue, police du ministère et maffia ?
Tout le monde avait l’air sacrément intéressé par cette histoire de carte.
Pour l’instant, Jef était dans le flou.
La seule chose qui était claire, c’est qu’il était au centre de la ronde, et que visiblement, tous ces personnages le considéraient de première importance. Pourquoi ?
Alors là, mystère et boule de gomme comme aurait dit je ne sais plus qui.
Tout ceci lui paraissait aussi mystérieux que la petite graine d’anis dans les bonbons de Flavigny-sur-Ozerain que Serge et Antoinette ramenaient parfois de leurs escapades bourguignonnes.
Jef décacheta l’enveloppe et trouva dans celle-ci son contrat, signé d’un grand M, et sept mille cinq cent euros en espèces.
Sous la signature de M il y avait un numéro de mobile.
Le premier payant était donc Testula.
Pour la combine, toujours plus rapide que les autres celui là. Jean-François n’aurait jamais voté pour lui, mais c’était lui le premier à allonger l’oseille alors en théorie, Jef était sensé bosser pour ce type, sauf qu’il avait conclu avec « l’équarisseur » comme disait Douyoumdjian, et que le pseudonyme qu’il avait employé couvait être considéré comme le salaire qu’il avait décidé de lui donner.
Centomille, ça fait cent mille, cent mille balles c’est quinze mille deux cent quarante euros. A vérifier.
Jef voyait les billets de mille danser fantasia sur son bureau quand il fut rappelé à la réalité par un S.M.S. annoncé sur son portable. Celui-ci informait :
A Ca de Luc – 22h Arp du Bourget code 750313.
Les choses se précisaient.
Immédiatement après, un hurlement dans la cage d’escalier lui annonçait que quelqu’un torturait l’ascenseur.
D’instinct, Jef reconnu le son particulier de l’effort intense que fournissait l’animal aux tendons d’acier pour soulever dans les airs le gros commissaire qui, trente secondes plus tard, entrait dans le bureau sans frapper et plus rougeau que jamais.
- Oh commissaire ! ça alors !
- Écoute moi bien petite truffe ! Ne te mêle pas de ce qui ne te regardes pas, et gardes toi bien d’insulter mes hommes dans un lieu ouvert au public, sinon !
- Sinon ?
- Sinon, mon garçon, je ferais en sorte que tu te tiennes bien tranquille…
- Oh ! Vous m’embastillonneriez ?
- Jef tripotait machinalement les papiers de son bureau sans jeter un œil sur le Libanais enragé.
- Non je t’oublietterais, je pourrais même t’évaporer, dans tous les cas je trouverais le moyen de te fairefermertapetitegueuledemerder !
- Je voudrai bien savoir comment vous me fairefermertapetitegueuledemerdrieriez monsieur le commissaire Douyoumdjian.
- Attention…
Jef levait un sourcil circonspect. (Cette flatulence ovoïde)
- Attention à vous commissaire Douyoumdjian et écoutez moi bien. Vous allez me foutre une paix royale et vous occuper de vos petites affaires de rue, écoutez mon conseil, continuez à gérer vos petits trafic de ci et de ça, (le commissaire était en transe), sans venir polluer l’air de mon bureau avec vos effluves sinon, vous risqueriez bien de maigrir un peu en tôle et ce serait dommage de perdre un personnage comme vous.
- Les spécimens de votre genre, petits ripoux de quartier, je crois qu’on ne les aime pas trop en prison. Dites moi si je me trompe ?
- Je vais te claquer ton beignet de prétentieux Cacha, il se pourrait bien que plus tôt que prévu tu ais un malheureux accident ou que tu décides de fuir à l’étranger sans donner de nouvelles.
- C’est une menace commissaire ?
- C’est un ultimatum crétin.
- Une question commissaire.
- Dis-moi connard.
- Dites-moi commissaire Daniel Marie Douyoumdjian. Est-ce que c’est vous qui avez fait placer des micros dans mon bureau ?
- Hein ? Quoi ?
Le commissaire se mit à transpirer abondamment.
- Oui je ne vous ai pas dit, que je suis distrait, j’ai été visité pendant la sieste et on a placé quelques micros dans mon bureau et figurez vous que je me demandais si ce n’était pas vous par hasard Daniel Marie Douyoumdjian, D.o.u.y.o.u.m.d.j.i.a.n. Je me permets d’épeler votre nom commissaire parce que c’est tellement compliqué à noter si l’on n’a pas l’habitude vous ne trouvez pas ?
Le commissaire s’épongeait de tout cotés. En quelques secondes il avait trempé tous ses vêtements. L’instant d’une réflexion et Jean-François se demandait si le gros n’allait pas se rependre dans son bureau.
- Tu bluffes Cacha !
- Quel dommage qu’un homme de loi comme vous se compromette dans des propos qui dépassent sa fonction. A votre avis, qui à put poser par exemple, disons, heu…
Jef attrapa un livre dans la tranche duquel un petit malin pas si malin avait discrètement posé un mini émetteur.
….ce micro ?
Le commissaire blêmit. C’était un modèle couramment utilisé par les services Français.
- Peut être pourrions nous demandez à l’équipe d’écoute installée dans le camion Mercedes 608 immatriculé 4338 KE 75, de couleur bleue, garée au numéro 6 de l’impasse, de bien vouloir effacer les passages trop gênants pour vous commissaire.
Ou peut être désirez-vous vous chargez de cette affaire personnellement avec votre diplomatie légendaire ? Non ? Hé ? Oh oh, commissaire ?
Le commissaire était blême.
- Je ne vous raccompagne pas, vous connaissez le chemin pas vrai ?
Claude avait eut la délicatesse de tout noter sur la fausse facture qu’il avait tendu à Jef.
Visiblement la décharge d’adrénaline fut en proportion au carré de la masse du bonhomme, car celui la ne savait plus ou il était et ce qu’il utilisait pour déplacer sa grosse carcasse.
Un moment, Jef cru qu’il allait partir en roulant ou se transformer comme un barbapapa (barbatruc !).
Le gros avait compris qu’à ce moment précis, sa carrière venait de devenir aussi légère qu’il était lourd.
La police des polices était à ses trousses et il avait plutôt intérêt de se tenir à carreau.
Il ne devait surtout rien arriver au détective.
Désormais les deux loustics planqués au « 13 » devaient veiller sur Jef pour sa sécurité.
S’il lui arrivait quelque chose, c’est sûr qu’on viendrait lui chercher des noises à lui, et il n’était pas bon qu’on vienne trop fouiller dans ses affaires.
Après quelques longues minutes pour que Douyoumdjian ait finit de se formater, il quitta les lieux comme il y était entré : Rapidement.
Jef était un peu embêté de savoir des micros dans son bureau. Il en avait trouvé un parce que le livre n’avait pas été remit exactement à sa place mais rien ne lui disait qu’il n’y en avait pas d’autres.
Pour ça, il fallait aller rendre visite aux gens postés dans le fourgon.
Il prit bien soin de refermer la porte de son bureau à double tour et de se mutiler d’un cheveu collé entre le montant et la porte.
Il descendit dans l’impasse.
L’impasse, était l’extension de son appartement.
Il y était né et, si ça n’avait pas été ainsi, pour sûr, il ne serait pas venu de lui-même habiter là.
Non pas qu’il s’y sente mal bien sur, avec le temps on s’habitue à tout, mais si il avait put choisir, il aurait préféré la campagne.
Mais bon, c’était ainsi, comme un clou, Jef habitait et vivait là où on l’avait planté et il pensait qu’il allait y rouiller.
Les habitudes étaient bien installées.
L’impasse est une rue fermée comme son nom l’indique mais ça n’a pas toujours été ainsi.
Avant, quand Jef était vraiment petit, c’était une rue passante et puis un jour, un immeuble est venu se planter en plein milieu. Fini le passage du marchand de glace, de la ligne de bus et des embouteillages qui noircissaient les façades des immeubles de la rue des sinistrés et les poumons des habitants.
Les immeubles de l’impasse des sinistrés sont à peu près tous du même genre car de la même époque. Huit étages d’architecture bourgeoise aux façades ornées de corniches et de balcons élégants, les toits sont mansardés (anciennement pour y loger les employés de maison) et certains ont encore leurs cheminées en état de fonctionnement.
Une rue bourgeoise comme on en construisait sous Napoléon le petit. Les immeubles possèdent tous deux entrées en face. Une pour les animaux et les carrosses ouverte en grand porche (ou se trouve maintenant les commerces), une autre pour les habitants avec de grandes portes robustes aux allures d’entrées de palais bourgeois.
Au décès madame Cachakopoulos Komisatromikolokov, les deux Cachakopoulos restants avaient envisagé de vendre l’appartement et le bureau pour partir vivre ailleurs.
Après réflexion, ils avaient décidé d’un (comme un) accord que par les temps qui couraient, ça n’était pas intéressant de vendre.
Et puis vendre pour aller où ? En Grèce ? Quelle drôle d’idée !
Jef ne parlait pas un mot de grec, de plus il y avait le boulot de Jef, et surtout de Chisirophe Cachakopoulos.
L’invisible Chisirophe Cachakopoulos, pas plus présent dans l’appartement et la vie de Jef après, qu’avant le départ de madame mère.
Chisirophe Cachakopoulos était l’homme invisible pour son fils et pour sa femme qu’il délaissait sans le moindre scrupule.
Homme caractériel, il exigeait que ses repas soient préparés midi et soir et que son couvert soit mit à table à 12 heures 15 et 19 heures 25 précise.
Bien qu’il ne mangeât quasiment jamais en famille, madame Cachakopoulos ne manquait jamais à ses obligations et dressait toujours trois couverts à table.
Un pour Jef, un pour elle-même, et un autre pour son mari absent.
Scrupuleusement, comme une femme doit être dévouée à son mari, elle commençait toujours par servir son mari en premier puis Jean-François et enfin elle-même.
Après avoir mangé leurs entrées sous le regard déficient du père de famille dont la chaise restait désespérément vide et l’assiette désespérément pleine, madame débarrassait les trois assiettes à entrée pour servir le plat en prenant bien soin de servir monsieur sans que la sauce ne touche les légumes car Chisirophe Cachakopoulos avait horreur d’une assiette mal présentée.
Les rares fois ou l’incident s’était produit, madame Cachakopoulos regardait la chaise ou n’était pas son mari et essayait, avec plus ou moins de réussite, de ne pas croiser le regard accusateur de l’absent à qui il n’en fallait pas plus pour couper l’appétit. D’ailleurs ces jours là il ne touchait pas à son assiette. C’était sa manière à lui de montrer sa désapprobation sans faire de scandale.
Ces jours là, à table, on entendait une mouche voler même si elle aussi avait décidé de parasiter une autre pièce de la ville.
Chisirophe Cachakopoulos ne supportait pas que l’on débarrasse son assiette ou celle de ses convives tant qu’il n’avait pas terminé de manger.
On attendait donc un bon quart d’heure pour s’assurer que l’on ne lui retirait pas son plat avant la fin de son repas, puis madame Cachakopoulos servait le dessert que Jean-François engloutissait avant de quitter la table, non sans avoir demandé à sa mère au préalable et que celle-ci ait reçu l’assentiment du regard approbateur de son géniteur éthéré.
Madame Cachakopoulos restait donc seule à table avec le fantôme de son mariage, car Chisirophe détestait manger seul.
Elle attendait donc qu’il ait fini de ne pas manger son dessert avant de s’éclipser dans sa cuisine.
Jef redoutait les repas familiaux quotidiens car le silence qui régnait à table était toujours lourd de reproche. On ne savait jamais si Chisirophe faisait la tête pour une raison purement gustative, ou s’il avait l’esprit ailleurs. Parfois, quand le petit Jean-François ne mangeait pas, l’estomac serré par le stress du repas moribond, il devait subir le regard en coin de sa mère qui tentait de lui dire discrètement « Mange sinon ton père va se fâcher ».
Au début, Nataniela Cachakopoulos ne servait pas son mari s’il n’était pas là, mais les quelques scandales qu’il avait fait en arrivant à l’heure du repas avaient été tels, que quelques uns suffirent pour ne pas omettre de le considérer malgré sa non présence.
Les réflexions avaient résonnées dans l’appartement sur le thème « Qui est le chef ici ? », « Et moi je n’ai pas le droit de manger ? », « Qui remplit les placards » etc.…
Quand Chisirophe arrivait quelques fois pour déjeuner ou diner, il s’installait à table quelque soit le moment du repas, et mangeait comme s’il avait déjà mangé l’entrée ou le plat.
Parfois il arrivait à l’heure du dessert, et complimentait sa femme sur l’intégralité du repas, lui donnant même des conseils sur les cuissons de viande, ou la bonne façon de servir pour que la sauce ne touche pas la garniture.
Les activités du pilier familial étaient baignées de secrets.
Il quittait la maison à 7 heures 30 tous les matins et s’engouffrait dans une voiture officielle qui l’attendait avec une ponctualité toute militaire au pied de l’immeuble, puis il disparaissait, gobé par la circulation de la rue, toujours par la droite, en direction d’horizons inconnus.
Pendant les premières années de sa vie, Jean-François ne connut son père qu’uniquement habillé en uniforme. Il avait toujours l’impression de croiser un flic dans l’appartement prêt a verbaliser un meuble mal garé, l’ouverture du four avant la sonnerie, la non-extinction d’une ampoule au sortir d’une pièce, la nouvelle coupe de cheveux de madame ou une mauvaise note du rejeton.
Au fur et à mesure des années, l’uniforme s’ornait avec de plus en plus d’écussons à scratch, que Nataniela prenait soin de coudre avec du fil bien résistant.
Passionnée d’histoire, elle se refusait à voir les supérieurs de son mari arracher les grades de celui-ci comme on l’avait décrit de l’affaire Dreyfus.
Elle n’aurait pas supporté de subir les foudres du complot anti Greco-Russe, et avait préparé son « J’accuse » prêt à être brandi pour défendre son mari innocent.
Nataniela Cachakopoulos ne quittait jamais l’impasse ou son mari l’avait posé, et rarement l’appartement ou elle meublait ses journées en lectures ou à écrire des lettres. Elle remplissait frénétiquement, les lunettes posées sur le bout de son nez, des cases de mots croisés, mots fléchés ou mélangés qu’elle envoyait par la poste.
Elle ne se rendait en ville qu’au bras de son mari, et toujours très élégante.
Monsieur Cachakopoulos n’aurait pas accepté de présenter sa femme, autrement que parée des nombreux bijoux que la famille de celle-ci avaient put sauver en quittant la mère Russie précipitamment, car, durant un temps, elle était devenue une ogresse qui ne mangeait que les blancs.
On apprendra plus tard qu’elle gardait les rouges pour la résistance, les blancs c’étaient pour l’apéritif, en fait, pour noyer le poisson.
Les Komisatromikolokov étaient ce qui restait d’une branche abattue du bouleau de l’empire Russe qui était venue se planter dans le terreau fertile de la pépinière culturelle Française.
Donc, madame Cachakopoulos était emprisonnée par son mari impasse des sinistrés, ce qui lui allait bien.
Deux fois par an, la famille partait en vacances.
L’été à la montagne, à Chambéry, et l’hiver à la mer, à Deauville.
Monsieur Cachakopoulos avait horreur des gens et fuyait ceux-ci comme le peuple.
En trente cinq ans de vacances familiales, Jean François n’apprit jamais à skier ni à nager.
Les vacances de Jean-François étaient celles de Chisirophe et de Nataniela adultes.
Elles étaient rythmées d’interminables promenades sur la plage, ou de sportives excursions en montagne, ainsi que de longues et monotones heures d’après midi rythmées de parties de scrabble ou se mêlaient les vocables français, russes et grecs mélangés à l’internationale sans aucune règle précise d’orthographe.
Tant que Chisirophe gagnait tout était en place dans l’harmonie familiale.
Chisirophe Cachakopoulos ne leva jamais la main sur son fils, ni sur sa femme d’ailleurs.
Il leva quelque fois la voix mais ce fut tout.
Chisirophe ne leva en fait jamais rien sur personne, et encore moins sur Jean-François, il semblait toutefois se féliciter d’avoir levé sa femme.
Durant leurs vacances, Chisirophe disparaissait toujours trois ou quatre jours pendant lesquels la famille décomposée, privée du moyen de locomotion que constituait pour madame le bras de monsieur, se terrait dans l’hôtel (toujours Continental).
Madame Cachakopoulos plongeait son nez dans ses mots croisés dont elle s’arrangeait toujours pour que les termes qu’elle avait décidé entre dans les cases, Jean-François, le nez contre la vitre, attendait d’être adulte pour faire ce qu’il voudra.
Quand ce jour arriva, il ne voulait plus rien de ce qu’il voulait enfant, en fait il ne se rappelait plus ce qu’il voulait. « J’aurais dût le noter » c’était il reproché.
Chisirophe Cachakopoulos était un homme pressé, toujours aux aguets et toujours une casserole sur le feu (c’est une métaphore, la cuisine, c’était madame).
L’homme à l’uniforme aux écussons renforcés au fil de pêche, baignait dans le secret.
Ses activités au sein de l’appareil d’état ne laissaient pas de place pour les confidences familiales et lorsqu’une fois, Jean-François fut invité à déjeuner chez un copain et que pendant tout le repas le « pater familias » parla du bureau, des collègues, du syndicat, des décisions, de la machine à café avaleuse de pièces et rétentrice de boisson car toujours en panne, puis qu’il raconta tout ce qui rythmait ses huit heures de vie sociale au forceps, Jean-François fut choqué que cet homme dévoila tant de secrets de sa vie aux oreilles suspicieusement attentives de l’organisation familiale.
Quand il rentra à son domicile, il se garda bien de raconter ce qu’il avait entendu autour du gigot, et, bien que sa mère le harcelât de questions, il ne dévoila rien d’autre que le contenu du repas, et encore, il ne divulgua pas tout, de peur de se faire traiter de mouche ou de balance.
De ce jour, traumatisé par l’interrogatoire serré qu’il avait dut subir en rentrant chez lui par sa mère inquisitrice curieuse de connaitre la décoration de l’appartement, l’ambiance à table, le contenu de son après-midi… Jean-François refusa toutes les invitations qu’on lui proposait, y compris les anniversaires et les fêtes d’ados, de peur de dévoiler, sans faire exprès, un secret d’une importance capitale qui aurait put mettre ses hôtes en danger ou pire, bousculer les fondements même de ce qui faisait l’équilibre de la nation ou du monde.
Chisirophe lui avait bien enseigné le culte du secret qui constituait l’essentiel de la charte qui régissait ses activités dans les espaces capitonnés, ou l’on vérifiait avec des appareils d’une sophistication extrême, la présence d’éventuels mouchards dans les bras des fauteuils ou les nouveaux objets qui venaient remplir le volume restreint de leurs bureaux hermétiques.
Il fallut que Chisirophe passe l’arme à gauche, lorsque le projectile d’une arme justement le traversa par la gauche, pour que Jean-François apprenne les activités mystérieuse de son illustre parent pleuré par ses collègues (dont certains restés cagoulés pendant toute la cérémonie pour plus de sécurité) et quelques membres du gouvernement.
Ainsi, dans un cimetière à ciel ouvert, devant le trou dans la terre argileuse et le corps inerte de Chisirophe scellé dans sa boite vernie recouverte du drapeau tricolore, un homme divulguât la carrière de Chisirophe.
Simple agent de police, il avait gravi les échelons de la hiérarchie par des coups d’éclats qui avaient assuré la sécurité de la nation, et sa crédibilité au niveau international.
Une collection de médailles était plantée dans un coussin, et quatre écrins noirs fermés contenant des décorations secrètes reposaient au pied du cercueil.
Chacune d’elles correspondait à une victoire sur l’ennemi invisible dont la nation paranoïaque appréhendait les attaques scélérates.
L’homme au pupitre déclamait à qui voulait l’entendre les aventures les plus héroïque du général Cachakopoulos jusqu’à son ascension aux responsabilités de la grosse organisation secrète des renseignements généraux.
Ce jour là, Jean-François pleura.
Il ne pleura pas parce qu’il enterrait son père deux mois et vingt six jours après avoir enterré sa mère, non, il pleura parce qu’on jetait à la face de tous les secrets que Monsieur Cachakopoulos avait passé sa vie à garder.
Il imaginait le vieux mort enrager dans son cercueil, et tenter un effort pour sortir en un mouvement, soulevant le couvercle vissé de son ultime demeure en hurlant :
- SILENCE !
Chapitre cinq - Carlos Quinto
La fourgonnette Mercédès perpétrait son ordonnée en façade du quantième 6 de la voie dans issue des endommagés, et Jef prescrivait un éclaircissement avec ces indiscrets sycophantes en pouvoir.
Il demeurait intéressé de discerner la figure de ces oreilles imperceptibles.
Il s’ajusta au rang de l’ouverture latérale du dit véhicule et, d’une impulsion diligente et non moins exercée, il la déboucla.
Chapitre six – Quel suspens !
Dans le véhicule équipé de nombreux appareils d’écoute et d’enregistrement, trois hommes vêtus de combinaisons de travail au nom d’une société de sous-traitance électrique, étaient assis dans des sièges de bureau, casques sur les oreilles, certains avec un stylo à la main.
Une petite machine à café fonctionnant au douze volt dégageait une bonne odeur dans l’habitacle ou une discrète veilleuse éclairait la scène.
Les trois hommes avaient, parfaitement centré au milieu du front, le trou d’une balle.
Jean-François referma rapidement la porte à coulisse et l’essuya avec son mouchoir qu’il avait toujours dans une poche. Sa mère insistait depuis son enfance pour qu’il soit toujours muni de ce petit carré de toile.
- « Tu ne vas pas te moucher dans ta manche » disait-elle.
- C’est le rugbyman !
- Quoi ?
- C’est le rugbyman qui a fait ça ! Je l’ai vu dans ma glace. Un bel homme ! Et d’action avec ça !
La camionnette était garée juste en face du salon de coiffure aux lettres d’or sur la vitrine duquel elles indiquaient :
Robert Sleig – Styliste capillaire.
Jǿrn Sleig, le père de Robert Sleig, était amateur de jeux de mots, et il avait choisi le prénom de son fils après un pari avec ses amis le soir de la cuite magistrale que doit prendre tout bon nouveau contribuable à la masse, lorsqu’il participe à rajouter une unité au nombre d’occupants du vaisseau intergalactique que représente notre caillou en suspension dans l’univers incommensurable.
Robert Sleig est un homme charmant et soigné, toujours tiré à quatre épingles, coiffé comme dans les magasines et habillé comme un mannequin. Il fait faire des rêves érotiques à toutes les filles, femmes et mémés à qui il teint les cheveux en bleu, rose ou violet.
Son visage parfait, cadeau de sa mère Irlandaise est encadré par de beaux cheveux que tout le monde croit teints tant leur couleur cendrée, cadeau de son père Norvégien, parait artificielle.
Sa corpulence d’athlète est entretenue par ses deux heures de musculation quotidienne et de sudation au « Hammam Éros pour homme » à deux rues de son salon.
Robert n’a jamais caché son homosexualité et c’est sans doute cela qui lui vaut les honneurs de toutes les femelles du quartier qui rêvent en secret de le remettre sur la droite ligne et, quand elles sont entre ses mains expertes, elles s’abandonnent avec délectation à ses manipulations, dans le vain espoir de poser leurs têtes sur son torse musclé.
L’inaccessible Robert qui n’aime chez les femmes que leurs maris, leurs frères, leurs fils…
On sait dans le quartier, mais on taira ici les noms pour les familles, qu’il y en a quelques uns qui s’y sont laissés prendre par ailleurs, et qui se sont laissé tenter par une petite glissade en Bob Sleig.
Ceci entrant dans le cadre intime de la vie privée, nous ne nous étendrons ni sur la question, ni sur le sujet. Reprenons.
- Tu as appelé la police Bob ?
- Oh non ! Quelle horreur ! Pour voir cet horrible Turc débarquer dans mon salon ! Bouh ! Oh !
- Libanais, c’est un Libanais ! Mais tu as raison c’est mieux comme ça, personne n’appelle la police, ça va se nettoyer tout seul.
- Oui mais en attendant, il bouche toute la vue sur ma devanture.
- Je te parie mon repas de demain que dans moins de deux heures il ne sera plus là.
- Je te parie une teinture et une coupe que tu te trompes.
- C’est combien une teinture et une coupe ?
- Soixante euros.
- Soixante euros ! Hé, mais ce n’est pas équitable comme pari !
- Tope là !
- Non, je ne tope pas, ce n’est pas équitable.
- Tu n’es pas joueur Jef.
- Si mais je n’aime pas si ce n’est pas équitable.
Ils continuaient leur conversation sur l’équité des paris pendant qu’ils se dirigeaient vers le café du coin.
- Alouette sans tête, pigeon sauce Varennes, crème renversée.
Le docteur était affalé sur le comptoir et continuait de débiter ses menus fantaisistes et révolutionnaires arrosés à la fine (Napoléon).
- Monsieur Cacha, monsieur Sleig !
- Docteur, Serge.
- Ça va messieurs ? Dites donc, il y a de l’ambiance dans l’impasse aujourd’hui, et tout ça pour vous, chapeau. Dites donc, ce n’est pas souvent, mais là ils se rattrapent vos clients.
- Qu’est ce que je vous sers ?
- La bite mais pas trop fort !
- Docteur, surveillez votre langage, c’est une maison sérieuse ici.
- Un grand blanc sec pour le coiffeur et une blonde sans faux col de l’utérus pour le détective…pff !
- Docteur calmez vous, sinon je vais me retrouver dans l’obligation de vous couper la source.
- Rien à souper d’vot’course…heu…Rien à couper d’vot’source, vous n’êtes pas l’seul déféqué qui passe…heu…Vous n’êtes pas l’seul des cafés d’l’impasse….pff !
- Un petit noir bien serré Serge, merci.
- Et un indien Serge, sans glace.
- Ouah ! nous avons des voyageurs !
- Et un cuba libre pour le Docteur ! cria-t-il avant de retomber la tête dans sa soucoupe de cacahouètes.
- Dites donc monsieur Cacha, ça sent le brulé, prenez garde à vous, ça nous ferait bien de la peine s’il vous arrivait quelque chose !
- Ne vous inquiétez pas Serge, ce n’est pas après moi qu’on en a, tout du moins pas pour l’instant.
Une voiture entrait dans l’impasse et se garait devant le numéro 4. Un homme en sortait pendant que l’autre restait au volant. L’homme à pied se dirigeait vers le salon de Bob qui se levait à son tour. Jef le rattrapait par le bras.
- Un client et un homme !
- Oui mais pas pour toi.
Depuis le café du coin, on voyait dans le reflet de la devanture du coiffeur, l’homme qui ouvrait la porte latérale du 608 puis la refermait rapidement.
L’air dépité, il retournait au véhicule et parlait au chauffeur tout en effectuant un geste répétitif de son doigt sur sa tête.
Il avait l’air de poser une question, et l’autre lui répondait en bougeant la tête de droite à gauche, tout en montrant la paume de ses mains en l’air comme font les musulmans qui prient.
L’homme qui était hors du véhicule pris son portable, et passa un coup de fil rapide puis, une fois l’appel effectué, l’homme qui se trouvait au volant sorti et pris la conduite de la camionnette. L’homme au portable pris le volant de la voiture et les deux véhicules disparurent comme ils étaient apparus. Il n’y eut pas plus d’enquête que ça.
- Tu aurais put gagner une teinture et une coupe.
- Oui je sais mais ça n’était pas équitable.
- Au moins j’ai récupéré ma vitrine.
- C’est toujours ça de gagné…Qu’est ce que tu penses de tout ça ?
- Je pense que tous ces gens sont bien sous pression, que les trois surveillants n’étaient pas la officiellement, et que le rugbyman n’est pas un policier, mais que ceux qui étaient dans le camion et la voiture en étaient, seulement ils n’avaient pas envie que quelqu’un sache qu’ils étaient là.
- C’est bien raisonné, mais ça t’amènes à quoi ?
- A me demander ce que toi, Cacha, tu fais dans cette histoire.
- Je me le demande moi-même Bob, je me le demande aussi…
Chapitre sept – Chape huitre sceptre.
21 h 50, Aéroport du Bourget,
Seine Saint Denis, Nationale 2.
- Z’êtes en avance parton, l’rendez vous c’est 22 heures, non ?
- Oui je sais mais je préfère parfois, c’est mieux pour se rendre compte.
- Franck Boyer venait d’arrêter son taxi à une centaine de mètres de l’entrée de l’aéroport.
- C’qu’on fait patron ?
- On attend.
- On attend quoi patron ?
- Je ne sais pas.
- Ok patron.
Franck a l’habitude de conduire Jean-François ici et là et de faire des filatures pour lui.
Il aime bien appeler Jean-François patron quand il travaille pour lui.
Il a aussi l’habitude de ramasser Jef le nez en sang quand ça se passe mal.
Franck est un garçon ponctuel et maniaque.
Sa voiture embaume le pamplemousse.
Il est assez petit et ses cheveux bouclés sont châtains clair.
Il porte souvent une casquette façon gavroche et ça lui va bien.
Habillé en taxi à l’année : Pantalon à pinces, chemise bien repassées et chaussures toujours neuves comme les pneus de son véhicule.
Il est parfait. Son seul défaut, qui est aussi une qualité, c’est qu’il a l’habitude d’utiliser des raccourcis connus de lui seul, mais parfois de langage.
C’est un garçon apostrophique.
Note de l’auteur (c’est moi) :
Pour faciliter la lecture, les propos de l’individu ont été légèrement modifiés afin que son tic ne soit pas trop agaçant pour le lecteur.
- Savez des fois, j’amenais un gars ici au Bourget, c’tait un entrepreneur célèbre. Ce mec faisait toutes ses combines depuis le Bourget et y transformait un paquet d’fric dans sa valoche. J’l’sais pars’qui comptait dans la voiture et vous savez comment y f’sait l’gars ?
- Non.
- Et ben, tout naturel, y rentrait dans l’aéroport et pis y avait un aut’type dedans avec un’aut’valise. Quoi d’plus naturel et d’normal que deux gars avec des valises dans un aéroport. Hein ?...Hein ?
- Je ne sais pas Franck.
- Et ben rin just’ment, c’est normal voyez ?
- Oui, je vois
- Donc les gars, y louaient un avion et pis une fois qu’y étaient en l’air, y f’saient leurs combines tranquillou à trois mille met’ du sol. C’est y pas beau la vie ? Après y s’posaient ici ou là, en Normandie, à Biarritz, à Nice ou j’sais pas où, y allaient boire un bon canon à leur génie respectifs et pis y revenaient par le même « avion marché ». C’était bien ficelé leur bidule au moins la haut y avait nib pour met’son blair dans leur fafs. Et vous savez ou qu’est z’étaient les valoches pendant qu’y tisaient leur canon ?
- Non.
- Dans l’avion, en sécurité sous l’œilleton des autorités qui surveillaient que rien ni personne ne rentre ni ne sorte de celui la.
- En encore mieux, comme c’était un vol intérieur, y avait pas d’contrôle et pis comme les deux forains c’était pas des p’tios, les poulets se mettaient même au garde à vous devant sa rosette quand y sortaient de l’aéroport avec sa valoche pleine de trucs pas clairs. Je sais parce que c’était toujours moi qu’il appelait. Moi l’amenais et pis j’poirotais trois plombes le temps qu’il aille se j’ter son godet avec son poto. Payé d’avance c’était bonnard. Pis à chaque fois j’avais droit à un souvenir.
- Et il est où maintenant ton client en or ?
- En tôle, il a voulu se lancer dans la politique mais les autres n’ont pas voulu le laisser jouer dans le carré de sable alors clac, en tôle. Oh !
- Dommage pour le client.
- Pas grave, j’en ai des aut’ !
A 21 heures 58, Jef fit démarrer le taxi qui se présenta devant la porte de l’aéroport.
Une seconde voiture les suivait. Elle alluma ses feux et démarra à la suite du taxi en le suivant à une distance raisonnable.
Le taxi se gara au débarcadère piéton juste devant la porte d’entrée de la zone voyageur. Jean-François en sortit et entra dans le grand hall du bâtiment aéroportuaire après avoir donné une dernière indication à son taxi.
La seconde voiture approchait rapidement et se garait derrière Franck Boyer. Le passager eut juste le temps d’ouvrir sa portière, et la grosse Mercédès au toit éclairé par les quatre lettres sur fond blanc, emboutissait en marche arrière la petit voiture des suiveurs, d’où une épaisse vapeur s’échappait maintenant de dessous le capot éventré, et ou deux têtes étaient encastrées.
Une dans le volant, l’autre dans le vide poche du tableau de bord.
Avec un bruit de métal déchiré, la Mercédès se désolidarisait de la Fiat Uno, et reprit sa course comme si de rien n’était.
Un homme circulait dans le hall avec une pancarte portant le numéro 750313.
Jean-François lui fit un signe discret et l’homme le devança de trois à quatre mètres, tout en le guidant dans les couloirs menant à la piste de décollage des avions privés.
Une fois sur le tarmac, l’homme demanda à Jef qu’il lui montre le texto sur son téléphone, puis il effectua la réponse sur un autre numéro que celui de l’envoyeur. Une seconde plus tard, la réponse tombait.
C’était parfait, tout était en ordre et Jean-François venait de faire poinçonner son billet sans le savoir.
- Si vous voulez me suivre monsieur, votre avion vous attend.
- Mon avion ?
- Oui monsieur.
- Ah.
- Vous n’étiez pas informé monsieur ?
- Non, je ne savais pas qu’il était prévu que je voyage mais allons y, ne faisons pas attendre le pilote.
- Je suis le pilote monsieur.
- Et bien allons y je ne voudrai pas vous faire attendre.
- Très bien suivez-moi monsieur.
- Allons-y.
Sur la piste, un superbe avion tout blanc qui ressemblait à un jouet géant attendait de prendre son vol.
- Ou allons-nous ?
- Nous à Nice monsieur, vous à Monte-Carlo.
- Bien, bonne idée.
Une superbe femme descendit de l’avion pour accueillir les deux hommes.
Elle était brune, les cheveux coupés en carré sauf une mèche plus longue qui descendait derrière son oreille droite.
Elle avait de grands yeux maquillés avec soin qui lui donnait un regard énergique.
Son visage était fin et Jean-François crut y reconnaitre quelque chose d’Italien, de Toscan, une madone à la Raphaël.
- Bonsoir monsieur Cachakopoulos, soyez le bienvenu.
- Bonsoir mademoiselle, heu ?
- Valérie, monsieur Cachakopoulos
- Bonsoir Valérie, c’est une vrai joie d’embrasser une aussi délicieuse création, dame nature vous aime Valérie.
- Merci monsieur, si vous voulez bien me suivre.
- J’irais n’ importe où avec vous jeune fille.
- Je vous en prie…
- Bienvenue à bord Monsieur, repris le pilote.
- Êtes-vous prêt à partir monsieur ?
- C’est quand vous voudrez.
- Alors si vous voulez bien vous installer et mettre votre ceinture, le temps que j’effectue les ultimes procédures, nous décollerons dans une minute monsieur.
Cacha se cala dans un des énormes fauteuils qui composait l’intérieur de l’espace destiné aux passagers, et tenta de boucler sa ceinture.
Par manque d’habitude, il rencontra une résistance de la part du petit mécanisme sophistiqué.
Immédiatement, deux superbes mains aux ongles vernis saisirent l’instrument et, avec une douceur et une assurance toute professionnelle, elles virent au niveau de la ceinture de Jean-François pour réunir dans un petit « Clic » d’un érotisme sans pareil, le male et la femelle qui constitueront la sécurité du corps de Jean-François le temps que l’objet s’élève à plus de quarante degrés dans le ciel.
Il n’en fallut pas plus pour qu’une interprétation toute personnelle de la chose se passe dans la partie médiane du corps du détective.
L’avion venait de décoller et l’hôtesse revint près de Jean-François.
- Voila, nous sommes en l’air maintenant, comment vous sentez vous ?
- On ne peut mieux Valérie, de combien de temps disposons nous ?
- Le vol est prévu pour une durée de cinquante cinq minutes monsieur Cachakopoulos.
- Appelez-moi Jef.
- Jef.
- Excusez moi, je n’ai pas essayé de défaire ma ceinture, auriez vous la gentillesse ? dit il en baissant les yeux sur l’objet tendu.
- Avec plaisir Jef.
La main de l’hôtesse se posa sur le haut du genou de Jef, et remonta tout le long de sa cuisse jusqu'à son entre-jambe, avant de se diriger sur le loquet de la ceinture qui fit entendre son « Clic » libérateur.
Les miracles de la suspension offrirent un trou d’air au détective qui projeta la jeune femme dans les bras ouvert de son passager unique.
Il réceptionna le corps avec douceur et fermeté.
Elle sentait bon et se lovait avec abandon.
Les fauteuils étaient assez grands pour accueillir un Douyoumdjian et demi et les amants s’unirent confortablement dans l’intérieur immaculé du véhicule de luxe.
- Désirez-vous une coupe de champagne Jef ? Lui demanda-t-elle, après avoir repris un peu de tenue malgré un des boutons supérieur de son corsage qui avait lui aussi cédé aux avances du voyageur.
- Avec Plaisir Valérie.
Jean-François savourait le plaisir de cette coupe aux bulles fines et à l’arome délicat. Il fermait les yeux et encore embrumés des effluves de Valérie, il ne put s’empêcher de se repasser dans sa tête les images érotiques de sa journée.
Une belle journée en vérité. Rythmée, surprenante, animée, deux top-canons offertes sur un plateau… C’était super de vivre une vraie journée de détective privé.
Une lumière rouge s’alluma dans l’habitacle et Valérie se présenta. Elle attacha la ceinture de Jef sans omettre de faire glisser sa langue sur les lèvres de celui-ci puis elle s’éclipsa.
L’avion amorçait sa descente sur Nice.
Depuis son hublot, Jef voyait les lumières de la côte qui formaient une grande guirlande jaune et blanche étirée tout le long de la mer.
L’avion repris contact avec les lois physique de la gravité et mis ses roues sur la piste. Il s’écarta sous les ordres d’un personnage en jaune fluo qui le guida jusqu’à son aire, celle des privés, bien en vue des badauds de la promenade des anglais.
Une minute plus tard, un gros avion aux couleurs d’un soldeur se posa. La différence de coût pour un trajet identique amusa Jef.
Combien coutait un voyage comme le sien ? Bonbon.
Incontestablement, l’écart entre les riches et les moins pauvres était énorme et les deux moyens de locomotion par voie aérienne en étaient un exemple flagrant.
- J’espère que vous avez passé un agréable voyage monsieur.
- Inoubliable Valérie.
Un véhicule attendait Jean-François à la sortie du Jet pour le conduire à l’héliport.
Le véhicule était électrique et circulait dans la zone sans autre bruit qu’un « bip bip » régulier et un peu agaçant à une vitesse jugée excessive par Jef cramponné à une poignée. Un peu plus vite et on aurait put penser que le véhicule, jaloux des avions, prenait de la vitesse pour décoller à son tour.
L’hélicoptère attendait et le pilote était occupé à faire chauffer l’appareil aux couleurs d’une grande société de location monégasque.
Jean-François sauta dans le gros insecte qui vibrait pendant que les palles se mettaient en mouvement. Il s’attacha (il n’y avait pas d’hôtesse) et mit le casque que lui tendait le pilote.
Bonsoir Monsieur, bienvenue à Nice
Bonsoir, merci.
Avez-vous fait bon voyage monsieur ?
Oui très agréable merci.
Très bien allons-y.
L’appareil quittait le sol avec force et bruit puis survola la mer en longeant la côte à bonne distance.
Le spectacle de la Côte-d’Azur la nuit s’offrait à Jef qui savourait l’instant avec l’excitation que procure le déplacement dans ce genre d’engins.
Le conflit entre l’adulte et l’enfant était à son apogée dans l’esprit et le corps de Jef.
D’un coté l’enfant jubilait et était tenté de pousser des cris et de poser un million de question au pilote, voire de toucher ce bouton là, ou celui là, pour voir ce que ça ferait.
De l’autre, l’adulte le résonnait et arborait un air grave.
- Ça c’est le Château de Nice et le port Monsieur. Cria le pilote dans le casque.
- Ah oui ?
- C’est beau n’est-ce pas ?
- Oui c’est beau ! Répondit l’enfant.
- Et ça c’est le Mont Boron.
- C’est super ! Cria le petit
- Vous êtes ici pour affaire ?
Personne ne répondit.
- Excusez ma question monsieur.
- Il n’y a pas de mal, dit l’adulte.
- Nous sommes au dessus de la pointe du Cap de Saint-Jean-Cap-Ferrat monsieur.
- C’est la première fois que vous voyagez en hélicoptère ?
- Oui c’est très impressionnant ! Cria l’enfant.
- Voila Èze, Cap d’Ail, et ici Fontvieille monsieur, c’est là que nous atterrissons.
- C’est vraiment beau.
- Voila monsieur, nous sommes arrivés.
- « Oh déjà, ça va vite » se désola petit Jef.
- Nous sommes arrivés, monsieur.
- Merci beaucoup.
L’hélicoptère se taisait. Jean François laissait encore quelques secondes à l’enfant pour qu’il profite du moment.
C’est l’adulte qui sortit de l’appareil, après que l’enfant ait serré la main de son nouveau héro, en se promettant d’être pilote d’hélicoptère quand il sera grand.
Un Porsche Cayenne à la façade agressive attendait Jean-François sur la zone de l’héliport.
Jef s’avançait vers lui quand le pilote vint à lui en courant.
- Monsieur, monsieur !
Jef se retournait surpris, le pilote lui tendait un grand papier. « La facture ? »
- Votre certificat de baptême de l’air en hélicoptère, monsieur.
Jef était tellement heureux qu’il fit l’accolade au pilote et que l’enfant profitant d’une faille dans sa défense lui posa une grosse bise sur la joue.
- Merci.
- Avec plaisir monsieur.
Le pilote s’en retournait tout content.
- Soyez le bienvenue à Monte-Carlo monsieur Cacha, salua l’homme aux chaussures marrons.
- Herchi Rocky.
- Je m’appelle Victor monsieur Cacha, et je suis votre guide. (Victor avait une grosse voix)
- Bien, essayons de ne pas nous battre alors.
- Je dois vous présenter mes excuses pour ce matin monsieur, j’ai cru que vous en aviez après le patron.
- Évidement, vous ne pouviez pas savoir.
- J’apprécie votre compréhension monsieur.
- Sans rancune, n’en parlons plus, ce sont les risques du métier n’est ce pas ?
Jean-François lui tendait une pogne amicale. Les deux hommes se serrent la main et Victor prenait soin de doser sa poigne pour qu’elle soit moins forte que celle de Jef, à croire qu’il lui faisait allégeance.
Les deux hommes montèrent à l’arrière du véhicule qui démarrait en direction de la ville aux casinos et aux banques.
- Avez-vous diné monsieur ?
- A vrai dire non, je n’ai pas eut le temps.
- Voulez vous diner maintenant ou plus tard ?
- Plus tard merci où allons nous ?
- A votre hôtel monsieur.
- Bien.
Le véhicule glissait dans les rues aseptisées de la cité cinq fois centenaire des Grimaldi.
Il s’engageait dans une montée, tourna à droite et pris une voie gardée par des vigiles. A la vue de la Porsche, ceux-ci s’écartèrent et retirèrent leurs képis.
- Ils croient que c’est le patron s’amusa le chauffeur.
- Un peu de tenue, le réprimandait Victor.
Le véhicule se garait devant la porte d’un palace tout en vitres et en marbres. Un chasseur accourait pour ouvrir la portière du félin d’acier.
- Soyez le bienvenu à Monte-Carlo monsieur Cachakopoulos, si vous voulez bien me suivre je vous prie.
- Bagagiste ! cria le chasseur avec théâtralité.
Je n’ai pas de bagages.
Le chasseur renvoya le groom avec un geste de la main comme on chasse une mouche qui tourne trop près de soi.
- Monsieur Cachakopoulos ! S’exclama un homme en costume les bras levés au ciel comme si Jef était un habitué généreux qu’on avait pas vu depuis longtemps, puis il lui tendit une main franchement moite.
Je suis le directeur de l’établissement monsieur Cachakopoulos, c’est un réel plaisir de vous recevoir.
Je vais vous conduire à votre suite mais avant, sans vouloir consacrer de votre temps précieux, une simple formalité pour faciliter vos accès à nos prestations, si vous voulez bien signer ici.
Il lui présentait un petit écran ainsi qu’un crayon magnétique et Jef signa.
L’opération effectuée, le directeur souffla comme si Cacha venait d’être décrucifié.
- Je vous en prie monsieur, après vous, dit-il en montrant l’ascenseur.
- Je préférais l’escalier.
- Mais, monsieur Cachakopoulos, c’est au dernier.
- Qu’importe.
- Monsieur ?
- Les ascenseurs ne m’aiment pas.
- Pardon monsieur ?
Le directeur avait l’air tellement ébroué par son refus que Jef se senti obligé de monter dans l’ascenseur.
- Tout va bien se passer monsieur Cachakopoulos.
- Si vous le dites…
Le liftier appuya sur le bouton le plus en haut de la console et les portes se refermèrent sur une musique sucrée.
L’ascenseur s’élevait en silence baigné d’une lumière radiante d’un verre poli. Correction, la musique était aigre-douce.
L’appareil en mouvement commença à vibrer très légèrement, puis, il se mit à tressauter, pour finalement s’immobiliser entre deux étages dans un claquement final d’une extrême violence qui fit sursauter les deux compagnons d’infortune de Jean-François.
- Oh mon dieu ! Que se passe-t-il ?
- Je vous ai dit, les ascenseurs ne m’aiment pas.
Le liftier appuyait sur tous les boutons en même temps mais rien ne se passa. Même la sonnerie d’urgence semblait ne pas fonctionner.
- Oh mon dieu ! murmura le directeur.
- Détendez vous mon ami, il y en a surement pour un moment, il ne faut surtout pas paniquer, il faut attendre, c’est tout ce qu’il y a à faire.
- C’est dommage que l’on n’ait pas prit à manger et à boire.
- Je suis confus monsieur Cachakopoulos.
- Non c’est de ma faute, je n’aurais pas dut vous suivre dans l’ascenseur, c’est toujours pareil.
Le directeur était en transe. Jef sentait que le verni ne tarderait pas à craquer. C’était une question de temps.
Le liftier avait un sourire en coin ce qui fit dire à Jef que c’était un brave type.
- Ça vous est déjà arrivé ?
- Non monsieur, c’est la première fois, répondit le liftier.
- C’est bien, ça vous change de la routine.
- Si vous le dites, monsieur.
- Au moins après ça, vous ne regarderez plus votre outil de travail de la même façon.
- Cela va s’en dire, monsieur.
- Oh mon dieu ! Je suis tellement confus.
- Pas de problème mon ami, pas de problème, ça vous fait une pause.
- J’admire votre sang froid, monsieur Cachakopoulos.
- C’est forcé, nous sommes là pour au moins une heure.
- Une heure ! Mais c’est impossible !
- Pour l’instant, le record de libération c’est à la tour de la défense, cinquante sept minutes ! Mais les ouvriers étaient sur site, alors on va voir… Quelle heure est-il ?
- 23 heures 36, monsieur Cachakopoulos.
- Je vous parie un café que ça va durer plus d’une heure.
Personne ne releva le pari. Pourtant le liftier avait bien envie, ça se voyait dans ses yeux. Jef lui fit un clin d’œil. Pari tenu, tous les deux avaient parié contre le directeur à son insu.
- Heureusement, il est grand votre ascenseur, on va pouvoir s’asseoir.
Jean-François s’assied par terre (sur de la moquette prune).
Les deux employés du prestigieux palace restaient debout.
- Excusez moi, je ne veux pas vous forcer mais si vous restez debout, je vais être obligé de me lever moi aussi, d’ici la vue n’est pas terrible.
En effet, les compagnons de naufrage inter-palier offraient, depuis son point de vue, le spectacle de leurs postérieurs, ce qui n’était pas l’idéal.
- Asseyons nous, dit le directeur au liftier.
Le directeur n’était pas très à l’aise dans l’ascenseur et commençait à souffrir de l’enfermement.
Il avait légèrement desserré sa cravate.
Une demi-heure plus tard, il avait retiré sa veste et sa cravate.
Encore une demi heure plus tard et il avait détaché sa ceinture et déboutonné deux boutons au col de sa chemise.
Jean-François tentait de détendre tout le monde avec des blagues sur les blondes.
Une heure et demie après le naufrage, ils étaient tous les trois copains comme cochon et on se poêlait carrément dans la cage immobile.
Chacun remettait la sienne dans un concours de blagues qui devenaient carrément dégueulasses.
Encore une demi heure plus tard, et le directeur riait tellement de la blague hyper dégueulasse qu’il venait de raconter, que de la morve coulait de son nez, et que ces rires ressemblaient au bruit d’un verrat qu’on nourrit.
Heureusement que Jef avait son mouchoir, sinon le responsable du gros cube compartimenté destiné à la location journalière meublée avec service d’étage pour gens au pouvoir d’achat supérieur à la moyenne, était prêt à se moucher dans sa pochette tissée avec le fil né de la sécrétion abdominale d’une larve de bombyx du mûrier.
Il fallut deux heures et vingt six minutes pour que la porte s’ouvre et qu’en sortent les trois héros aussi présentables que s’ils avaient passé les 146 minutes de leur séquestration debout, dignement, à attendre les secouristes.
Ils furent accueillis par les clients et pompiers et eurent droit à une ovation digne d’un spectacle de rock.
Ils finirent l’ascension par l’escalier.
- Voila ta suite Jef, si tu as besoin de quelque chose, appuie ici ou fait le 901 c’est mon bureau.
- Envoie-moi une blonde avec un « Tampax » sur l’oreille !
- Oh qu’est ce que j’ai fait de mon stylo ? Finit le directeur accompagnant sa réponse de son rire « Gngrouf gnougrouf gnrouf » si particulier.
- Au fait tu n’as pas de bagages ?
- Non je n’ai pas eut le temps.
- Je t’envoie un costume. Au fait, tes rayures, ça n’est plus à la mode à Monte-Carlo depuis 1931. Je te fais livrer un encas pendant que tu te douches si tu veux.
- Oui Luc, c’est gentil, avec plaisir.
- De rien, à plus tard.
- A plus tard, merci.
- Merci à toi Jef, j’ai passé un bon moment avec toi, je suis content de t’avoir rencontré.
- Moi aussi Luc.
Le directeur quitta la suite et Jef quitta sa veste.
Il se rendit dans sa salle de bain de luxe ou il fit couler de l’eau monégasque dans une baignoire en marbre. Il urina luxueusement dans un trône britannique aux battants dorés à l’or fin, puis tira une chasse ornée d’un brillant qui enveloppa d’une couleur bleue-azur (au ton certainement choisi dans la palette d’un décorateur illustre), sa modeste contribution qui vira immédiatement sur une teinte vert pâle. Classe !
Il était près de trois heures du matin quand Jef sorti de sa suite après avoir pris une bonne douche, pris une collation tout à fait correcte pour l’heure, livrée discrètement dans sa chambre pendant qu’il faisait ses ablutions.
Un costume emballé dans une housse de teinturier, ainsi qu’une chemise neuve à sa taille, l’attendaient posés sur son lit.
En dinant, il s’était fait la réflexion qu’il avait mit deux fois plus de temps pour gravir douze étages que pour faire Paris-Nice.
Avant de quitter sa chambre il se regarda dans la glace,
Il était élégant.
Il descendit les douze étages par l’escalier ou il ne croisa aucun client.
Tous les usagers étaient des employés qui le regardaient comme un extraterrestre. Il surprit un flirt entre deux garçons d’étage ainsi qu’une femme de chambre sortant sans doute de celle d’un célèbre homme politique et qui remettait sa culotte. La vie quoi.
Au rez-de-chaussée, Victor était assit dans un fauteuil, somnolant, tant il est vrai que lui aussi, avait eut une journée bien chargée… Il avait tourné son siège pour faire face à l’ascenseur.
Bouh ! cria Jef derrière son dos.
La grosse carcasse effectua un demi-tour digne des félins les plus élastiques, et était arquée sur ses jambes, prêt au combat, la main droite dans l’intérieur de son veston.
- Bravo, excellents reflexes Victor, avec un homme comme vous je suis en sécurité.
- Comment êtes vous descendu ?
- Par les escaliers.
- Ah bon ? il y a des escaliers ici ?
- Oui, et des ascenseurs qui tombent en panne.
- C’était vous ?
- Oui, c’était moi.
- Et bien vous avez fait une entrée remarquée, tout le monde de Gènes à Cannes ne parle que de vous.
- Vous avez diné ?
- Oui dans ma chambre.
- Et bien allons y.
- Ou allons-nous ?
- Voir le patron.
- Bien.
Ils sortirent de l’hôtel pour s’engouffrer à nouveau dans le Cayenne qui les déposa quelques rues plus loin sur une place illuminée à outrance ou la vie battait son plein, bien qu’il soit très tard.
Un million de petites ampoules clignotaient et mettaient en valeur les courbes néo-classiques de l’architecture du bâtiment de distractions pécuniaires. (Oh ! le crasseux sujet monétaire)
Les voitures de luxe et les voitures de course sur autoroute, se disputaient les rares places disponibles pour parader sous les flashs des touristes qui prenaient des pauses du style « C’est la voiture de mon jardinier ».
Les badauds erraient devant les porches à la « Garnier » ou étaient postés des physionomistes incorruptibles.
- Bonsoir monsieur, soyez le bienvenu.
Le portier ouvrit l’espace à Jean-François talonné par Victor et là, Jef bascula dans la quatrième dimension.
Argent, espoir, costumes du dimanche, lumière indirecte, moquette, gens assis qui replissent le ventre de la bête, couleurs, bredouillages, flash d’un jackpot, cri, enthousiasme, transpiration, parfum qui pique le nez, bruit de pièces métalliques qui tombent, laser, vigiles discrets, musique, yeux fermés, bouches qui prient, femme qui caresse amoureusement une machine, puis un passage fermé par un cordon.
- Bonsoir monsieur.
Cordon qui s’ouvre, escaliers qui descendent, calme, feutres, murmures, vrais diamants, vrai costumes, vraie moquette, lustres, luxe, lucre, oh ! Luc !, sourire en coin, signe discret.
- Suivez-moi monsieur.
Bulles, cigares, sourires, joie, voiles, ors, perles, rires snobs, joueurs concentrées, plaques qui volent nonchalantes :
- Personnel.
- Merci monsieur.
Le 8, le 13, le 25, le 7, le rouge, le noir, pairs et impairs, on gagne, on perd, assemblée fair-play.
- Les jeux sont faits, rien ne va plus…
Bienvenue dans le monde merveilleux de Camillo Cornelli.
Chapitre sept – Blanc comme neige.
Tout en suivant son guide dans les salles à haut plafonds ornés de dorures et de trompe l’œil, de rideaux tombants des hautes fenêtres qui percent les murs, Jef reconnait ici un joueur de golf célèbre, une vedette de cinéma, ici un couturier de renom, là une cantatrice à l’opéra, un illustre entrepreneur en grande discutions avec un maire bien connu de la justice, au fond là bas une présentatrice de la télé, encore un sportif, une autre étoile du petit écran, un illustre écrivain, là une vedette de la chanson les yeux plongés dans ceux d’un producteur bien connu, plus loin un chanteur pour midinette et son petit ami, encore un sportif…
Un pianiste égraine des musiques d’ascenseur admiré par quelques jolies jeunes poules qui attendent que leur coq ait fini de se faire plumer pour rentrer au nid.
Seul un homme est survolté et passe de tables en tables distribuant tapes amicales sur l’épaule, poignées et baises mains, le sourire impeccable et les dents blanches et longues.
Ses cheveux blancs sont coiffés et arrière et plaqués au gel. Il a un costume superbement taillé dans un tissu sans aucun doute hors de prix qui renvoie toutes sortes de couleurs et de reflets, sa chemise est brodée d’or au col et aux manches, il a des boutons de manchette décorés de petits diamants et une gourmette en or. Sa main tient négligemment une cigarette au filtre blanc, l’autre lui sert à serrer les mains amies, et à faire signe au boy qui le suit à la trace et qui propose des coupes aux gens qui ont été saluées par l’homme à la chevalière noire avec un motif incrusté en argent.
« Ça c’est Camillo Cornelli » se dit Jef.
L’homme s’immobilise et le regarde fixement comme si il cherchait à le reconnaitre.
Son visage s’illumine il tend les bras à Jef et affiche un sourire trente deux dents.
- J’ai fait caca ! crie Camillo Cornelli en direction de Jef.
Personne n’avait dut le prévenir de l’intonation que son nom pouvait prendre avec une lecture à l’italienne.
Une expression digne d’un enfant de deux ans qui attend qu’on vienne le torcher.
Reprenons la scène et traduisons.
- Jéfé Caka ! (le [ch] se prononçant [k] en italien).
Quel plaisir de vous voir Jéfé ! Avez-vous fait bon voyage ? Cette petite Valérie est une vraie coquine hein ? Prenez une coupe ! Avez-vous diné ? Quel plaisir n’est ce pas ? Comment trouvez-vous votre chambre ? Vous êtes très élégant ! Comment allez-vous ? C’est la fête ce soir ! Vous avez vu les gens ? Tout le monde s’amuse ! Vous aimez jouer ? C’est formidable la vie ! Est-ce que vous aimez gagner ? Tenez, prenez la blonde la bas ! Vous avez des jetons ? Vous êtes mon invité, si, si ! Comment trouvez-vous Monte-Carlo ? Quel bonheur ! Amusez vous cher ami ! Amusez vous ! Amusez vous ! Amusez vous !...
Et Camillo Cornelli repartait poser ses mondanités plus loin.
Il était comme un papillon de nuit, il passait de fleurs en fleurs pour les fertiliser avec ses petites pattes fragiles et les sucer jusqu’à épuisement avec sa grande trompe. Puis, d’un coup d’aile gracieux, il repartait sur une autre fleur dans un vol délicat porté par le vent du sud.
Le boy proposait une coupe à Jef, il la saisit.
Un homme lui donnait dix plaques de mille pour jouer, la bonde se scratchait à son bras.
Pour le reste de la nuit, il était un jet-setter de plus dans la cité princière.
Jef se mit à la table d’un jeu dont il ne connaissait pas les règles.
Il posa une plaque sur un numéro et gagna. Il but un verre et rejoua, il gagna. La blonde était surexcitée et poussait des cris qui faisaient mal à l’oreille de Jef.
Il mit encore des plaques et gagna, gagna, gagna, ganga, gnaga pendant près d’une heure trente.
A la fin le croupier annonça banqueroute et ferma la table. Il était temps, Jef était crevé et les gens avaient presque tous arrêté de jouer pour le regarder comme s’il était vert fluo.
Jef partit du casino avec un chèque de deux millions quatre cent trente sept mille huit cent euros.
Quand il quitta la table, il n’avait toujours pas saisit la règle du jeu.
Il retourna à l’hôtel avec la blonde toujours scratchée à son bras. L’effet du gain accroissait cette dernière à s’accrocher à lui.
Elle dut subir les douze étages à pied à sa suite.
Quand ils arrivèrent, elle s’endormit immédiatement sur une bergère.
Jef mit ses espèces et son chèque en sécurité sous son matelas et s’endormit du sommeil du riche.
Le lendemain, vers 11 heurs, un objet sonna dans la chambre.
Jef tâtonna autour de lui pour éteindre son réveil.
Il s’étonnait, d’habitude il se réveillait sans réveil, à force de tâtonner sans trouver il ouvrit les yeux.
Il n’était pas dans sa chambre et l’objet qui sonnait était un téléphone couleur ivoire.
Où donc pouvait-il bien être ?
- Moui ?
- Bonjour monsieur, ici la réception.
- M’n’bouif ? De ? Ah oui !
- Monsieur Cornelli vous fait dire qu’une voiture passera vous chercher à 12 heures 30.
- Maou ? Accord merci.
- Souhaitez vous déjeuner dans votre suite ou au restaurant monsieur ?
- Au restaurant, oui.
- Très bien monsieur nous vous réservons une chambre, quelqu’un a fait livrer une tenue devant votre porte monsieur.
- Ah oui ? Bien, merci.
- A votre service monsieur.
Jean-François passa rapidement sous la douche.
La fille dormait toujours sur la bergère. Elle avait la bouche ouverte et son bras pendait. Un filet de bave avait coulé et séché sur sa joue. Elle était décoiffée, son maquillage était mélangé et des traits noirâtres entouraient ses yeux. Elle n’était vraiment pas jolie. Jef lui laissa quelques billets violets.
« Triste spectacle » se dit-il en refermant la porte derrière lui.
Les employés de l’hôtel sauraient, espérait-il enlever ce qui trainait dans la suite.
- Luc ! s’écria Jef en arrivant dans le hall.
- Monsieur Cacha ! répondit celui-ci.
En réponse, il lui tendant une main grande ouverte et l’entrainant dans son bureau en continuant de le tenir et la main gauche sur l’épaule en un signe amical et complice.
- Dis-moi Luc, tu as un coffre dans l’hôtel bien sûr.
- Pourquoi tu veux faire un casse ?
- Non t’es con ! Je voudrai planquer mes économies.
- Tu as hérité ?
- Non j’ai gagné au casino hier.
- Ah Ouhai ! Super ! je suis bien content pour toi.
- Ce sont des espèces ?
- Non un chèque.
- Un chèque ? Fais voir.
- Et ben mon salop !
- Bienvenue à Monte-Carlo ! dit-il avec un sifflet admiratif.
- Tu peux me garder ça ?
- Oui bien sûr, aucun problème, mais tu devrais le signer derrière pour plus de sécurité et je vais faire une photocopie que tu garderas avec toi ça va ?
- Comme tu veux, tu as plus l’habitude que moi.
- Je vais te faire un reçu.
Luc effectua l’opération rapidement et le chèque s’engouffra dans le coffre fort tenir compagnie aux diamants de la cantatrice, aux lingots du marquis ainsi qu’aux espèces de la moitié des clients de l’hôtel.
- Tu as déjeuné ?
- Non j’y vais.
Au fait, il y a une fille dans ma chambre. Si tu pouvais faire en sorte que je ne la retrouve pas dedans quand je rentrerai ce serait bien gentil.
- Comme tu veux.
Jef pris son déjeuner au restaurant. Il y avait six autres personnes dans la salle immense et vide. La star de la télé et un russe qui déjeunait à grand bruit de vin rouge et de pain au raisin, une anglaise et son mari qui semblaient propriétaire de la salle , du personnel et des clients tant ils commandaient à grands ordres ceux qui s’affairaient à accomplir leurs moindres désirs, et un petit couple qui avait dut gagner son séjour dans un bingo. Ils faisaient tache, tout discrets, invisibles et plus qu’à demi impressionné par tout ce qu’ils avaient autour d’eux.
Les tables occupées étaient équipées d’un petit paravent permettant à chacun de conserver sa petite aura d’identité en toute intimité.
Jus d’orange, œufs, pain bacon, beurre et confitures, croissants, pains aux raisins et chocolatines (comme on dit en Belgique) corbeille de fruits et carte pour les « marginaux » qui souhaiteraient une choucroute garnie ou un milk-shake de caviar à la vanille et aux câpres.
Pourquoi pas ? Dans un palace, tout est permis. Tout.
Le café était meilleur au « 13 ».
D’où il était, Jef embrassait toute la salle et avait une superbe vue sur la méditerranée (littéralement – mer du milieu-) des yachts laissaient des trainées blanches derrière eux, et un catamaran étendait ses voiles colorées rouges et blanches sur la grande surface bleue qui se fondait dans le ciel.
La mer était d’huile et on ne voyait pas une vague. De temps en temps, une mouette frôlait les grandes baies vitrées comme si elle effectuait une danse amoureuse avec son reflet (l’enfant en Jef aurait bien voulu la voir s’éclater dans la baie car les enfants sont cruels). Les larges baies vitrées laissaient pénétrer une lumière douce, idéale pour un réveil de qualité.
La star de la télé couvrait Jef d’un regard insistant. On devinait dans ses yeux qu’elle avait déjà vue ce type là quelque part mais qu’elle ne se rappelait pas où. Jef était vêtu tout de blanc, il avait posé sur la table une casquette qui lui avait été livrée avec les habits griffés du couturier en vogue aperçu hier soir, enfin, ce matin au casino. Jef portait des mocassins blancs.
Victor entrait dans la salle de restaurant.
- Bonjour monsieur.
- Bonjour Victor, vous voulez un café ?
- Non merci j’ai déjà déjeuné.
- Un jus d’orange ?
- Non vraiment, vous avez terminé ?
- Oui je crois.
- Vous êtes prêt ?
- Tout à fait.
- Et bien, allons y si vous voulez.
- Oui, allons-y.
Le gros 4x4 allemand attendait devant l’hôtel, et le chauffeur s’occupait à un petit coup de peau de chamois sur la carrosserie féline du gros véhicule. A le voir faire, on aurait cru qu’il caressait la bête pour mieux la dompter.
Quand il vit Jef, il ouvrit la portière arrière et les passagers montèrent. Le chauffeur pris sa place au volant et en trois coups, le majestueux monstre de puissance bridée déposa ses passagers sur la jetée nord du port de Monaco.
Un yacht était à quai, le personnel au garde à vous attendait l’arrivée des passagers.
- Vous n’êtes pas malade en bateau monsieur ?
- Non je ne crois pas.
- Vous savez nager ?
- Non plus, mais je suis bien certain que vous nous éviterez les inconvenants d’un naufrage n’est-ce pas ?
- Bienvenue à bord monsieur, en effet monsieur, il n’est pas prévu de sabordage ce jour.
- J’en suis ravi.
- Allons y, dit Victor
- Tout le monde à son poste, larguez les amarres.
Les amarres furent larguées et le petit Riva Corsaro sortit du port sous les coucous amicaux des touristes et les hommes de la capitainerie. Salvatore, dit Freddy s’épongeât.
Sur la grande jetée flottante, un paquebot déversait son chargement de touristes en short, tongs et poches garnies.
Jef était installé dans le salon en tek qui occupait le pont arrière du bateau, et se ravissait du spectacle agréable de la principauté qui s’éloignait.
Bien que saturée de béton et de verre, le petit Manhattan de la Côte-d’Azur est un vrai régal pour les yeux.
Avec ses grandes tours d’habitations, enfermée dans sa crique, la principauté de Monaco aux artères surplombants les rares falaises encore visibles, offre le prototype même de la ville futuriste.
Le musée océanographique, au bout du rocher qui fut longtemps dirigé par l’homme au bonnet rouge, posé en équilibre sur la pointe du cap imprenable, forteresse des seigneurs Monegus, fantaisie architecturale d’un prince aventurier et naturaliste, écologiste avant l’heure, et les grands hôtels aux façades élégantes, marquent la frontière entre la terre et la mer.
C’est maintenant toute la cote d’azur ou presque que Jef peut voir depuis le Riva.
A gauche le Saint Jean Cap Ferrat, à droite Menton et dans les brumes océanes, on devine la riviera italienne.
Tout au long de la bande littorale, les villes étalent leurs façades alignées de résidence haut standing, derrière, un peu en hauteur, des villas, mas et maisons plus éparses, Roquebrune village, Èze village, des maisons plus isolées encore, quelques villages à peine perceptibles fondus dans les oliviers, les chênes verts, les pins sylvestres et parasols, genévriers et genêts d’Espagne, qui laissent dans l’horizon les doigts levés de leurs clochers baroques.
Ici on devine Èze et le trophée des alpes de La Turbie, souvenir de la pacification romaine du littoral et de l’arrière pays, baigné de son nuage qui rappelle Gibraltar.
Le petit bateau continue sa route plein sud, et bientôt la côte parait un lieu sauvage et abandonné, écrasé par les montagnes qui jettent leurs pieds dans la mer pour une thalassothérapie au format d’atlas.
Au loin, les montagnes des Alpes élèvent leurs sommets dont certains portent encore quelques rares touches de blanc, résidus des neiges de l’hiver passé.
La majesté du paysage remet les villes à leur petite place de petits cailloux en forme de cube, tout justes tolérés par l’élément.
Le Riva ralenti sa course dans la grande bleue et Jef se lève pour regarder au devant.
L’équipage est à la manœuvre pour aborder un gros bateau qui mouille au large.
Il est énorme et s’il n’avait pas cette aura qu’ont les objets personnels on aurait put croire qu’il était à destination de croisiéristes scandinaves ou américains.
Il porte un pavillon panaméen et a une ligne de ferry à grande vitesse.
Le Riva accoste le gros bateau et un homme d’équipage vêtu de blanc et pourtant un « NII » brodé sur sa chemise tend une main ferme à Jef.
- Bienvenue à bord du « Nicolas II » monsieur.
- Merci.
- J’ai fait caca ! Alors comment allez-vous cher ami ?
Il faudrait que je lui dise se rappela Jef.
- Monsieur Cornelli, je suis ravi.
L’homme l’accueillait comme un ami c’était surprenant de la part d’un inconnu.
« Bon, c’est son style, se dit Jef, un peu franc du collier tout de même ».
- Vous êtes chanceux Jéfé et ça me plait !
- Je n’ai pas fait exprès.
- Il ne manquerait plus qu’on fasse exprès de gagner ! Ah ! Jéfé, l’argent vous aime et j’aime l’argent, donc je vous aime !
- Merci monsieur Cornelli.
- Appelez-moi Camillo, Jéfé, pas de chichis entre nous !
- Comme vous voudrez Camillo.
- Venez, je vais vous présenter mon amie, Comtessa ! Comtessa ! … Venez vous… Jéfé Caka !
- Je suis enchantée de le savoir Camillo. Répondit-elle l’air tout à fait naturelle.
- Jef Cacha, madame, repris Jef tendant sa main à la comtesse. Une vieille et grande femme au visage maquillé à outrance et vêtue d’une longe tenue rose. Elle portait de grandes lunettes de soleil roses ornées de nombreux brillants qui retenaient ses cheveux blonds relevés. Ses yeux étaient bleus très clair, elle faisait penser à une espèce de duchesse d’Alba mais sans les signes de sénilité.
- Ah oui ? Comme c’est amusant !
- Quoi donc ?
- Une broutille Camillo, les subtilités de la phonétique mon ami.
- Soyez bienvenue sur mon modeste refuge monsieur Cacha, le monde est si bruyant, il n’y a que la mer qui sait se taire.
- Et la montagne Comtessa.
- La montagne oui, mais c’est pour les rustres ! La montagne… Ça ne brille pas ! ça n’ondule pas ! la montagne l’hiver à la limite, quand elle est propre, lisse et brillante, avant qu’une bande de longs pieds viennent tracer sur elle les cicatrices de leurs plaisirs populaires, à la limite les grandes prairies fleuries de notre mère Russie, aux douces couleurs caressées par le vent.
- Mais ici, dit elle en montrant la côte de ses doigts couverts d’or et de diamants d’une façon tout à fait désinvolte, ici, les gens sont des sauvages ! murmura-t-elle en regardant la côte avec un air de dégout évident.
- Là bas, reprit elle, ce n’est bien que la nuit car l’obscurité gomme les défauts !
- N’est ce pas Camillo ?
- Vous êtes dure Comtessa !
- Non je suis réaliste cher ami, je suis réaliste, je regarde les choses en face, vous Camillo, vous regardez la vie à travers la filtre rose de vos beaux yeux latins, je vous envie savez-vous…
- Mais vous n’êtes pas la pour pleurer avec moi n’est ce pas ? Je vous retiens, vous devez avoir tant de choses à vous dire.
- Comtessa, saluât Camillo Cornelli d’un mouvement de la tête avant d’entrainer Jef dans le ventre du bateau.
- Une charmante dame.
- Une râleuse ! Jamais contente, mais tellement riche ! Mais seule ! Si elle ne surpayait pas les membres d’équipage et ses amants elle serait seule sur son bateau aussi.
- Savez vous qu’elle est interdite de séjour dans tous les palaces de la cote d’azur ? Vous devriez la voir en colère.
- Je m’en passerais si c’est possible.
- On ne sait jamais quand la tempête se lève cher ami, mais nous ne sommes pas là pour parler de la Comtessa.
Ils venaient de pénétrer dans un immense salon ou tout était dorure, bois de rose, tenture de couleur rose bizarre, bois sculptés jusqu’à la dentelle, banquettes roses, cuivres brillants.
Contre les murs, des portraits de famille affichaient les visages durs des ancêtres de la comtesse dans des poses nobles ou guerrières, ainsi que des icones aux regards tristes.
Dans de grands vases aux couleurs vieillies, étaient plantés de nombreuses fleurs fraiches. Il y avait un grand bar garni de nombreuses bouteilles.
- Installez-vous Jéfé, vous buvez quelque chose ?
- Un Perrier merci.
- Camillo posa le verre devant Jef et il restait silencieux. Jef decida de briser la glace.
- Alors, dites moi en plus sur l’affaire qui nous intéresse Camillo.
- Ah oui l’affaire. Bien, voila Jéfé, vous avez vu mon frère, il a dut vaguement vous parler d’un document égaré que je souhaiterai retrouver rapidement.
- Pardonnez-moi Camillo, mais qui a perdu ce document ?
- Qui parle de perdu ?
- Volé ?
- Peut être…
- C'est-à-dire ?
- Je dirais égaré Jéfé, égaré est le mot le plus juste jusqu’à nouvel ordre, à la fois perdu et volé, égaré est le mot exact.
- Et qui à égaré le document ?
- Mon frère Luciano, celui qui est venu vous rencontrer au bureau de Paris.
- En êtes-vous certain ?
- Oui tout à fait certain, c’est moi-même qui lui ai confié.
- Comment explique-t-il l’égarement du document ?
- Il dit qu’on lui a volé quand il dormait.
- Vous ne le croyez pas ?
- Mon frère ne dort jamais dans les avions, il a trop peur !
- Alors pourquoi vous a-t-il dit ça ?
- Parce qu’il a plus peur de moi que de l’avion et il n’a pas voulu avouer qu’il l’avait égaré par inattention. C’est plus facile d’accuser un autre vous comprenez ?
- Oui je comprends et vous lui avez posé la question ?
- Oui il m’a affirmé qu’on lui avait dérobé la chose pendant son sommeil. Il m’a dit avoir pris des médicaments pour lutter contre sa peur et qu’il c’est endormi, bien évidement je n’en crois pas un mot.
- Vous n’avez pas moyen de connaitre la vérité ?
- C’est mon frère Jéfé, je ne peux tout de même pas le torturer, en plus c’est mon ainé…
- Pourquoi me parlez vous aussi franchement ?
- J’ai confiance en vous Jéfé, je connais votre sang. Vous êtes quelqu’un en qui on peut faire confiance, vous savez garder les secrets comme votre père.
- Pourquoi parlez-vous de mon père ? Vous le connaissiez ?
- Bien sur Jéfé ! Tout le monde connaissait le général Chisirophe Cakakopoulos !
- « Il faut que je lui dise mais comment ? »
- A qui est cet avion ?
- C’est l’avion du président de l’état français.
- C’est l’avion du président ou de l’état ?
- L’avion de l’état, j’aime votre précision Jéfé.
- Et qui était dans cet avion ?
- Le pilote bien sur, une hôtesse dont je n’ai pas le nom, mon frère accompagné de Victor et Testula.
- Testula ? Le ministre ?
- Lui-même.
- Puis je vous demander ou ils se rendaient ?
- Chez mon comptable pour régler quelques petites histoires.
- Puis je vous demander la nature de vos relations avec Testula ?
- Oui bien sùr, Testula est un homme avide de pouvoir, il ne vit que pour ça, c’est un homme sans scrupule qui est prêt à tout pour arriver à ses fins et j’aime ça, mais il lui manque l’essentiel.
- C'est-à-dire ?
- L’argent, Jéfé, l’argent.
- Et l’argent c’est vous ?
- L’argent ? Mais bien sûr que c’est moi ! Qui voulez vous que ce soit d’autre ?
Cornelli s’excitait.
- Je suis l’argent, je suis le pouvoir, je suis Camillo Cornelli!
- Si je vous comprends bien, dit Jef le plus tranquillement qu’il put, ses deux mains jointes et la pointe de ses index posés sous son menton.
- Testula est votre passeport pour l’Élysée ?
- Disons que Testula est mon renouvellement de visa pour l’Élysée, répondit Cornelli qui était descendu de son cheval de manège et qui était maintenant calme et les yeux plissés.
- Je vous comprends bien Camillo, je vous comprends bien…
- Le maffieux souriait de ses grandes dents d’un sourire malicieux d’enfant joueur.
- Alors, est ce que je peux compter sur vous, Jéfé ?
- Une dernière question s’il vous plait.
- Oui ?
- Est-ce que l’actuel résident du palais du peuple connait le nom de son successeur désigné ?
- Non bien sur !
- Merci.
- Alors ?
- Oui je prends votre affaire, ça m’intéresse.
Camillo Cornelli sorti une carte de crédit de son veston.
- 5387, le compte est crédité de cent mille euros sans plafond de retrait ce qui comprend vos appointements et vos frais, ça suffira ?
- Oui ça ira, répondit Jef en enfournant la carte dans la poche de son pantalon blanc.
- Bien, assez parlé, allons fêter ça sur la terrasse.
Cornelli appuya sur un bouton et la porte d’un ascenseur masqué s’ouvrit dans une des parois du salon.
- Je préférerai les escaliers.
- Vous êtes claustrophobe, Jéfé ?
- Non, les ascenseurs ne m’aiment pas.
- Comme vous voudrez.
Ils montèrent donc en terrasse par les escaliers extérieurs et Camillo Cornelli sabra une bouteille de Don Pérignon dont le bouchon partit se perdre dans la mer.
Il servit trois coupes du précieux breuvage.
La comtesse se trouvait déjà sur le pont supérieur du bateau. Elle était allongée sur un transat couvert d’un matelas de toile et exposait sa peau fripée au soleil du midi tout en caressant les cheveux d’un jeune homme accroupi près d’elle.
- Une coupe Comtessa ?
- Oui Camillo merci.
Le jeune homme se leva et pris la coupe destinée à la comtesse.
Celle-ci but un peu et donna le reste à finir à son jouet.
- Trinquons ! dit Camillo en leva sa coupe au ciel.
- Au succès de notre entreprise.
- Au succès, repris la comtesse.
- Au succès, termina Jef.
A ce moment une mouette passa à quelques centimètres du visage de Camillo Cornelli qui poussa un cri de surprise. Immédiatement, tous les hommes d’équipages qui se trouvaient sur le pont sortirent leurs armes et tirèrent sur la mouette comme au ball-trap.
Le bateau pétaradait comme au nouvel an chinois et, quand les armes se turent, un nuage blanchâtre, poussiéreux restait dans l’air.
C’était ce qui restait de la mouette que les hommes avaient transformé en bouillie pour les poissons et en pollen pour allergique aux plumes. Les morceaux pulvérisés de l’animal retombaient en douceur sur la mer portés par la brise océane.
Le jeune éphèbe ne put se retenir et, de peur, il orna son maillot de bain d’une petite auréole avant de s’éclipser à la vitesse d’une balle perdue.
- Permettez moi de vos informer Camillo, que vos hommes viennent de mettre en poudre un phoebastria imitabilis ou albatros de Laysan, une espèce classée vulnérable.
En tant que membre de la ligue de protection des oiseaux, je tiens à vous faire part de mon mécontentement.
- Vous n’allez tout de même pas me dénoncer Comtessa ?
- Bien sur que non cher ami. Mais cette fois vous en serez de votre adhésion à la ligue, c’est la moindre des choses.
- Comme cela vous sera gré, Comtessa.
- L’incident étant clos, nous portions un toast au succès.
- Oui ! au succès.
- Au succès.
Les verres tintèrent de leurs chants cristallins.
- Je me demande ce qu’il faisait ici.
- Quoi donc Comtessa ?
- L’albatros.
- Encore lui.
- Non, mais il n’était pas dans sa zone normale.
- Ce n’était peut être pas un foébrastriamachin…
- Il me semble bien que si Camillo.
- De toute façon, c’est trop tard pour vérifier.
- Oui, une autre fois peut être… Monsieur Cacha, combien de temps comptiez vous rester avec nous ?
- Je ne pense pas rester bien longtemps comtesse, j’envisage même de partir dans la soirée si vous n’y voyez pas d’objection Camillo.
- Oh non, repris la comtesse, Je vous veux pour ma fête !
Cornelli affichait un air résigné qui voulait dire : « Restez puisqu’elle le veut ».
- Très bien comtesse, je viendrais à votre fête avec grand plaisir.
- Je vous préviens mon ami, c’est masqué.
C’est tellement plus drôle quand c’est masqué !
Pas vrai Camillo ?
Chapitre huit – « La bombe à la pisciculture » Charpie truite.
- Je vous ferais porter un costume, lui avait glissé Cornelli avant que Jef ne reprenne son yacht-taxi pour rejoindre la terre ferme.
Vous serez superbe en prince ! avait-il ajouté en lui tapotant amicalement l’épaule.
Le costume de prince avait été livré dans l’après midi, et l’homme qui était porteur de celui-ci effectua même quelques retouches pour qu’il soit parfaitement ajusté à la carrure de Jef.
Rien ne manquait, même les chaussures étaient fournies ou la cale du pied droit entrait sans difficulté.
Le tailleur était italien, et le costume Génois, du XVIème siècle. Un vrai d’époque, un peu rêche, mais extrêmement travaillé, et d’une élégance rare.
Même le masque était superbe. Il était Vénitien et représentait un homme sans visage dont les traits étaient marqués par deux lignes à la japonaise au niveau des sourcils, qui donnait à l’ensemble un air détaché.
On frappa à la porte et Victor entrât.
Il était habillé en garde suisse mais désarmé.
- Vous avez oublié votre hallebarde ?
- Elle ne rentrait pas dans l’ascenseur !
Et attention, Victor souri. Jef crut qu’il allait avoir peur et, bien qu’il laissât le champ libre à l’émotion, elle ne vint pas. Victor qui souriait ne faisait pas peur.
- Notre carrosse nous attend ?
- Oui monsieur.
- Et bien dépêchons nous avant qu’il ne se transforme en citrouille.
- Ou en Topolino monsieur.
- Vous progressez Victor.
- Merci monsieur.
Ils descendirent par les escaliers au petit trot et arrivèrent dans le grand hall du palace.
Jef eut l’impression de remonter dans le temps.
Tous les clients de l’hôtel allaient-ils à la fête eux aussi ?
Visiblement oui, et celui-ci était peuplé de princes et de princesses comme dans un rêve de petite fille fiévreuse.
Tous plus richement parés les uns que les autres, ils avaient certainement revêtus les habits de leurs ancêtres, car ça sentait la naphtaline.
Les dames paradaient et admiraient mutuellement leurs guirlandes.
Les bijoux dont elles étaient couvertes n’avaient pas l’air de faux. Ça n’était pas le genre de la maison, et chaque parure accrochée ce soir aux cous décolletés des propriétaires devaient couter leurs pesants de cacahouètes et raconter une histoire gravée en épitaphe sur les blasons ou les linteaux des châteaux de ces messieurs-dames.
Dehors c’était le ballet, et en fait de parader dans le hall, les invités attendaient leurs véhicules coincés dans la file de grosses bagnoles toutes plus luxueuses les unes que les autres.
Jean-François avait le privilège que la sienne avait sa place au parking très V.I.P. de l’hôtel.
- Mettez votre masque monsieur Cacha.
- La fête commence ici ?
- La foire monsieur.
- La foire Victor ?
- La foire.
Jef prit son faux visage et se le laça derrière la tête.
Ils sortirent sous les flashs des photographes et les projecteurs des cameras de télévision qui étaient retenus par les barrières de sécurité de chaque coté de la sortie du palace.
Les journalistes people commentaient le costume de Jef et devinaient avec assurance qui pouvait être cet inconnu, prince de la maison de Savoie, duc du Lichtenstein, prince de la maison d’Orléans, baron de…. On entendait les rapporteurs s’exprimer chacun dans la langue qui lui était propre.
Pas de Porsche Cayenne cette fois ci mais une superbe Excalibur dorée et un autre chauffeur.
- Bonsoir monsieur.
Le chauffeur se tenait debout, la portière ouverte et la casquette à la main.
Ils pénétrèrent dans le salon de la Mercédès et celle-ci s’élança silencieusement dans les rues de la principauté.
Jef et son garde Suisse parcoururent la ville rapidement car les autorités Monégasques, toujours très attentive au confort de ses hôtes de marque, avait balisé par des policiers gantés de blanc, un itinéraire de délestage pour les participants de la fête qui se passait à Saint Jean Cap Ferrat dans la luxueuse résidence d’une famille de banquiers dont la célébrité n’a d’égale que la qualité de leur mouton-cadet.
Il fallait quitter la principauté avec honneur et entrer au cap avec faste.
C’était réussi.
Les autorités Françaises, avaient, elles aussi, mit les gros moyens, et il fallait montrer patte blanche ou sang bleu pour accéder au cap.
Les plus discrets accédaient par la mer ou de nombreux yacht étaient mouillés dans la baie tous feux allumés dans un concours improvisé d’animations lumineuses.
A première vue la comtesse battait tous le monde par la taille et l’éclairage rose qui repeignait son gros joujou, son palais flottant.
Les autorités Française ne contrôlaient pas tous les véhicules mais effectuaient un tri parmi les moins chers.
Tout ce qui ne valait pas au moins cinq ans de prison pour fraude fiscale ou délit d’initié, pouvait passer sous le garde à vous complice des agents de la circulation. Les autres, les petites bagnoles à moins de cinquante mille euros d’occasion devaient présenter, non pas les papiers du véhicule, mais au moins le carton d’invitation doré à la feuille.
La comtesse prévoyante avait fait distribuer les bristols à ceux qu’elle savait ne pas avoir le goût, pourtant indispensable selon elle, des signes extérieurs de richesse qui étaient l’apanage de tous.
Le monde entier était invité à la fête, pardon, le beau monde entier était invité à la fête et dès la sortie de la voiture, Jef se retrouva sous le crépitement des flashs et les commentaires des journalistes avares de rumeurs sur la princesse machine ou le prince bidule.
Une longue file de véhicules était garée et les chauffeurs s’étaient regroupés, discutant autour d’une cigarette ou du fond d’une bouteille laissée par leurs passagers.
La fête était placée sous le patronage d’une grande marque de téléphone et d’un négociant de champagne.
Pause obligatoire pour les invités masqués ou à visage découvert devant le panneau couvert de logos pour paraitre dans les pages du magasine de ragoût et puis la fête pouvait commencer.
Jean-François était surpris que personne ne vérifie les invitations, en fait les invitations, elles étaient sur le dos et autour du cou des invités.
De nombreux flambeaux étaient disposés partout et constituaient l’essentiel de l’éclairage de la prestigieuse villa. Pas une ampoule n’était allumée. Seuls des systèmes d’illumination par bougies ou lanternes donnaient au lieu une ambiance toute droite sortie d’un roman de capes et d’épées.
Un grand roi à la perruque talquée et au col et manches ornés d’épaisses dentelles attrapa le bras de Jef. Il portait un masque qui évoquait la noblesse et la puissance.
- Je vous avais dit que vous seriez superbe en prince !
- Camillo, vous êtes un Louis XIV magnifique.
- Alors que pensez-vous de cette petite sauterie ?
- C’est très beau, et quel étalage de luxe.
- Ne vous laissez pas impressionner, tout est en carton et en plâtre, mais profitons… Venez, je vais vous présenter.
- Comtesse, quel plaisir de vous revoir !
- Oh ! Quel amour vous faites ! Vous m’avez reconnue !
La Comtesse portait une robe du même rose que ses rideaux.
- Vous êtes immanquable comtesse, votre aura vous précède.
- Quel charmant homme vous faites, si vous aviez vingt ans de moins je crois que je vous aimerais.
- Et si vous en aviez vingt cinq de plus jeune fille, je vous ferais la cours.
- Qu’il est drôle ! Pas vrai Camillo ?
- Il est charmant Comtessa, tout à fait charmant, excusez nous…
- Camillo entraina Jef à quelques pas de la comtesse, puis il pointa un homme du regard.
- Vous voyez cet homme là bas en bleu ?
- Oui.
- C’est Dominique Conquet, l’entrepreneur de travaux publics, en ce moment, monsieur Dubaï. Il possède soixante dix pour cent des contrats gros œuvre à travers le monde et l’homme à qui il parle, c’est Dimitri Ravoski chargé du développement infrastructurel des pays baltes. Là bas, l’homme en vert qui tient une canne, c’est Paul Christophe Delaflèche-Lepage vous connaissez ?
- Non.
- C’est son entreprise qui fabrique les encres infalsifiables des billets euro, dollar et yen et l’homme à qui il parle c’est François Parenton-Charnon-de-Valondin le plus gros groupe de papeterie et d’imprimerie de France vous me suivez ?
- Je crois oui.
- L’homme là bas, c’est Édouard Cartari, le diamantaire, plus loin, l’homme qui parle en bougeant les mains c’est Carlos Pontichek, propriétaire de quatre vingt trois chaines câblées à travers le monde, une cinquantaine de sites internet d’information et de commerce et près de trente quotidiens papier et hebdomadaires en quatre langues.
- Vous voyez cet homme là bas près de la jarre ?
- Oui je le vois.
- C’est Yves Plonton-Leval actionnaire majoritaire du troisième plus grand groupe d’extraction de diamants et métaux précieux au monde.
- Regardez l’homme qui croise les bras, lui c’est Armand Mugne, l’académicien et celui avec qui il parle, l’homme qui tient un lapin nain dans ses bras, c’est Benjamin Cloc, le peintre.
- Mais, dites-moi Camillo, vous connaissez tout le monde.
- Oui, je connais tout le monde.
- Mais comment reconnaissez-vous ces gens même costumés ?
- L’instinct mon ami, l’instinct, je les connais, je lis leurs mains, port de tête, pieds, gestes, tics… Je les connais par cœur comme un berger connait individuellement tous les moutons de son troupeau et vous savez pourquoi ?
Parce qu’ils sont à moi, ils m’appartiennent.
Comme des moutons à son berger vous disais-je.
Je les mets au monde, je les allaite et je les soigne, je les mets dans mon troupeau et je les nourri et s’ils m’emmerdent je les…
Cornelli écrasa son verre dans sa main et jetait les morceaux au loin. Il s’essuya la main sur son pantalon. Il n’avait pas une égratignure ni une petite coupure. Rien que ses doigts manucurés et puissants capables de broyer celui qui aurait le malheur de se mettre sur son chemin. On ne devient pas Camillo Cornelli en quarante ans avec des politesses et des mondanités.
- Tenez, quand on parle des emmerdeurs, en voilà justement un qui arrive.
- Vous sauriez reconnaitre cet homme en noir là bas ?
- Où ?
- Là bas, l’homme qui vient d’arriver, en noir.
- Non qui est ce ?
- C’est Testula. Excusez moi, je dois aller le saluer. Faites un tour, vous allez voir, la Comtessa c’est donné beaucoup de mal pour réussir sa fête. Profitez en, amuser vous, je vous retrouverai.
Jusqu’à Testula, Camillo Cornelli s’arrêtait près de petits groupes d’invités et les surprenait à les reconnaitre ce qui les amusait beaucoup.
Jean-François partit en direction du buffet ou les invités se faisaient servir du champagne, des toasts de beluga sur des blinis, des petits fours, des jus ou des cocktails préparés avec des fruits frais, le tout installé sur une table longue à perdre la vue ou s’affairaient de nombreux serveurs guindés loqués en laquais.
Près du buffet un ensemble à corde faisait sonner ses instruments sur des airs baroques de Lully et de Bach.
Depuis son point de vue, Jean-François embrassait quasiment toute la propriété ou festoyaient au bas mot trois milles invités tous plus élégants les uns que les autres.
Les éclairages donnaient aux diamants des éclats de vie, et les ombres portées au sol et sur les murs auréolaient la fête d’un charme tout particulier.
Dans un espace, un groupe animaient les invités par des combats à l’épée, et les cracheurs de feu envoyaient leurs langues jaunâtres dans les hauteurs donnant l’impression qu’un dragon à trois têtes avait été convié pour l’événement.
Un homme avalait des sabres sous les « oh ! » Des femmes compatissantes, pendant que des jongleurs faisaient voler et s’envoyaient toutes sortes d’objets...
Des équilibristes et acrobates créaient de grandes pyramides humaines qui s’effondraient sous les « Hey ! » des chats humains qui retombaient tous sur leurs pieds, plus loin, de jeunes garçons effectuaient un numéro très impressionnant de diabolo en envoyant voler leurs projectiles enflammés à des hauteurs vertigineuses, avant de les rattraper en équilibre sur leurs petites ficelles tout en continuant le mouvement pendulaire de leurs bras qui animait l’objet sauteur.
Au rez-de-jardin de la villa, les salons étaient chichement illuminés de lustres et de bougeoirs, et un stand était dressé aux couleurs du célèbre logo de luxe d’Édouard Cartari. Là, les hôtesses, car c’est ainsi que l’on doit nommer les vendeuses, s’extasiaient devant une jeune femme qui essayait une rivière de diamants d’aux moins deux kilos.
Elles s’épandaient en soupirs enthousiastes. A les voir se bouleverser ainsi, on aurait put croire que la femme essayait le collier pour leur offrir.
Sans même s’intéresser au prix de la chose, la jeune femme fit un lot du collier, du diadème, du bracelet et des boucles d’oreilles assorties. Elle s’en para et disparu dans la foule sans une signature ni un regard de trop pour les vendeuses, pardon les hôtesses.
Une bande de petites minettes poussèrent des cris d’extase mêlés d’admiration en voyant leur copine ainsi rehaussée.
Dans une autre pièce, Ferdinand-Xavier Mont-Froye-de-Meze-Aryer présentait ses créations qui défilaient sur des mannequins célèbres pour leurs visages et leurs jambes. Les anorexiques médiatisées, cintres vivants, défilaient devant un parterre de femmes chics installées sur de confortables chaises de style Louis XIII.
Elles notaient sur de petits cartons les numéros des robes qui avaient, ce soir, leur préférence, et qui peut être, viendront garnir leurs dressings déjà démodés.
Plus loin, le parfumeur Grassois Fabrizio Rabbiano créait pour chacune un arome différent qui avait pour thème les lettres des prénoms de ces dames et l’on entendait des commentaires comme : « Génial ! », « Un artiste », « Le plus grand nez de Grasse, le plus pointu de Paris », « Le nouveau Grenouille ! » lâcha même une femme visiblement marquée par le livre.
Dans une pièce adjacente, un brave Cubain sur son établi, façonnait pour une grande marque de cigare aux idéaux communistes révolutionnaires, des petits boudins hors de prix qui, pour finir, garnirons, après avoir été vendu à prix d’or, les lèvres des plus réactionnaires capitalistes.
De l’autre coté un célèbre marchand de stylo présentait la gamme de ses nouvelles créations, tout l’équipement nécessaire pour le businessman accomplit, désireux de signer sans bavure, allumer sans long-feu, ouvre-lettrer avec ergonomie, taille crayonner de luxe.
Une salle était consacrée à la grande maison négociante manipulatrice qui parrainait la fête et encore une pièce à la maison qui fabriquait, pardon (décidément) qui faisait fabriquer à moindre cout en Asie ses téléphones aux multiples fonctions.
Tous les dix visiteurs, la maison peut scrupuleuse des droits de l’enfant offrait un téléphone et, comme c’était le jour de chance de Jef, il en gagna un.
Il se fit prendre en photo masqué devant un modèle reproduit à taille humaine.
« Un peu gros pour un téléphone » se dit il.
Bref c’était la kermesse. Plutôt agréable bien qu’un peu « prout-prout » jugeât il.
La suite lui prouva que non.
Dehors, les bateaux donnaient de la corne et bientôt, tous les invités étaient invités à regarder vers la mer.
Les couleurs du bateau de la comtesse changeaient et un grand nuage de fumée s’élevait vers le ciel. Il n’y avait pas de vent.
Un laser dessinait dans le nuage un oiseau qui volait. L’oiseau se transformait bientôt en un seul trait qui continuait à battre des ailes Puis les pointes des ailes se rejoignirent vers le bas pour former un cœur dans lequel les lumières laser inscrivaient « I love You ».
Avec habileté, le graphiste avait enchainé sur sa console de programmation plusieurs messages qui s’enchainaient en se superposant et qui disaient tout « Je vous aime » et « bienvenue » en plusieurs langues. Les mots se fondaient et se sur-imprimaient dans une démonstration de fluidité tout à fait agréable.
L’émotion était palpable dans la foule.
Visiblement tout le monde « Adôôôôrait » la comtesse.
« C’est vrai qu’elle est charmâââânte » se dit Jef.
De puissantes basses dissimulées on ne sait où faisaient résonner de gros « Boum » très espacés.
Les petits bateaux autour du palais de la comtesse allumaient de puissants projecteurs qui habillaient le gros yacht d’images, et le faisait paraitre pour un bateau de bois couvert de planches vermoulues.
Les employés de la fête s’étaient déployés dans la foulée et éteignaient les bougies et flambeaux allumés un peu partout.
En quelques minutes, la villa fut plongée dans l’obscurité. Depuis les enceintes dissimulées dans la propriété s’élevait un air tiré des « Cantiques profanes » de Karl Off. Un spectacle son et lumière était axé autour du château flottant de la comtesse. Les cors de chasse donnaient portés par les chœurs.
Le bateau était le centre d’une bataille navale d’un autre temps et l’on entendait les détonations des canons ennemis qui le prenaient pour cible.
L’animation lumineuse sur la coque du grand yacht ouvrait des écoutilles, et des canons apparaissaient qui tiraient maintenant vers la villa.
La bataille faisait rage et la baie était enfumée par les tirs de canon. Carmina Burana entamait son « Oh Fortuna, fecit luna… » Et le rythme des canons couvraient les chœurs d’opéra, puis il y eut un bruit de bois qui se déchire et sous les yeux des spectateurs, le bateau de guerre d’une autre époque se brisa sous l’assaut incessant des boulets ennemis.
Il se cassa en deux et s’enfonça dans les eaux pendant qu’au loin on entendait les victorieux marins qui criaient leur joie.
Le bateau disparu dans l’eau et la fumée se dissipa.
Le bateau de la comtesse avait disparu sous les yeux de plus de trois mille personnes.
Il y eut un grand silence et tous les bateaux de la baie se mirent à corner.
Un frisson parcouru la foule.
Jean-François ne put contenir son émotion et l’enfant en lui pris le pouvoir pour applaudir à tout rompre suivit par les invités.
Un sifflement s’élança vers le ciel porté par l’ « Irae dia» et explosa en une grosse boule rose, puis près d’un quart d’heure d’illuminations artificielles éclairèrent la nuit en un million d’étoiles éphémères et multicolores.
Tout le monde était regroupé autour de la comtesse et la noyait de compliments et d’attentions.
Les feux d’artifices continuaient leurs envolées, portés par la musique de Mozart, qui commençait à virer un peu techno.
Les employés de la fête retiraient des tentures qui étaient dressées dans la propriété et déplaçaient des jarres et des jardinières qui masquaient des rampes lumineuses.
Les flashes électriques accompagnaient les explosions aériennes, quelques lasers perçaient le ciel, bientôt un rythme soutenu de plus en plus fort pris le dessus sur tout et sous les watts libérés, musique et lumières pulsaient aux rythme des 120 B.P.M. imposés par le D.J. qui venait de prendre le pouvoir et sa place aux platines.
A partir de ce moment, la fête tourna carrément à la free party. La musique habillait l’air de ses pulsations cardiaques et les lumières jouaient avec les rétines et les corps des gens.
Ici et la, on remarquait, rehaussées par les lumières noires, des petites touches blanches sous le nez des gens qui reniflaient comme des endeuillés pendant que d’autres s’enfilaient des petites pilules euphorisantes dissimulées dans les grosses chevalières de leurs ancêtres empoisonneurs.
Les plus jeunes retirèrent leurs déguisement pour être plus libre de leurs mouvements, et les plus vieux se retiraient à l’intérieur du bâtiment ou l’ambiance était plus feutrée, d’autres encore, repus de caviar et d’émotions pour la journée se retiraient à la maison pour un bon livre et une camomille.
Jean-François était stupéfait du spectacle et heureusement qu’il avait un masque parce qu’il faisait une drôle de tête dessous.
Non pas qu’il soit retissant à ce genre de musique, mais là, il ne s’attendait vraiment pas à ça.
Il balayait le spectacle qu’offrait la noblesse mondiale en train de se dandiner sur de la transe-Goa quand un détail retint son attention.
Dans un coin, loin des regards, Louis XIV et l’homme en noir était en train de se chamailler.
Jef ne voyait pas grand-chose mais il se dégageait de leur gestuelle des vibrations d’hostilité qui furent bientôt confirmées lorsque Louis XIV, le poing fermé, posa le bout de son index tendu au milieu du front de l’homme en noir, index dont il se servit pour pousser légèrement la tête de l’homme en noir en arrière avant de lever son index vers le ciel en un geste sans équivoque.
S’ensuivit une tape amicale sur l’épaule, puis Louis XIV abandonna celui que Jef surnomma Fouquet, qui resta immobile pendant que le roi soleil retournait complimenter et se faire flatter par ses gens.
Il fallut presque cinq minutes pour que Fouquet sorte de sa torpeur, se remette en mouvement, et se raccompagne seul à la sortie.
Le geste de Louis XIV fit penser à Jef que c’était peut être Fouquet qui avait fait placer les trois mousquetaires dans l’impasse.
Depuis son ministère, il était bien placé pour monter ce genre d’opération.
« Ni vu ni connu j’embrouille, je sers mes intérêts personnels avec l’argent du contribuable », ça c’était bien le genre de Nicolas Fouquet Testula.
Jef continua sa balade, et tomba nez à nez avec la comtesse qui avait fait sauter son masque, et admirait son jouet qui était aux platines et qui faisait remuer les fesses des jet-setters ultra-dopés.
- Il est beau n’est ce pas ?
- C’est celui du bateau ?
- Oui c’est lui pas mal hein ?
- Oui mignon, vous êtes une femme de goût comtesse.
- Vous croyez qu’il m’aime ?
- Et vous comtesse vous l’aimez ?
- Non, bien sûr que non je ne l’aime pas, je ne suis pas stupide.
- Alors il vous aime aussi comtesse, bien sûr qu’il vous aime.
- Vous êtes gentil Jean-François.
- Vous aussi comtesse, merci pour le spectacle c’était magnifique.
- C’est lui qui a organisé ça pour moi, et pour lui…
- Et pour nous….Comment s’appelle t’il ?
- Je ne sais pas, je ne lui ai pas demandé, je les appelle tous Pascal, mais c’était plus drôle à l’époque des francs, les temps changent…
- Vous êtes une incorrigible polissonne comtesse.
- Oui je sais, ça m’amuse, même si ce n’est pas bon pour le cœur, vous savez l’âge…
- Je dois rentrer maintenait laissez moi vous saluer.
- Embrassez-moi mon garçon.
Et Jef déposa sur la joue de la vieille dame, un vrai baiser de fils aimant.
J’espère que nous nous reverrons, Jéfé Caka ! Envoya-t-elle en le quittant.
Louis XIV était à la porte et saluait les invités qui partaient.
- Je vais rentrer Camillo, c’est une belle soirée, merci d’avoir insisté pour que je reste.
- C’est un vrai plaisir de vous avoir parmi nous Jéfé. Profitez de votre dimanche, vous n’aurez qu’à partir lundi matin, visitez l’arrière pays c’est très joli, vous savez conduire ?
- Oui.
- Demain je vous ferais porter une petite voiture pour que vous puissiez vous promener à votre goût et sans Victor.
- Tenez, prenez ma carte de visite, si vous avez besoin de quoi que ce soit, ou quand vous aurez retrouvé ma carte, appelez moi.
- Je n’y manquerais pas.
- Et bien, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter un bon retour, Jéfé.
- Merci Camillo, à très bientôt donc.
- Je l’espère Jéfé, je l’espère. Dites moi, ça ne vous embête pas de rentrer avec le Cayenne ?
- Non, avec plaisir, je dois dire que des deux voitures, je préfère le Cayenne.
- J’aime votre simplicité, Jéfé.
- La Vôtre aussi, Camillo.
- Bien, bonne nuit alors.
- Bonne soirée, Camillo.
Le lendemain matin, en guise de petite voiture, Jef trouva une Spitfire cabriolet à sa place très V.I.P. de l’hôtel, avec les clés et les papiers livrés sur un petit plateau accompagnant avec son petit déjeuner qu’il prit dans sa chambre.
A nouveau Camillo Cornelli avait pris soin de lui faire porter une tenue de campagne en lin.
Jef visita Sospel puis il s’engageât sur la route du col de Vescavo, il prit à gauche en direction de Piène-Haute qu’il visita à pied et qui l’enchanta, Il faisait très beau et l’air sec portait toutes les odeurs du maquis, du genet, du romarin, du thym.
Les oliviers ondulaient sous la brise légère et les hirondelles chorégraphiaient dans le ciel des danses qu’orchestraient les insectes.
Depuis le hameau haut perché, il apercevait la mer et les montagnes du Mercantour.
A la sortie du village, Jef creva un pneu.
Alors qu’il était en train de le changer, un homme lui proposa son aide.
Il se présentât comme se nommant Pietro et vivant au village.
Pietro souhaitait se rendre à Breil-sur-Roya, Jef lui proposa de l’emmener.
Ils s’engagèrent sur la piste agricole qui raccourcit la route pour le col de Brouis, ce fut une épreuve pénible pour la petite voiture, mais tout se passa finalement moins mal que prévu, ensuite, Jef se rendit à Saorge ou il déjeuna puis à La Brigue et enfin à Tende ou il visita le musée des merveilles, et acheta du fromage à un homme seul et chevelu qui vendait sa production.
Il rentra par l’autoroute via la route nationale qui débouche à Vintimille en Italie.
Le long de la route, des motards du dimanche le doublaient en accélérations furieuses, quelques pilotes essayèrent de l’entrainer dans leurs folies, une Mitsubishi colt de couleur blanche lui laissa une forte impression.
De retour en principauté se rappelant la réflexion de Luc, il en profita pour faire renouveler sa garde robe pour des tenues plus contemporaine.
Le lundi matin à huit heures, Jef récupéra son chèque de millionnaire et libera sa chambre.
Une dernière fois il savoura le confort du 4x4 allemand et s’amusa du voyage en hélicoptère.
La Côte-d’Azur avait repris son rythme de semaine, et les ouvriers et employés se déversaient sur ses routes et ses artères littorales.
« C’est vrai, se dit Jef, la Côte-d’Azur est plus jolie la nuit » l’image de la comtesse avec son geste de mépris le traversa.
À l’aéroport, son avion était prêt.
Valérie n’était pas là, mais à sa place, se trouvait une Caroline tout à fait charmante.
- Bonjour monsieur, je suis Caroline à votre service.
- Merci caroline, tout à fait charmante.
- Merci monsieur.
Le pilote était aux commandes et quand Jef fut installé, il se présenta dans l’habitacle.
- Bonjour monsieur et bienvenue à bord.
- Bonjour.
- Pardonnez moi monsieur nous sommes en liste d’attente pour une dizaine de minutes, nous sommes retenus car la piste de décollage est occupée par l’avion présidentiel.
- Présidentiel de quoi ?
- De la république monsieur.
- Française ?
- Oui monsieur.
- Intéressant.
- Pardon monsieur ?
- Rien, non rien, et vous savez ou va le président ?
- Ce n’est pas le président qui est dans l’avion.
- Ah bon et comment savez vous cela ?
- Il n’y a pas l’équipe de sécurité du président monsieur.
- Ah… et à votre avis, qui est dans cet avion ?
- Je ne sais pas monsieur.
- Dommage.
Jef avait bien une idée de qui pouvait squatter le véhicule du président, c’était surement Fouquet qui s’y croyait déjà et, comme ce n’était pas la première fois qu’il anticipait ses privilèges de chef de la nation, il n’était pas inimaginable de penser ça.
Jef sorti un billet de cinq cent euros qu’il tripota dans ses doigts avec un air pensif.
- Je vais me renseigner monsieur.
- C’est gentil à vous de m’éviter de vous le demander.
- C’est la moindre des choses monsieur.
Caroline tout à fait charmante se présenta à son tour pour informer son passager que l’avion allait décoller et qu’il fallait qu’il boucle sa ceinture.
Jef fit comme la fois d’avant.
Caroline ne se le fit pas répéter deux fois.
L’avion se plaça sur la piste.
La sensation de vitesse de l’appareil évoqua pour Jef quelques pointes de vitesse du Cayenne en plus vibrant.
Le jet crachait maintenant toute sa puissance et pointait son nez vers le ciel pour, dans un dernier mouvement, de détacher du sol, et quitter l’audacieuse avancée sur la mer que représente l’aéroport Nice Côte-d’Azur.
- Est-ce que vous voulez boire quelque chose monsieur ?
- Un thé au lait merci.
- Désirez-vous un croissant ou autre chose ?
- Non, un thé au lait suffira pour l’instant, merci.
- Très bien monsieur.
- Jef était en train de se bruler la langue et les doigts quand le pilote se présenta.
- Qui pilote l’avion ?
- Le pilote automatique monsieur.
- Vous avez confiance.
- Comment ?
- Non rien, rien.
- Je viens vous donner les informations concernant l’avion présidentiel monsieur.
- Le passager ?
- Oui monsieur, il s’agit du ministre Testula accompagné d’un grand homme inconnu qui n’est pas son garde du corps.
- Est-ce que vous pourriez vérifier si cet homme porte des chaussures marron à lacets ?
- Si vous voulez monsieur.
Le pilote retourna à son cockpit, et revint quelques minutes plus tard confirmer que c’était bien Victor qui accompagnait le ministre Testula.
Voila sans doute la raison pour laquelle Cornelli lui avait dit de rester ce dimanche sur la côte, il l’avait mit derrière Testula, Jef en était presque sûr, voila aussi la raison pour laquelle Victor était invisible depuis samedi soir.
- Vous savez ou ils se dirigent ?
- Au même endroit que nous monsieur, à l’aéroport du Bourget.
- L’avion présidentiel se pose au Bourget ?
- Oui bien sûr, ou voulez vous qu’il se pose ? (le pilote pensait : « Sur les champs Élysées connard ? » mais il ne le dit pas)
- Je ne sais pas, merci pour vos renseignements. Maintenant si vous voulez bien, retournez aux commandes, je n’ai pas tellement confiance dans les machines moi, vous savez.
- L’homme sourit.
- Monsieur désirerait il visiter le poste de pilotage ?
- Oh oui ! Heu, avec plaisir.
- Installez-vous ici si vous voulez, dit le pilote une fois qu’ils étaient dans la partie réservée aux membres de l’équipage.
Il désignait la place du copilote.
Jef jubilait à la vue de tous les cadrans et du panorama brumeux depuis le pare brise.
- C’est quoi ce point devant ?
- C’est l’avion présidentiel monsieur.
- Il est près de nous !
- Nous sommes plus puissant que lui monsieur.
- Est-ce que nous allons le doubler ?
- Non monsieur, il est prévu que nous nous posions à sa suite. Pour l’instant nous volons à la même vitesse. Nous avons dut aller plus vite que lui pour dégager l’espace aérien de l’aéroport de Nice, ensuite, nous allons ralentir un peu pour qu’il prenne de l’avance, sinon nous tournerons le temps qu’il se pose et que notre tour vienne.
- Je peux vous poser une question ?
- Il me semble monsieur.
- Si par exemple je voulais visiter l’avion présidentiel, vous croyez que ce serait possible ?
- Difficile monsieur.
- Combien selon vous ?
- Je ne sais pas, dans le millier d’euro peut être.
- Vous pouvez m’arranger ça ?
- Faut voir…monsieur.
Jef sorti trois billet de cinq cent euros de son veston.
- Vous avez vu ?
- Oui monsieur.
Jef remit les trois billets au chaud, et retourna à sa place boire son thé qui était maintenant à température. Il se bascula dans le gros fauteuil confortable, et eut une érection à la pensée de Valérie.
Caroline véritablement charmante, le tira de ses songes en l’informant que l’avion allait atterrir.
Elle prit bien soin de rattacher la ceinture de Jef.
L’avion se posa et le pilote sorti de son poste.
- Si vous voulez bien me suivre monsieur.
- Oui je vous suis.
- Au revoir monsieur.
- Au revoir Caroline et merci encore.
- C’était un plaisir monsieur.
Ils se dirigèrent vers un hangar dans lequel étaient affairés des employés qui préparaient de petits engins sur lesquels ils disposaient toutes sortes d’appareils et de produits. Jef questionna le pilote du regard.
- L’équipe ménage monsieur.
Un homme sec, au visage de fouine, s’approcha du pilote, lequel lui glissa un billet dans le creux de la main.
- Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne visite monsieur, dit le pilote en lui tendant une main avide.
Jef pris les trois billets de cinq cent qu’il avait plié en quatre et lui serra une poigne à une brique.
- Merci de votre disponibilité.
- A votre service monsieur.
L’homme à tête de fouine conduisit Jef dans les vestiaires et lui fit enfiler par-dessus ses vêtements une combinaison d’un superbe orange D.D.E. portant l’inscription d’une société de nettoyage, puis il l’entraina dans son bureau, fit une photo numérique et édita une carte d’identification plastifiée au nom de José Rian avant d’effacer toutes les traces de ses opérations et de vider la corbeille du bureau de son ordinateur.
- José Rian, je sais rien, dit l’homme à l’esprit aiguisé comme une lame de canif.
Et de remettre le badge à Jef.
- Voiturette quatorze, le nettoyage dure dix huit minutes, vous avez tout votre temps, bonne visite José.
- Merci.
Jef planta une casquette A.D.P. sur ses cheveux et monta sur le véhicule quatorze qui se dirigeait vers l’appareil posé, paré aux couleurs de la nation.
Deux militaires étaient postés autour de l’appareil et ne portaient aucune attention à l’équipe ménage qui s’affairait autour de celui-ci.
Jef monta dans l’avion avec un chiffon et une bombe de produit.
L’intérieur de l’avion était beaucoup moins classe que celui qu’il venait de quitter, mais paraissait plus fonctionnel.
Il inspecta les lieux avec son chiffon, et découvrit que les sièges étaient usagés et qu’ils recelaient des pièces de monnaie dans leur jointure ainsi qu’un peigne à cheveux et un prospectus pour un hôtel de Monte-Carlo.
- J’ai trouvé ça, dit Jef en montrant les pièces et le peigne à un des employés. Le prospectus étant malencontreusement tombé dans sa poche.
- Donne ça au chef, c’est lui qui s’occupe de ça. Lui répondit-on.
Jef s’approcha du chef à tête de fouine et lui remit ses découvertes. Celui-ci prit une pochette transparente dans une boite et mit toutes les découvertes dedans. Il scella l’enveloppe par le système autocollant intégré.
Dix huit minutes exactement après avoir débuté l’opération de nettoyage, le coucou de l’élu était propre et les techniciens remontaient sur leurs petits engins numérotés qui se dirigeaient vers le jet suivant, c'est-à-dire celui que venait de quitter Jef.
Lui se dirigeait vers les ateliers avec le chef.
- Vous trouvez souvent des trucs dans les avions ?
- Oui plein de trucs, les gens sont distraits, ils oublient plein de machin, il y en a qui ne sont plus eux même quand ils montent dans ces oiseaux de malheur.
- Vous n’aimez pas les avions ?
- Non, je n’aime pas ces engins de mort, je préfère le train c’est moins dangereux.
- C’est moins rapide.
- Bien sûr mais c’est plus sécurisant. Aller payer un paquet de fric pour s’écraser comme une merde sur le plancher des vaches, y faut être con.
- Ou pressé.
- De mourir ?
- De voyager.
- Ouhai… l’homme restait pensif.
- Qu’est ce que vous faites de ce que vous trouvez ?
- Pour les privés, on garde là pendant un an et un jour, sur cette étagère ci, vous voyez ?
L’homme désignait une étagère sur laquelle se trouvait toute une pile de boites portant le numéro de la semaine.
Celle de la semaine en cours était ouverte et remplie de sachets transparents portant au feutre indélébile la date, l’heure, le nom de l’appareil, et la signature du chef de l’entretien sur le scellé.
Dedans, on voyait les objets ou les pièces perdus par les voyageurs tête en l’air.
- Et pour l’avion présidentiel ?
- Pour les vols officiels, ce n’est pas pareil. On utilise ces enveloppes là voyez ? Et puis on remet dans la minute au chef de sécurité de l’aéroport qui retourne à l’envoyeur.
- Au président ?
- Qu’est ce que j’en sais moi, quand ça sort de mon bureau, ça ne me concerne plus, il peut bien le mettre à la poubelle si sa lui chante… Vous êtes curieux comme gars José.
- Oui je m’intéresse aux mécanismes, j’aime bien savoir comment ça marche.
- Ok, bon José, la visite est finie, si vous voulez me rendre la combinaison et la casquette, le badge, ça vous fera un souvenir vous pouvez le garder.
- Comment je fais pour sortir de là ?
- Ici cette porte là, c’est la sortie du personnel, puis deuxième porte à gauche, et vous tombez dans la salle des pas perdus.
- Il n’y a pas de contrôle ?
- Hé, hé, José ! on n’est pas à New-York, vous êtes sur la piste des vols intérieurs, les vols internationaux et la douane c’est une autre piste.
- De toute façon vous n’avez rien à vous reprocher José, on ne va pas fouiller dans vos yeux, hein ?
- Merci pour la visite.
- De rien salut.
L’homme finit de remplir son formulaire et l’enfourna ainsi que l’enveloppe transparente dans une autre grande enveloppe opaque portant le logo tricolore.
Un petit coup de fil, un mauvais café d’aéroport plus tard, et Franck garait son taxi devant la porte prêt à charger Jef.
- Oh patron ! la classe ! J’vous aurais pas reconnu si j’avais pas su qu’c’était vous. On va où ?
- Bonjour Franck, au « 13 » j’ai envie d’un vrai café.
- Dites donc, bronzé et tout, super classe le monsieur … Aller hue cocotte !
- La voiture n’a pas trop souffert du choc ?
- Laquelle ? la mienne ? ça va, même pas une égratignure. Par contre celle des poulets, oh ! Bonne pour la casse ! Y a pas à dire, les Allemands, y s’y connaissent eux en bagnoles, j’vais vous dire.
Un jour j’fais une course Paris-Dijon avec celle là, et quand j’suis arrivé à Dijon, j’la trouvais bizarre, alors j’suis allé chez l’mécano parce que moi j’aime pas met’ mes mains la d’dans, c’est pas mon domaine.
Moi mon domaine c’est l’cuir, l’bois d’rose, et les p’tits boutons, bref, j’suis taxi pas garagiste hein ? Bon ! et ben vous m’croirez ou vous m’croirez pas c’est pareil, que quand l’mécano a ouvert l’capot, ben y avait pas l’bouchon du radiateur ! Le mec qu’avait fait l’entretien avant, avait pas remit le bouchon du radiateur le con, c’est comme si moi j’chargeait un client mais j'laissais la valise sur l’trottoir, faut quand même pas sortir heu... d’saint Cyr pour vérifier que l’boulot est fini hein ? Non ? Bon. Les mecs savent plus bosser… à part que de s’palucher… heu… D’vant les calendriers érotiques qu’y collent dans leurs vestiaires ou au d’ssus d’leurs établis, les gars ont pas la tète à c’qu’y font bref, et ben, j’ai tapé quasi deux mille bornes sans bouchon d’radiateur et vous savez quoi ? Hein ? Vous savez quoi ? Vous savez quoi ?
- Heu non je ne sais pas.
- Et ben rien !
- Quoi ?
- Rien, rien du tout.
- Rien du tout quoi ?
- La bagnole, rien du tout, rien de rien, elle n’a pas bronché, le bruit c’était même pas dans l’moteur, c’est qu’j’avais perdu un goujon.
Les gars quand même, même pas capable de serrer un goujon ! C’est comme si j’partais sans fermer la portière, vous imaginez ça vous ? J’démarre, pis j’roule tranquille mon bonhomme la portière ouverte, sourd aux cris d’épouvante de mon passager, non, non, non, quand j’vous disais, les gens savent plus bosser ! Les mecs quand même, qu’est ce qu’y faut pas hein ? C’est dingue non ? Moi si j’étais à la place du patron, j’leur dirais moi. J’frais une grande réunion avec tout l’monde pis j’leur dirais les gars… On est arrivé !
- Quoi ?!
- On est arrivé au « 13 »
L’avantage avec un taxi bavard c’est que l’on ne voit pas la route passer.
- Alors Moulin ça tourne ?
- Ça va Claude et toi ?
- Ça va.
- Tu me fais un café ?
- Bonjour com-missaire.
- Il est détective madame.
- Bonjour madame ça va ?
- Ça va mon petit et toi ?
- Bien merci.
- Dis donc, tu as une petite mine.
- Ah bon vous trouvez ?
- Vous ne trouvez pas qu’il a une petite mine Claude ?
- Non, pas plus madame.
- On dirait quelqu’un qui aurait fait des folies de son corps, je me trompe ?
- On ne peut rien vous cacher madame.
- Vous voyez Claude, je le connais bien mon petit com-missaire.
- Détective.
- Hé, c’est pareil !
- Tenez pour vos oracles, je vous offre un café madame.
- Et un café, repris Claude.
- Ah le kafai… commença madame.
Jef aime bien aller au « 13 » parce qu’il y a toujours de l’ambiance.
- L’important, c’est la mouture, repris Claude, et la machine, il faut qu’elle soit toujours bien propre la machine, et l’eau, ça c’est important l’eau. Le café, c’est un bon équilibre entre une bonne mouture, une machine bien propre, un filtre bien chaud et une eau pas trop calcaire.
- Le café ce n’est pas du jus, café c’est un art !
- Ah le kafai !
- Dites moi madame, comment vous voyez que j’ai fait des folies de mon corps ?
- Tu as du fond de teint sur ton pantalon mon petit, tu vois, moi aussi je ferais une bonne com-missaire….
- Détective.
- Pareil.
- Tant qu’on y est, je ne veux pas abuser Claude, mais j’ai eut de la visite ?
- Non, personne à part les des poulets. J’ai eu du mal à les reconnaitre, parce qu’ils étaient tout enrubannés comme des momies. Ils ne sont pas restés longtemps, ils ont planqué ce matin pendant une heure de 8 heures 25 à 9 heures 25 ensuite ils se sont taillés quand j’ai frappé à leurs vitres. Je leur avais préparé un bon jus de chaussette dans des gobelets en plastique histoire de les emmerder un peu et de leur montrer qu’ils n’étaient pas tout seuls tu vois, et bien, ils n’ont pas dut apprécier le geste et les jus parce qu’ils ne les ont pas bu et qu’ils se sont taillés fissa.
- Ne prend pas de risques pour moi Claude.
- Je n’ai pas peur de deux poulets moi.
- Bon merci, je vais monter chez moi à plus tard.
- C’est ça, à plus tard.
Jef sorti du « 13 » après avoir posé deux pièces sur le comptoir zingué du bistrot.
- Hé ! Bonjour monsieur Cacha.
- Bonjour monsieur Légi.
- Alors on nous a faussé compagnie samedi midi.
- Et oui monsieur Légi, le boulot…
Monsieur Légi, c’est l’épicier de l’impasse. Indépendant, il ne travaille pour aucune enseigne et passe donc ses journées à compulser des catalogues de fournisseurs pour dénicher les meilleurs prix. Il n’hésite pas à acheter des palettes s’il peut gagner un peu.
Il y a souvent un représentant dans sa boutique qui s’épuise à calculer en tous sens des remises pour décrocher une commande.
Elias Légi ne s’en laisse pas compter et, véritable ordinateur vivant, il peut sortir le prix des autres distributeurs en gros et demi-gros, hors taxe, T.T.C., avec une remise par cinquante, par cent ou par palettes. Il connait par cœur les promotions, et toutes autres opérations commerciales dont il peut bénéficier. Légi vous sort en un claquement de doigt le prix du lot ou de l’unité plus vite que l’index tapoteur du commercial sur sa calculatrice, et il se vente à juste titre d’être moins cher que les discounts.
Mais attention ! Chez Elias Légi, pas de crédit, pas de petite ardoise et pas de voleur à l’étalage.
Une cinquantaine de cameras suspicieuses espionnent les moindres gestes du malhonnête, et rien ne trompe l’œil aiguisé de monsieur un sou.
Car pour Légi, un sou c’est un sou.
Le seul qui peut être malhonnête dans la boutique, c’est Elias Légi qui a l’habitude malheureuse de se tromper en rendant la monnaie toujours à son avantage, et de peser la corbeille en même temps que les fruits et légumes. Il ne faut donc jamais acheter trop en même temps dans sa boutique et bien compter les pièces dont il vous remplit les poches.
Pour éviter que les client ne comptent trop leur monnaie, Elias Légi à l’habitude de vous rendre cinquante centimes en environs six à huit pièces de cinq centimes et le reste en pièces de deux et de un, ce qui fait le bonheur des accumulateurs compulsif de pièces jaunes qui les amassent dans des magnums de champagne vide, des pots, des boites, et occasionnellement, dans la tirelire du petit dernier.
Ces tas de micro-monnaie finiront immanquablement tôt ou tard en petits rouleaux bien comptés sur le comptoir de la banque du 2, ou sur celui d’Elias Légi, avant de repartir dans les poches des clients à léser.
Elias Légi a banni de sa caisse les pièces de cinquante, vingt et dix centimes qui le gênent dans ses opérations frauduleuses et, dès qu’une apparait, elle fini dans un pot qui lui sert à régler son repas au café du coin ou, à la fin du repas, il empile ses piécettes sur le comptoir aseptisé en douze tas jaunes à hauteur variable.
Monsieur Légi habite au dessus de son épicerie et se rend dans son appartement par un escalier en colimaçon situé dans sa boutique.
A quarante trois ans, il n’est pas marié. Non pas qu’il n’aime pas les femmes, mais il se refuse à leur faire une cour trop onéreuse et puis, s’il faut par-dessus tout payer les frais pour un mariage et encore plus, jeter son argent dans le ventre d’un enfant dont on est même pas sur qu’il sera travailleur, c’est selon lui un risque pécuniaire trop important.
Il porte une blouse bleue d’épicier à l’année, usée par des lavages et des coups de fer, des croquenots plus que des chaussures, et un pantalon en velours qui a dut appartenir à son père tant il est élimé. Elias Légi porte souvent des tee-shirts publicitaires qu’il trouve dans les cartons de lots de boissons ou de nourriture qui garnissent ses étalages. Il est dégarni et son teint verdâtre lui donne un air de vampire.
Il faut signaler qu’il ne va jamais au soleil.
Sa peau en est quasiment translucide. Elias Légi ne part jamais en vacances, et est ouvert sept jours sur sept et trois cent soixante cinq jours par ans, car il ouvre le dimanche et les jours fériés.
Héritier de son père dont la femme, mère d’Elias, est partie (en emmenant la recette de la semaine) un jour dans les années soixante dix avec un démarcheur en produits d’entretien, Elias Légi est propriétaire de son commerce et de son logis.
Tout le monde se demande ce qu’il peut bien faire de ses sous.
Le facteur à un jour dévoilé à monsieur Coltron, l’assureur, que monsieur Légi était redevable de l’I.S.F. ce qui a fait trois fois le tour du quartier.
Elias Légi est en outre le fournisseur de « la nôtre ».
- C’est bien ça, un peu de boulot monsieur Cacha, rien de tel pour occuper un homme. Dites donc, ça doit faire des frais tous ces extras. Hein ?
- Je les facture.
- Mais faut compter.
- Non pas trop, en fait moi je ne compte pas parce que c’est le client qui paye.
- Ah… et votre client il ne vous demande pas des comptes ? Vous lui donnez les reçus ?
- Non, je facture en bloc comme j’estime.
- Comme vous estimez, ah… vous dites comme ça, « J’ai dépensé quatre cent vingt trois euros et douze centimes » et votre client vous verse quatre cent vingt trois euros et douze centimes sans preuve.
- Non je dis j’ai dépensé cinq cent euros et le client paye cinq cent euros.
- Ah… vous arrondissez dans la profession ?
- Oui bien sur.
- Ah… c’est bon ça, c’est bon….Oh excusez moi, mais il faut que je la surveille celle là, elle croit que c’est moi qui doit nourrir son chien !
Et Elias Légi disparu dans sa boutique à la suite de madame Ledu.
Jef mit sa main dans sa poche et le contact avec le papier plié lui rappela qu’il était un millionnaire potentiel. Il se dirigeât vers le numéro 2 de l’impasse d’un pas décidé.
Il entra dans le sas du rongeur gourmand.
- Bonjour monsieur Carpier, je voudrai faire un dépôt de chèque.
- Bonjour monsieur Cacha, vous avez un pupitre à l’entrée avec des enveloppes, des formulaires et un stylo mais vous connaissez la procédure n’est ce pas, sinon, en cas d’ictus… suivez les informations bandes dessinées du petit rongeur…
- C’est que, monsieur Carpier, je ne suis pas encore tout à fait crétin, mais pour vous dire sincèrement, je n’ai aucune confiance dans votre boite j’aimerai que l’opération soit faite et confirmée devant moi.
- Oh ! Monsieur Cacha c’est que vous sav…AH !
Cacha lui avait tendu le chèque, Carpier le saisit et son visage se figeât.
Téoduc Carpier a cette curieuse particularité qu’ont certains d’avoir la mâchoire inferieure nettement plus développée que la normale ce qui fait que son menton dépasse outrageusement de son profil, ce qui lui donne le profil d’un Dalton et un air méchant.
Téoduc Carpier n’est pas grand, il est long. Tout en lui est fin comme un personnage en plastique qu’on aurait chauffé avant de tirer sur les extrémités. Il est anormalement chevelu. « Trop de cheveux » selon Jef. Carpier à un regard fuyant et des gestes furtifs.
A le regarder de plus près, il semble se raser depuis le torse jusqu’en haut du front.
Téoduc Carpier est un cure-pipe.
Jef n’ose jamais trop le fixer car quand il commence, il ne peut plus s’arrêter mais cette fois ci, l’occasion est trop belle.
La mâchoire inferieure de Carpier est décrochée ce qui fait apparaitre une dentition plus que moyenne.
Carpier n’a pas de poil à l’intérieur des joues.
- Oh mon dieu, cria t’il, quelle merveille ! C’est un vrai ?
- Non je l’ai fait avec mon ordinateur.
- Ah ! bon ? tenez !
- Non c’est un vrai.
- Oh qu’il est beau, il vous ressemble.
- Qu’est ce que vous dites ?
- Il a vos yeux non ?
- Ne soyez pas stupide monsieur Carpier ! Bon vous me l’encaissez ce chèque oui ou non ?
- Non !
- Pardon ?
- Il faut que vous voyez monsieur Frigon, attendez une minute voulez vous ?
Ustrazade Frigon est un homme d’argent.
Un directeur.
Coiffé comme un directeur, il s’habille comme un directeur. Il a une démarche de directeur et un port de directeur. Il a une voiture de directeur et ses occupations directoriales dirigent ses directives directes, droites, directement dans la direction digne d’un dirigeant directif.
- Monsieur Cacha ! Ustrazade Frigon accueillait Jef les bras tendus devant lui comme on attend d’un enfant qu’il vous saute dans les bras après avoir couru en votre direction.
- Détendez vous monsieur Frigon.
- Monsieur Cacha, Monsieur Cacha, Monsieur Cacha, Monsieur Cacha, Monsieur Cacha…
- Vous avez beugé ?
- Monsieur Cacha quel esprit vif ! Suivez-moi dans mon bureau.
Ustrazade Frigon entrainai Jef dans son bureau le couvrant de ses deux bras paternels.
- Prenez un siège, non, prenez mon fauteuil vous serez plus à l’aise.
- Qu’est ce que vous me préparez monsieur Frigon ? Je vous sens comme un renard devant une poule.
- Comme vous y allez monsieur Cacha.
- Alors vous me l’encaissez ce chèque ?
- Quel beau petit.
- Ne vous y mettez pas vous aussi.
- Regardez ces chiffres bien alignés, l’harmonie des caractères d’impression, le granulé du papier…
- Oui j’ai déjà eut le temps pour voir ça. Est-ce que vous me faites mon opération ?
- Ou ! La ! Ce n’est pas si simple monsieur Cacha ! Vous ne pouvez pas poser votre argent comme ça sur un compte courant.
- Il vous faut un compte action !
- Pourquoi c’est interdit de poser sur un compte chèque ?
- Non, non, non, ça ne se fait pas ! Il vous faut des S.I.C.A.V, des assurances !
- Je ne veux pas de S.I.C.A.V.
- Une épargne logement ?
- Non.
- Des actions, il vous faut des actions ! Imaginez-vous ça, actionnaire !... C’est bon non ?
- Non.
- Une rente à vie !
- J’en ai déjà une.
- De l’or, monsieur Cacha, de l’or !
- Non du papier.
- Des bons du trésor ?
- Monsieur Frigon, je veux qu’on pose cet argent sur mon compte courant.
- Terre ! Terre ! Il vous faut de la terre.
- Non merci.
- Des diamants ?
- Non.
- Des tableaux ?
- Non.
- Un P.E.P., un P.E.L., un P.E.A. ! Frigon se lançait dans une litanie d’acronymes dont Jef ne saisit pas la moindre définition, puis il se dirigeât sur la voie des assurances, pris la sortie banque privée pour s’arrêter sur une voie de placements.
- Non ! Non ! Non !
- Actionnaire de votre banque !
- Non.
- Actionnaire d’une autre banque ?
- Non.
- Assurance pour vos enfants ?
- Je n’en ai pas.
- Faites-en !
- Un plan majorité ?
- Non.
- Des obligations ?
- Non.
- Industrie monsieur Cacha !
- Non.
- Pharmacie ?
- Non.
- Acier ?
- Non.
- Le bois, ah ! le bois !
- Non.
- L’agroalimentaire !
- Non
- Le blé, l’orge, l’avoine !
- Non l’oseille.
- L’élevage ?
- Non.
- Oh ! Monsieur Cacha… Ustrazade Frigon était tout décoiffé à force de se gratter la tête.
- Dites moi monsieur cacha je crois savoir que vous aimez le poisson ?
- Oui mais je ne vois pas le rapp…
- Investissez dans la pêche !
- Non !
- Oh quel malheur monsieur Cacha, quel malheur !
- Détendez vous monsieur Frigon.
- Appelez moi Ustrazade monsieur Cacha, non, appelez moi Édouard, c’est le nom de mon fils, oh, le pauvre petit…Si vous saviez la peine que va avoir cet enfant en apprenant la peine que j’ai moi-même, votre obstination me brise le cœur et je ne pourrais plus regarder mon enfant dans les yeux oh ! Moi qui ne le voit déjà qu’un dimanche sur quatre, monsieur Cacha, pensez à ce petit orphelin… Mon cœur ne supportera sans doute pas un tel choc monsieur Cacha. Ce n’est pourtant pas votre genre de faire souffrir les gens comme ça !
- Vous vous en remettrez monsieur Frigon
- Appelez-moi Édouard ! Je m’en remettrais peut être, ou peut être pas… A combien évaluez vous la vie d’un homme monsieur Cacha ?
- Un homme ou un banquier ?
- Dans mon corps de banquier, bat un cœur d’homme monsieur Cacha.
- J’ai du mal à y croire. Pourquoi n’encaisser vous pas mon chèque ?
- Parce que c’est un crime !
- Pardon ?
- Un véritable crime contre l’économie de marché vous comprenez ? Si tout le monde faisait comme vous monsieur Cacha ?
- Tout irait surement mieux.
- Oh ! Comme vous y allez !
- Bon, vous me l’encaissez ce chèque ?
- Monsieur Cacha, pitié, pitié !
- Monsieur Frigon remettez-vous !
- Pitié, monsieur Cacha, pitié pour un pauvre directeur de succursale, pitié, pitié…
- Vous m’agacez Frigon.
- Bon ça va, je vous l’encaisse ce chèque.
Frigon avait l’air vraiment contraint.
- Et bien, quel labeur pour un chèque à la con !
- Oh ! ne lui parlez pas comme ça ! Frigon chuchotait, il peut nous entendre savez vous ?
- Ustrazade Frigon crédita le compte courant de Jef et lui remit un bon à signer.
- Et bien quelle histoire pour un dépôt.
- Le boulot monsieur Cacha, c’est le boulot !
- Sans rancune monsieur Frigon ?
- Appelez-moi Ustrazade cher ami, vous déjeunez avec nous aujourd’hui ?
- Oui.
- Et bien, à tout à l’heure monsieur Cacha.
- Appelez-moi Jef.
Jef sortit de la banque et regarda sa montre.
Une heure pour déposer un chèque !
C’est à vous passer l’envie d’être millionnaire.
Dehors il y avait de l’animation, et depuis le « Coin », Robert faisait de grands signes à Jef par derrière la vitrine du café.
Jef entrait au « Café du coin ». C’était l’effervescence.
- Et bien Bob, qu’est ce qu’y t’arrives, tu fais le sémaphore ?
- Les flics ont embarqué les Claude !
- Non !
- Si, le Libyen et deux momies !
- Merde !
- Et il y en a un qui planque devant ton bureau, un costaud.
- Il y a combien de temps que ça c’est passé?
- Là, maintenant, cinq minutes même pas.
Un coup de pouce sur la touche verte de son mobile et Jef appelait Franck.
- Allo patron ?
- Oui, dis moi tu es loin ?
- Non, deux minutes.
- Viens me chercher vite !
- J’arrive tout de suite.
- Hé ! Ne te gare pas dans l’impasse, je t’attends au coin, je sors du coté de la rue ok ?
- Ok patron.
- Désolé Antoinette. mais nous allons peut-être être en retard pour le déjeuner.
- Oh monsieur Cacha !
- Et oui Antoinette. qu’est ce que vous voulez, je ne peux pas les laisser faire ça, ils sont gentils les Claude, je ne peux pas les laisser dans les problèmes à cause de moi.
- A cause de vous ?
- Oui, Claude à virer les flics qui planquaient devant mon bureau, ce sont eux les momies.
- Ils sont avec le Kurde ?
- Non le Libanais.
Un coup de klaxon se fit entendre dans la rue, c’était Franck.
- On va ou patron ?
- Au commissariat central.
- Qu’est ce qui vous arrive patron ?
- Les flics ont embarqué les Claude.
- C’est bien fait pour cette vieille salope !
- Ne parle pas comme ça, ils sont gentils.
Franck faisait partie de ceux qui avaient gouté de la tarte façon Normande servie par les grosses paluches de Claude, parce qu’un jour qu’il était pété, il avait traité madame Claude de « suceuse de vieux ».
Il faut dire qu’il était derrière le vieux qui avait gratté un ticket gagnant, et qu’elle avait fait son tour de passe-passe devant ses yeux.. Enfin ça, c’est l’histoire qu’il raconta le temps d’aller du coin au commissariat, ou Jef se fit déposer en libérant Franck.
- Bonjour messieurs, dit Jef en entrant.
- Oh, monsieur Cacha quelle surprise ! Qu’est ce qui vous amène ?
- Je voudrai voir le commissaire Douyoumdjian.
- Le commissaire ? Ça ne va pas être possible monsieur Cacha, il est en congé depuis trois jours et pour trois semaines.
- Ah bon ?
- Comme j’vous l’dit.
- Bon, je vous crois.
- On peut vous rendre un service monsieur Cacha ?
- Non, enfin oui, vous savez ou je peux le trouver ?
- Aucune idée, mais essayez le soir au Papagayo, il a ses habitudes.
« Pauvres Claude, pensait Jef, je ne peux quand même pas attendre la nuit pour aller cueillir le commissaire au Papagayo, en plus ce n’est même pas sur qu’il y soit ce soir. En attendant les Claude, ils ne doivent pas rigoler à l’heure qu’il est. Parce que le commissaire, il ne se gène déjà pas avec le règlement quand il est en service, alors si il est lâché dans la nature ça doit être encore pire que ses habitudes. Comment faire pour savoir ou trouve Douyoum ? »
Jef réfléchissait pendant qu’il faisait le chemin à pied pour retourner au coin. Pour sûr, ça lui coupait l’appétit cette histoire. Il avait beau tourner et retourner dans sa tête, Jef ne voyait pas ou est ce que le ripou avait put se planquer avec les deux bistrotiers.
« Bizarre quand même que le commissaire s’agite comme ça pour une affaire alors qu’il n’est même pas en service. Ce n’était pourtant pas son genre de faire des heures supplémentaires surtout que la dernière fois qu’il en avait fait ça lui avait couté la partie droite de sa tronche et la vie à son paternel.
Est-ce que le Libanais avait décidé de couper l’herbe sous le pied de Testula ?
Avait-il entendu des ragots au Papagayo ?
Une boite avec un nom comme ça, ça doit parler c’est sur.
Est ce que Douyoum' avait décidé de faire la peau au ministre sans passer par la voie légale ?
Non ça ne paraissait pas plausible, Douyoum’ ne s’intéressait pas trop à la politique. Tant qu’on ne venait pas se mêler des ses petites affaires de la rue, au derniers nouvelles, Douyoum’ n’avait pas l’intention de renter au gouvernement.
Enfin, pas aux dernières nouvelles. »
Jef avait la tête qui lui piquait tellement ça chauffait.
« Il y a un moyen de trouver les Claude et le gros c’est sur, il y a toujours un moyen.
C’est dommage que Claude ait envoyé péter les deux momies ».
- Bien sur ! cria-t-il dans la rue
Les passants se retournaient sur l’homme devenu fou qui venait de s’exclamer au milieu du trottoir et qui trépignait comme un débile.
- Mais oui ! Quel con ! Quel génie ! Un cerveau à deux millions et demi ! Merci Papa, merci Maman, deux millions et demi ! Les momies !
Les gens le regardaient avec pitié et un vieil homme lui donna même une pièce qu’il jeta à ses pieds.
- Merci monsieur ! Lui dit Jef en se baissant pour ramasser la pièce.
Puis il continua son chemin en chiant, riant et enchainant des pas de danse.
L’homme était ravi de la bonne action qu’il avait faite et de la joie de Jef.
Il avait fait un heureux et c’était le rayon de soleil de sa journée.
Il s’élança sur le passage piéton porté par un vrai sentiment d’avoir fait le bien et une sensation de sérénité absolue.
Le feu rouge était vert, une voiture la faucha, il mourut sur le coup.
1, rue de paradis, il ne l’avait pas volé.
Nouveau chapitre – Chapitre neuf
Jef arrivait au « Coin ».
Tout le monde était à table, et Antoinette venait à peine de sortir les entrées, Serge servait les amis.
Un coup d’œil sur la rue par la vitrine du café, et en se collant bien de profil, on voyait le costaud qui faisait les dents pas du 10 au 16.
- Bon, je cherche des volontaires pour une mission.
- Maintenant ?
- Oh ça va refroidir !
- Non, il n’y en a pas pour très longtemps.
- C’est quoi cette mission ?
- Chopper le mec là bas.
- Mais c’est un policier.
- Non c’est un ripou.
- Mais on n’a pas d’armes !
- Nous non, mais Antoinette doit bien avoir quelques petits objets à nous prêter…
11 hommes sortirent du coin, chacun à son tour, depuis la rue, et d’autres par l’entrée coté impasse, avant de se diriger en haut de l’impasse comme s’ils rentraient chez eux.
Lorsqu’ils furent au niveau du 12, les attaquants fondirent sur l’homme en courant armés de poêles, de casseroles et d’une bouteille de rhum pour qui vous savez.
L’homme de main du commissaire eut peur et entra en courant dans l’immeuble.
Paco Pérès l’assomma d’un coup de batte de base-ball qu’il avait acheté le matin même pour le Lhassa-aspo de madame Ledu.
L’homme à terre, inconscient, fut attaché solidement puis confié à la bonne garde de Paco Pérès qui réclamait le trophée.
Il fallut que Jef arrive pour dissuader le concierge d’effectuer la soustraction des attributs du policier avec le grand couteau qu’il avait dans sa main.
- Plus tard, avait dit Jef pour calmer l’ibérique. En attendant, si c’était possible de le grader au chaud un moment le temps qu’ils aillent déjeuner, parce que réchauffé sa gâche.
Au coin le repas se déroula dans une ambiance survoltée.
Chacun racontait comment il aurait put assommer le costaud avec un coup de poêle dans les oreilles, un coup de rouleau à pâtisserie dans les pattes, un coup de sauteuse dans les parties, un coup de louche au milieu du front, un coup de rhum dans l’baba.
Tout fut rendu en bon état à Antoinette, car finalement les ustensiles conservèrent leurs destinations purement gastronomiques.
Il n’y eut pas de saumonières assommeuses, ou de cocottes assassines.
C’était mieux pour tout le monde, toujours ça de casseroles en moins à trainer.
Aujourd’hui sur l’ardoise :
Ronde de petits légumes à l’escarmouche,
Poulet grillé - Haricots fagotés,
Soupe de pêches.
A suivre…
10
Après un bon repas entre ami dans les liens privilégiés du partage, rien de tel qu’un peu d’exercice.
Aujourd’hui l’exercice, cuisiner le poulet.
Faire jazzer le curieux ficelé étendu sur le flan dans le salon de monsieur Pérèz.
Jef trouva ce dernier assit, l’œil sadique et couvrant sa proie l’air propriétaire.
- Monsieur Cacha, c’est gentil de me l’avoir laissé en garde. Ça fait une bonne demi-heure qu’il est revenu à lui. Il est en bonne forme l’animal.
- Monsieur Pérès, merci de votre aide précieuse, c’est une bonne chose que vous soyez intervenu.
- Vous savez monsieur Cacha, ça faisait un bon quart d’heure que je le surveillais le loustic. J’attendais qu’il entre dans l’immeuble. Tant qu’il restait dehors je ne pouvais pas y toucher, mais l’occasion était trop belle, j’espère que je n’ai pas gaspillé votre chasse monsieur Cacha ?
- Non monsieur Pérès, vous l’avez même simplifié.
- Ah bon, tant mieux, je m’en suis voulu un peu au début, je me suis dit, je lui pourris son plaisir à monsieur Cacha mais vous savez la chasse est interdite dans l’immeuble, c’est un peu comme une réserve vous comprenez ?
- Non pas trop mais ce n’est pas grave.
L’homme au sol se secouait comme un épileptique et des sons tentaient de sortir de sa bouche bâillonnée.
Il laissait apparaitre les tendons de son cou ainsi qu’une grosse veine qui battait rapidement.
- Bon il est temps de nous parler un peu cher monsieur.
Jef se baissait vers la rosette de Lyon qui jonchait le carrelage dans l’action de le débâillonner.
- Fils de pute ! Fut la première phrase qu’émit le Lyonnais.
- Oh ! Ça n’est pas bien de parler comme ça mon ami. Surveillez votre langage, vous n’êtes pas en position.
- Va t’faire foutre Cacha !
Paco Pérès ne put s’empêcher de donner un coup de pied dans le ventre du ficelé.
- ¡Parle pas comme ça coño ! ¡Hijo de mierda de tú puta madre! ¡Un poco de respeto maricón!
L’homme accusa réception du coup de pied par un petit renvoi sur le carrelage du salons immédiatement essuyé par le balai à frange du concierge.
- Il est ou Douyoumdjian ? Qu’est ce que vous avez fait des patrons du café ?
- Va t’faire mettre Cacha !
Cette fois cis c’est un coup de balai qui lui écrase la face contre le sol. La réponse satisfaisait Jef, au moins elle n’avait pas été « Je ne sais pas ».
Tout ceci présageait d’une bonne finalité.
- Écoutez moi, raisonnez vous, vous devriez parler maintenant, sinon ça n’est pas sur que vous conserviez toute votre intégrité, autant tout dire maintenant et l’affaire est faite.
Il est ou Douyoumdjian ?
- Je t’emmerde Cacha.
Paco Pérès sortait de son placard quatre banderilles rouges et jaunes au bout desquelles se trouvaient des pointes bien aiguisées d’au moins trois centimètres en forme de croche de harpon.
A la vue de celles-ci, les yeux du ripou sortirent de leurs orbites.
- C’est quoi ça ? Dit-il l’air vraiment effrayé.
- Esto son banderillas de toros. Hecho para los toros y cuando entran, no salen ¿comprende? Te gustan las corridas, porque el toro ¡Eras tú!
- Quoi qu’est ce qu’il dit?
- Il dit que se sont des banderilles pour les taureaux et que quand elles entrent, elles ne ressortent plus, il demande si tu veux être le taureau.
- Alors ? Tu veux être le taureau ou tu dis ou il est Douyoumdjian ?
- Vous ne ferez jamais ça !
- Ça rentre bien dans le cuir des bêtes à cornes alors dans toi tu penses !
- Non, mais vous ne pouvez pas faire ça !
- Ah bon ? Pourquoi ?
Paco Pérès venait d’allumer sa chaine hifi et faisait péter un paso d’un air tout à fait assassin.
La musique remplissait la pièce et faisait vibrer les murs mais personne ne viendrai se plaindre du bruit Jef en était certain.
Paco Pérès était porté par une fièvre étrange qui venait de le saisir, ses yeux était métamorphosé, Paco Pérès affichait une exaltation illuminée.
Il tournait maintenant autour du pauvre guetteur et effectuait des pas de danse digne du plus cruel tueur de bovin qu’on ait vu dans les arènes Sévillanes.
- Alors il est ou Douyoumdjian ?
- Va niquer ta mère dans sa tombe, Cacha !
La musique prenait maintenant une intonation qui invitait le torero à porter sa première salve.
Paco Pérès s’arquait, les bras en l’air, sur la pointe des pieds, les reins creusés et les fesses bien serrées, il visait la cuisse du gisant dans une pause arrêtée des plus photogéniques.
D’un geste sûr, il planta deux banderilles dans la jambe de sa victime.
- Aïe ! Le con, Putain, c’est quoi ce merdier ?
- Y m’a niqué la jambe le pingouin !
- Non mais, oh, t’es pas net mon gars ?
- Hey ! C’est quoi c’délire ?
- Vous êtes tous à bloc ou quoi ?
Paco Pérès faisait de grands gestes comme s’il saluait une foule invisible qui faisait la « Ola » dans son salon orné de posters de foute, d’affiches de corridas, de bibelots très laids, et de poupées en costume traditionnels posées sur le gros buffet hideux qui trônait contre un des murs.
Une tête de taureau naturalisée, fichée dans son cadre en bois accroché au dessus de la télévision, regardait le torturé avec ses yeux de verre.
Il semblait compatissant.
Même le christ en croix qui était suspendu de travers au dessus du meuble de téléphone, semblait inciter le supplicié à ne pas résister à ses interrogateurs.
- « Regarde-moi », avait-il l’air de dire, « Regarde ce qu’ils m’ont fait, tu ne veux pas que les gens gardent cette seule et dernière image de toi, hein ? »
- Alors ça va ? Tu as eut ton compte ? Il est ou Douyoumdjian ? Parle quoi !
- J’parlerai pas alors perdez pas votre temps.
La musique reprenait de plus belle et Paco Pérès enchainait les passes autour de la grande table ornée d’une toile cirée ou seul un espace était usé par les coups d’éponge.
« C’est là qu’il doit manger » se dit Jef.
Le centre de la table était occupé par une coupe en verre ou reposaient de faux fruits en plastique.
Paco Pérès attrapa les deux banderilles qui reposaient sur la table et entamait une danse qui aurait fait tomber la pluie s’ils avaient été au milieu de tipis.
- Mais vous êtes complètement timbrés dans cette rue !
- C’est une impasse. Alors, il est ou Douyoumdjian ?
- J’vous l’dirais pas bande de sauvages !
- Qui parle de sauvages ? Répliqua Paco Pérès.
La vie c’est beau, la mort, c’est magnifique !
La corrida c’est un art ! C’est la mise en chorégraphie de la mort ! C’est une tragédie !
- Vous êtes sonnés ! Libérez-moi ! J’vais vous monter bande de chiens ! Libérez-moi !
- On te délivrera quand tu nous auras dit ou il est Douyoumdjian !
- Allez-vous faire foutre !
La musique varia à nouveau, et Jef sentit qu’il n’était pas bon de rester trop près de la cible.
La cuisse du malheureux était maintenant bien couverte de sang, et ça ne faisait que commencer. Il y avait une mouche.
Paco Pérès tournait autour du corps, les yeux embrasés par les « olé » encourageants de la foule galvanisée.
Il s’arquait, et plantait les deux banderilles dans la cuisse de l’homme à terre, avant de s’agenouiller la tête baissée et les bras tendu devant lui.
Grandiose.
- Merde ! Ma jambe ! Y m’a déchiqueté ma jambe le tordu ! Hey l’furieux ! Détend toi coco ! Et vous là Cacha ! Oh Cacha, faites quelque chose ! Mais putain arrêtez-le ! Arrêtez le bon dieu !
- Il est ou Douyoumdjian ?
- J’parlerais pas. Aïe, putain aïe, j’parlerais pas putain, non… J’parlerais pas…
L’homme serrait les dents et on entendait sa mâchoire claquer.
De grosses gouttes de sueur perlaient sur son front.
- J’parlerais pas…
L’homme tournait de l’œil. Paco Pérès se dirigeait vers sa cuisine et en ressorti avec une bouteille de vinaigre d’alcool qu’il versa abondamment sur la plaie du récalcitrant qui revenait à lui.
- Alors il est où ?
- Plutôt crever que d’vous l’dire bande de pédés !
Paco Pérès reprenait ses mouvements accompagnés par les trompettes et les guitares.
Contre le mur, depuis un présentoir fait en pattes d’herbivore, il retirait une épée, et attrapait sa blouse de concierge à la couleur rouge passée qui était posée sur une chaise dont les nombreuses moulures étaient propres à donner la nausée aux designers les plus contemporains.
La blouse masquait maintenant l’épée, et Paco Pérès taquinait sa victime avec le pan de celle-ci.
- Arrêtez-le au nom de la loi ! Arrêtez-le, il va me planter avec son truc !
- Il est où le commissaire ? Dis-moi où il est et c’est fini.
- Si j’vous l’dis c’est moi qui suis fini !
- Si tu ne le dis pas, c’est monsieur Pérès qui va te finir.
- Il le fera pas !
Paco Pérès pointait maintenant sa victime avec son épée. Il avait le bras plié, tendu au niveau de la tête, son coude parfaitement aligné sur la ligne de ses épaules, le buste en trois quart, l’œil fermé, la position était parfaite, il visait.
- Hé, mais ça va pas ? Il fait quoi votre type ?
- ¡La suerte de matar! Répondit l’espagnol.
- Quoi, putain mais qu’est ce qu’il a dit ? J’aime pas le son de la phrase !
- La chance du tueur !
- Hein ? C’est quoi ?
- La chance du tueur, c’est ta minute de gloire mon taureau.
- Hé ! Mais y peut pas faire ça ! Hey toi l’pantin ! Tu peux pas faire ça ! Putain tu peux pas ! Et vous là, dites lui qu’il peut pas.
- Qu’il ne peut pas, il y a une négation dans la phrase, on dit qu’il ne.
Depuis le début vous avez un truc avec les négations, je vous assure, c’est agaçant pour moi, pour le lecteur et le correcteur automatique d’orthographe.
- Ben dites lui !
- Il est où Douyoumdjian ?
- J’vous l’dirais pas, vous oserez jamais faire ça. Hé ! c’est un meurtre !
Le bras de Paco Pérès se détendait maintenant vers l’avant avec une précision toute chirurgicale.
Jef eut juste le temps de donner un coup de pied dans le flic et l’espada fit entendre son tintement métallique sur le carrelage avant de s’enfoncer entre le dos du ripou et les carreaux de céramique.
- Pourquoi vous avez fait ça ? demanda Paco Pérès.
- Parce qu’il n’a pas encore parlé monsieur Pérès.
- Mais je n’allais pas le tuer, je voulais juste le planter.
- Sans le tuer.
- Oui garanti, je plante mais je ne tue pas.
L’homme au sol tournait la tête pour suivre le dialogue surréaliste dont il était le sujet.
On voyait vraiment la peur dans ses yeux.
- Hey les gras ça va pas ? Je suis pas une bestiole moi ! Oh ! Les gars ?
- Il est où Douyoumdjian ?
- Va … te… faire… mettre… Cacha.
Paco Pérèz reprenait son épée, recalait le morceau de paso sur sa chaine, enchainait les pas et se repositionnait.
- Cacha, vous pouvez pas laisser faire ça ! Putain, détachez-moi ! Arrêtez le Cacha !
Paco Pérès se préparait à planter le gaillard et son bras s’élançait à l’assaut de l’anatomie du supplicié.
- Il est au manoir !
La lame s’arrêta un peu tard et l'espada était entrée d’un petit centimètre dans la chair du coup de l’animal.
- Vous aviez dit que vous ne vouliez pas le tuer !
- Je n’allais pas le tuer monsieur Cacha.
- C’était limite.
- J’étais sûr qu’il allait parler !
- Et s’il n’avait pas parlé ?
- Ben… j’l’aurai planté.
- Et par là vous ne l’auriez pas tué peut être ?
- Non je ne crois pas.
- Vous ne croyez pas ?!
- Je ne sais pas moi, on aurait vu…
- Et s’il était mort.
- Ben… je l’aurais mit au congélateur.
- Hé les gars ! Détachez moi putain j’ai mal ! Merde !
L'épée de torero était toujours plantée dans le cou du malheureux et celui-ci n’osait pas bouger d’un millimètre.
- Il faut faire gaffe monsieur Pérèz, j’ai besoin de lui vivant.
- Et bien il est vivant ! De quoi vous plaignez vous ?
- Au secours, j’ai très mal !
- Non je ne me plains pas.
- Oh les gars pardon, mais vous m’oubliez là.
- On ne t’oublie pas gilipollas, on se règle.
- Bon, c’est bien, vous êtes bien réglés maintenant, vous allez pourvoir me lâcher maintenant, hein ?
- Redis-moi un peu ou il est Douyoumdjian ?
- Au manoir.
- C’est quoi ce manoir ?
- C’est une grosse baraque qui…Aïe mon cou !
- Ou-là ! Ça saigne là ! Monsieur Pérèz vous lui avez percé la jugulaire je crois.
- C’est ce que je visais.
- Ne prenez pas cet air fier monsieur Pérès c’est grave.
- Quoi ? C’est quoi ? Hé les gars c’est quoi ?
De petits jets de sang s’échappaient du cou de l’homme avec une régularité toute cardiaque.
- Ça n’est pas grave monsieur Cacha, ça va surement s’arrêter tout seul.
Paco Pérès affichait l’air d’un enfant qui a mit le feu à une grange de foin avec une allumette, et qui est persuadé qu’une petite allumette ne peut pas causer une grande catastrophe.
- Bon, il est où ce manoir ?
- A Chatou.
- L’adresse ?
- 9, rue des moulins.
- C’est sur ?
- Bien sur que c’est sur, maintenant lâchez moi !
- Je ne peux pas vous lâcher comme ça, il faut que j’aille vérifier, en plus vous perdez beaucoup de sang.
- Et je dois récupérer mes banderilles.
Paco Pérèz tirait sur une banderille mais elle ne venait pas, elle était trop profondément enfoncée dans la cuisse de l’homme.
- Arrêtez, j’ai parlé quoi ! Laissez-moi maintenant ! Aïe ! Putain, merde, arrêtez !
- Il ne faut pas qu’il parte avec mes banderilles, je n’en ai pas d’autres.
- Je vais aller chercher le docteur, il va nous arranger ça.
- S’il vous plait monsieur Pérèz, lâchez cette banderille, soyez gentil.
- Si vous voulez monsieur Cacha.
Jef savait ou trouver le docteur, ce n’était pas trop difficile.
- Docteur j’ai besoin de vous s’il vous plait !
- Monzie Cacha vous êtes malade ?
-
*Le docteur voyait au moins double. |
Non moi ça va mais…
- Alors prenez un verre chers amis*
- Non je n’ai pas le temps docteur je suis pressé.
- Ah non monsieur Cacha, on n’est jamais trop perché ! Oh ! Prêché comme disait mon curé « ¯ Le curé de Cam… »
- Docteur s’il vous plait c’est une urgence !
- Vous avez peigné le soulet ?
- Presque.
- Quezquevousavéfaidupouletmonsieurcachahein ? dit il essayant vainement de le viser d’un doigt accusateur.
- Corrida.
- Un coulait à porno Meyzieu Pacha ?
- En quelque sorte docteur.
- Buvez un verre mon ami !
- Non s’il vous plait suivez moi !
- Non s’il vous plait suivez moi ! Reprit le docteur en se moquant du ton suppliciant de Jef.
- Bien, un rhum pour moi Serge et un pour le docteur.
- Allez deux rhums voila.
- Allez docteur, cul sec et on y va !
- Cul sec vous-même !
- Ils s’enquillèrent les deux rhums et sortirent du café.
- Jef était content de l’effet du rhum, quand c’est rare, c’est bon.
- Il est où votre malade ?
- Il n’est pas malade, il est chez Pérèz.
- Oh Pérès ! Il doit bien y avoir un truc à boire chez Pérèz ! Ils boivent quoi les espagnol ?
- Je ne sais pas docteur, de la sangria ?
- Bouarf ! Dégueulasse !
- Non, je ne sais pas moi.
- Ah bon ?... Et si on allait chez Pérès pour lui demander ?
- Si vous voulez docteur, je vous suis.
Ils entraient chez Paco Pérès. Ils le trouvaient en train de titrer sur une banderille.
L’homme hurlait.
Sa voix était encore couverte par le paso qui tournait en boucle dans le salon.
- Monsieur Pérès ! Vous aviez promis !
- Pardon monsieur cacha, mais je voulais voir.
- Au secours ! Achevez-moi ! Vous êtes tous des chiens de merde ! Des chiens de merde !
- Ah non, mais il n’est pas malade votre malade, c’est les nerfs ! Dites moi monsieur Pérèz, vous buvez quoi en Espagne ?
- C’est ça votre docteur ? AAAHHAAAHHAAAHH ! c’est ça votre docteur ! Laissez-moi partir AHHH ! Laissez moi partir par pitié, lâchez moi je me débrouillerais tout seul ! Pitié !
- Bon, je vous laisse.
- Docteur, essayez de faire quelque chose pour lui. Moi je vais au manoir. Ne le laissez pas filer tant que je ne vous l’ai pas dit d’accord ?
- D’accord Monsieur Cacha.
- Et lâchez cette banderille monsieur Pérèz !
- Oui monsieur Cacha.
Jef sorti sous les « Ne me laissez pas avec eux » de l’estropié.
Croix-Bâton
Jef respirait et remplissait ses oreilles du son ouateux de l’impasse en se disant que les gens n’étaient vraiment pas coopérants.
Il attendait que Franck descende de chez lui.
Il fallait élaborer un plan.
« Comment faire pour pénétrer dans le manoir ou était refugié le commissaire et ses hommes de main et combien seront-ils la dedans ?
Le manoir existe il vraiment ou est ce que c’est une grosse fable du poulet à une cuisse.
Un petit tour de reconnaissance avec le taxi permettra d’ébaucher une stratégie d’attaque».
(Si attaque il y a lieu)
Franck sorti du 3 ou il loge au premier étage.
Sur la place de parking devant le 3, Frank a marqué TAXI lui-même avec de la peinture jaune pour s’assurer un espace toujours disponible.
Il a même planté un panneau sur le trottoir qu’il a piqué en province, selon ses dires.
Depuis sa fenêtre, il peut surveiller sa voiture grâce à une camera qu’il a installé à sa fenêtre et qui lui renvoie l’image d’éventuels dégradeurs sur un moniteur, et un caméscope avec une cassette douze heures posés à coté de son ordinateur car, quand il ne conduit pas son véhicule de luxe, Franck pilote des bolides sur sa console de jeu ou surf sur internet.
Dans son taxi, il a une console branchée sur un écran LCD, ce qui lui permet de passer le temps coincé au milieu des files interminables de collègues qui attendent devant les gares ou les aéroports.
Franck arrivait, ils montèrent en voiture, et déjà, Franck démarrait.
- On va où patron ?
- 9, rue du moulin à Chatou.
- Oh j’ai une amie qui habite au 11 !
- Tu as une amie toi ?
- C’est pas parce qu’on est célibataire qu’on n’a pas d’amie patron.
- Et elle fait quoi ton amie ?
- Elle est cascadeuse.
- Tiens, c’est bizarre comme métier.
- Ben ouhai c’est ce que je me suis dit la première fois qu’elle m’a dit ça. Je m’suis dit oh ! une cascadeuse, une femme cascadeuse ! Dis donc ça doit pas être une rigolote et pis intérêt à faire gaffe, pas un mot de travers - « Place de l’étoile » - …
Et pis en fait non, brave fille, elle a fait du cirque pendant des années et pis un jour y a un mec qui vient la trouver pis qu’y y d’mande si elle voulait faire du spectacle, comme si l’cirque c’était pas un spectacle hein ? Alors elle, elle se dit : Oh ! Un maquereau ! Pis finalement elle c’est dit bon, c’est p’t'ête un mec bien en tout ca il avait une bonne tête - « Avenue de la grande armée » …
Finalement elle c’est dit bon, alors elle c’est dit dac’ j’veux bien voir pour voir. Elle pensait qu’le mec y voulait qu’elle fasse actrice alors elle y est allé bien sapé en s’disant ça y est, j’avais faire star -« Avenue Charles de Gaulles »-…
Et pis non, en fait le mec y voulait qu’elle tombe d’une fenêtre ! Ben comme elle était là elle c’est dit bon, puisque j’suis là, autant tomber par la fenêtre, - « N 185 Allée de Longchamp » - …
Alors elle a sauté mais c’était pas bon pas’qu’on voyait son visage alors y ont dit « coupez » pi y l’on r’fait comme y disent, -« Suresnes » -…
Pis, pis encore, pis encore, - « N13 Rueil-Malmaison »…
Et pis encore et pis encore et encore -« N 186 Chatou »-
… et petit à petit c’était mieux jusqu’à ce que, voilà on est au 9.
- Ne t’arrête pas !
- Ah ! et voilà donc que finalement au bout de la trentième rep…
- Non n’arrête pas ton taxi, continue de rouler…
- Excuse moi patron, j’suis bavard, qu’est ce que vous voulez que j’y fasse, j’y peux rien c’est comme ça, on va où ?
- C’est bon arrête toi là et attend moi tu veux ?
- A vos ordres patron.
- Merci, tu peux me prêter ta veste ?
- Oui tenez.
- Merci Franck c’est chic.
- A vot’service m’sieur.
Jef enfila la veste et entreprit de remonter la rue du moulin.
Le problème avec les villes de bourgeois c’est qu’il n’y a jamais personne dans les rues, et pour passer discret, ce n’est pas l’idéal.
« Si jamais une des momies met son pif à la fenêtre c’est cuit » se disait Jef en avançant du coté pair de la rue.
Il jetait un coup d’œil au numéro 9.
Le manoir était une maison bourgeoise à la façade austère.
Un porche en portique pour l’entrées, deux fenêtres au rez-de-chaussée, trois au premier et un toit mansardé recouvert de tuiles d’ardoises, le tout dans un style nouvel empire des plus banal.
Une modeste bâtisse en pierres de taille lovée au fond d’un parc de marronnier.
Deux voitures étaient garées dans la cour, la Nevada et une Clio blanche.
Seule une fenêtre était ouverte à l’étage.
Pour les autres, les volets étaient tirés.
La maison paraissait inhabitée mais bien entretenue.
A coté, au 11, la maison de l’amie était une grande bâtisse à l’allure néo-médiévale avec beaucoup de caractère.
Sur la gauche, s’élevait une tour qui dépassait la maison en faisant un haut deuxième étage et comportait plusieurs ouvertures en forme de meurtrières quasiment à son sommet.
« De là, ce serait une bonne place pour surveiller les voisins » se dit Jef.
Il retourna au taxi.
- Ou on va patron ?
- Elle est là ton amie ?
- Non elle double un James Bond à Tokyo mais c’est un secret.
- Dommage.
- Non, pourquoi ? C’est bien James Bond !
- Oui surement, mais c’est que je voulais lui demander un service à ton amie.
- Et c’était quoi, sans indiscrétion ?
- Utiliser sa tour pour surveiller les voisins.
- Elle aurait surement été d’accord, ça lui plait ces trucs de détective.
- Si tu le dis…
Franck affichait son plus beau sourire et sortait victorieusement un trousseau de clé de sa poche.
- Non !
- Et oui patron !
- Mais c’est sérieux alors !
- Les plantes vertes…
- Alors c’est sérieux.
- Bon on y va ou on reste la ?
- On y va Franck, on y va !
Franck sortit une télécommande de sa boite à gant et actionna l’ouverture à distance du portail.
Il démarra et s’engouffra dans la propriété tout en mettant la télécommande dans sa poche.
- Le portail se referma juste derrière eux.
- Et voilà, emballez c’est pesé.
- Merci Franck.
La propriété était superbe avec des parterres de fleurs, des statues d’angelots et une Diane chasseresse.
Dans un coin, Amour et Psyché se faisaient des papouilles, il y avait un joli salon de jardin en pierre reconstituée protégé des pluies acides parisiennes par une tonnelle en fer forgée.
Elle était couverte de jasmin et de chèvrefeuille qui embaumaient l’espace.
La propriété était ceinte de charmes qui donnaient l’illusion d’être à la campagne.
A travers les arbustes taillés qui marquaient la limite entre les deux propriétés, on pouvait voir le manoir.
Rien ne bougeait et il régnait dans le quartier une ambiance de chacun chez soi et dieu des chrétiens pour tous.
- Qu’est ce qu’on fait patron ?
- On attend que ça bouge.
- Entrons, on y verra mieux d’ la haut.
A l’intérieur de la maison, on était tout de suite accueillis par une collection d’affiches de cinéma qui recouvraient les murs de l’entrée.
Les affiches étaient collées les unes sur les autres comme une colonne Maurice victime de colleurs sauvages. Il y avait un grand cheval de bois recouvert de miroirs et de cuivre qui avait dut connaitre ses beaux jours sur un manège d’une autre époque.
Il y avait presque plus de plantes dans la maison que dehors, et celles-ci s’élançaient le plafond, les feuilles tendues vers le ciel, comme les doigts ouverts des évangélistes américains.
L’espace était ouvert sur une énorme pièce très contemporaine, aux murs gris clairs et aux angles saillants, rappelant le style architectural apprécié dans les lofts de zone industrielle.
Une grande cheminée centrale en fonte et en verre au milieu de la pièce était mystérieusement suspendue au plafond.
De nombreuses photographies grand format égayaient les murs de leurs couleurs vives de coquelicots, phalaénopsis et marguerites, la pièce baignait dans un éclairage par projecteurs de plateau.
Une grande table basse était entourée de nombreux coussins multicolores organisés façon désordre, comme seules savent faire les filles.
- Venez c’est par là.
- C’est joli ici, ça sent la fille.
- Oui c’est une fille très… fille.
Ils gravirent les marches en colimaçon de la tour, et accédèrent à une pièce circulaire utilisée comme bureau. Les murs étaient ornés de photos de vedettes de cinéma à coté desquelles posait une petite plante habillée comme la star.
« C’est surement celle là que Franck arrose » Se dit Jef.
- C’est ton amie ?
- Oui c’est elle, elle est belle hein !
- C’est des photos de plateau, pour les doublages de cascades quoi.
- Tu vois là c’est « Dans le ciel de Shanghai » avec Katia Plomier, celle là c’est dans « Poursuite à l’Alcazar » avec Claudine Beluc, et là c’est « Panique sur le vol de nuit » avec Nathalie Bevin, là c’est « Aller simple pour Bottafuego » avec Jeanne Liklow, et là c’est « Nanclarès dans tous ses ETAs » avec…
- Pardon Franck, mais je ne suis pas venu là pour la visite… On doit sauver les Claude.
- Ah oui, pardon, tiens, c’est cette fenêtre.
C’est la première fois que Franck tutoyait Jef. Peut être parce qu’il lui avait dévoilé un petit bout du cœur de sa vie et que ça changeait le nouveau de leurs relations. Ça faisait plaisir à Jef parce que Franck, c’est un brave type, qui lui aussi à droit à sa part du gâteau du bonheur.
Depuis la tour, Jef observait toute la surface de la propriété et là, surprise, la maison qui paraissait tout à fait modeste vue de face, s’étendait en fait à l’intérieur du jardin sur une bonne soixantaine de mètres, et cachait une luxueuse véranda vitrée dont on devinait le toit, une piscine, ainsi qu’une grande terrasse dallée qui s’étirait sur un gazon anglais aux reflets bleutés.
Tout ceci était cerné par un grand parc arboré de fruitiers.
- Eh bien, ça c’est de la maison ! Dit Jef à voix haute, admiratif. J’aimerais bien savoir à qui appartient cette résidence de luxe !
« Surement pas au gros commissaire se dit il pour lui-même. Avec son salaire de flic et même en envisageant qu’il ramassait un peu tous les jours avec ses petites combines, il fallait sortir un paquet de fric pour se payer une masure comme ça.
Surement qu’il y avait un gros patron derrière Douyoumdjian pour lui mettre à disposition une baraque de cette envergure.
Chaud devant ! Il va falloir se la faire discrète, sinon, il risquerait d’y avoir de gros problèmes en perspective».
Jef resta plus de deux heures à surveiller la maison d’à coté dans l’espoir qu’elle régurgite de ses occupants, mais rien ne se passait, et ça commençait à devenir un peu longuet tout ça.
Il commençait à trouver le temps un peu trop élastique dans le bureau de la demoiselle.
Franck avait préparé du café et s’était installé sur l’ordinateur de sa copine pour passer le temps.
- Tiens Jef prend donc un café, j’te vois la paupière lourde.
- Oui, merci Franck.
- Combien d’sucre ?
- Deux, merci.
Le temps de prendre sa tasse sur le bureau, Jef se remis à la meurtrière.
On voyait le toit d’une voiture qui manœuvrait dans la cour du voisin.
- Merde !
Jef posa la tasse sur le bureau tout en s’élançant dans les escaliers en colimaçon qu’il dévalait comme un pompier à l’exercice.
*Mais on n’a pas le temps. |
Il se jeta dans le hall du loft glissa sur un truc fit un mouvement pour se rattraper qui aurait mérité un ralenti* s’élança dans la volée contre la porte blindée qu’il franchi en l’ouvrant d’une façon presque quantique avant de sortir comme un moine tibétain en lévitation porté par un coup de vent violent se coller la tête dans les charmilles juste à temps pour voir sortir le gros cochon au volant de la Clio qui s’engageait dans la rue.
Le portail se refermait derrière lui, tout doucement, tout seul, tout en couinant.
« Il doit en rester deux la dedans » se dit Jef. « Ça, ça doit être la voiture des momies ».
- Bon, il n’y a pas un instant à perdre. Surement que les souris doivent être en train de danser maintenant que le gros rouquin est parti.
A l’heure qu’il est, c’est maintenant ou jamais, Franck je crois que c’est l’heure de la surprise du chef.
Franck qui écoutait Jef le questionnait silencieusement de sa bonne bouille, les sourcils en l’air, et les yeux en attente.
- Est-ce que tu te sens prêt pour un peu d’exercice ?
- Aller vite fait parce que le café va refroidir et…
- Réchauffé ça cache ! dirent ils en chœur et en piaffant.
Il y avait une grille qui séparait les deux propriétés, et les charmes qui avaient poussé contre s’étaient mélangés dedans.
En la longeant, on voyait qu’à certains endroits ils avaient torturé le fer des barreaux, et à certains autres endroits, ils avaient complètement soulevé les piliers qui soutenaient les ferronneries.
Il devait y avoir un gros chien dans le quartier qui avait l’habitude de passer par là, parce qu’un trou était présent dans la haie, et le sol était gratté et pelé.
« Le trou est assez grand pour pouvoir s’y glisser en s’écorchant un peu la tète ou le dos » se dit Jef avant de s’y engager suivi de son comparse.
Ils sortirent sans grand mal du passage canin, la tête la première dans un massif de roses odorantes et griffues, puis ils se dirigèrent vers la porte d’entrée.
Elle était fermée à clé, dommage.
Ils longeaient la maison à la recherche d’une fenêtre ouverte.
Il n’y en avait pas.
Il fallait faire vite, le gros pouvait revenir d’une minute à l’autre, et ce serait triste pour les deux cambrioleurs novices que le commissaire trouve des intrus dans sa planque.
Ils continuaient à longer la maison en prenant bien soin de rester le plus prés possible du mur jusqu'à ce qu’ils arrivent à la piscine.
Pas d’accès.
La piscine était du modèle super-luxe, et était à demi-couverte. Une partie à l’air libre et une autre qui était enfermée dans la véranda.
On voyait de grands transats, genre modèle pour couple en rut, qui étaient installés et, dans un autre coin, un jacuzzi géant qui bouillonait.
Dehors, la piscine était couverte d’une bâche.
Dedans, elle était protégée par la véranda, et sa surface brillait en petites vaguelettes éclairées par le soleil et les lumières intérieures de la maison.
- On va passer par là.
- Par où ?
- Par la piscine, on va se glisser sous la bâche et ressortir par la véranda.
- Et on fait quoi de nos affaires ?
- Ben on les garde avec nous, on ne va pas mourir si on mouille nos fripes.
- Les fripes non, mais les clés d’la bagnole et les portables, je ne suis pas sur qu’y vont aimer ça.
- Ah oui, je n’y avais pas pensé.
- J’vais les met’ dans la haie, on les récupérera plus tard.
- Bonne idée Franck.
Ils réunirent donc tout ce qui était fragile, et firent un gros ballot que Franck alla rapidement planquer dans le trou derrière le rosier.
Quand il revint Jef n’était plus là.
Il s’était glissé sous la bâche et était rentré dans la véranda ou il lui faisait de grands signes pour l’inciter à le rejoindre.
Franck ne se fit pas prier et se glissa dans la piscine. L’eau était chaude et c’était agréable.
Il en profita pour se rincer la tête des graviers et des pucerons qu’il avait ramassés lors du passage dans le trou.
Une fois dans la véranda, il y avait tout pour s’essuyer, et les serviettes blanches impeccablement pliées, finissaient par terre ornées de taches de boue et de jus de parasite lactifères.
Ils n’eurent pas de difficulté pour entrer dans la maison car la porte coulissante qui fermait la véranda n’était pas verrouillée.
Dans le salon, étaient disposés des fauteuils énormes qui paraissaient confortables, genre fauteuils de relaxation suédois aux lignes modernes, ainsi qu’un fauteuil de massage mécanique en cuir.
Un écran plasma d’une taille excessive reposait sur un vieux meuble en bois qui ressemblait à une maie.
Les murs étaient recouverts de tissus tendus et habillés de tableaux de maitres.
Jef reconnu un Degas, un Renoir, un Picasso, celui-ci devait être un Miro et celui la avait quelque chose de Matisse. Il y avait un célèbre Dali et juste à coté, aucun doute possible, c’était un Cloc période mauve.
Une superbe tapisserie d’Aubusson ornait un pan de mur et de nombreux bronzes étaient disposés sur des meubles anciens.
Dans de vitrines, il y avait des pièces archéologiques précolombiennes et Égyptiennes.
Du plafond tombait une rivière de cristal ou une trentaine d’ampoules, façon bougies incandescentes sur quatre niveaux, émettaient une lumière digne du reflet d’un œil de diamantaire.
De grands miroirs moulés et dorés à la feuille, renvoyaient des visions en perspective de la pièce qui semblait infinie.
Les portes étaient très larges, et composées de doubles battants sculptés, surmontés d’encadrements peints sur bois, représentants des scènes de vie à la cour.
Le salon faisait à première vue quelque chose comme trois cent mètres carrés digne de Carnavalet ou d’un Versailles du pauvre.
Les murs étaient cornichés, et les plafonds ornés de trompe l’œil ou des angelots sans pudeur regardaient l’air las, l’immobilité des nuages.
Les plafonds s’élevaient à quatre ou cinq mètres du sol, lui-même dallé de marbre, veiné de rose et de blancs, ou les propriétaires avaient disposé de grands tapis persans, qui n’avaient pas l’air de sortir de chez « Bonprix ».
- Quel étalage ! on s’croirait chez un antiquaire !
- Ou chez un…
Jef n’eut pas le temps de terminer sa phrase, qu’ils entendirent un bruit de l’autre coté de l’une des portes. Le bruit, des voix en fait, s’approchait, et une porte s’ouvrait.
Jef et Franck eurent juste le temps de se cacher comme ils purent.
- Tu vas voir, le jacuzzi du vieux, c’est un vrai bonheur ! Après une journée comme celle-ci, un quart d’heure là dedans, et t’es requinqué jusqu’à minuit.
- Et s’il revient pendant qu’on est là dedans, il va gueuler !
- Non, il est parti prendre des nouvelles du bancal, le portable au Mimile ne répond pas. Le temps qu’il fasse l’aller retour, on a largement de quoi en profiter. Après tout, c’est un peu nous qui l’avons payé cette baraque, en 15 ans de service entre Dianus et lui, on leur a ramené pas mal de pognon, y a pas de raison qu’on en profite pas comme le gros, hein ?
- T’as raison, aller, le dernier à poil c’est lui qui fait la vaisselle !
Caché derrière un énorme fauteuil, Franck faisait des grands gestes à Jef et pointait son doigt vers le tas de serviettes par terre.
Pour l’instant, les deux momies, trop occupés à enlever leurs vêtements ne les avaient pas vu, mais ça ne durerait pas c’est sur, Toutankhamon et Ramsès II ne sont pas différents des autres. On s’ennuie tellement dans un jacuzzi, qu’on finit toujours par regarder autour de soi, et dès que les maharadjas nouvelle génération verront le tas de linge marron par terre, il ne leur faudra pas longtemps pour que ça fasse « Cling ! » dans leurs petites têtes enturbannées.
Ce n’est pas « Cling ! », mais « Clong ! », que firent leurs petites têtes enturbannées lorsqu’un Bouddha et un Ganesh entrèrent en contact avec elles.
Bien qu’amortit par les bandages, le choc de la rencontre entre l’esprit et la matière, émit un bruit de toast grillé qu’on brise en tartinant trop vigoureusement.
- Ils sont morts Jef ?
Jef posa sa main sur la jugulaire des hommes de tête.
- Non ils dorment.
- On les laisse par terre ?
- Non on va les mettre dans le jacuzzi, ça fera une surprise pour Douyoumdjian.
Ils saisirent chacun un inconscient et le glissèrent dans le jacuzzi, les têtes bien calées avec des serviettes pour qu’ils reposent tranquille, et ne risquent pas de se noyer dans la piscine à bulles, puis ils entreprirent la recherche des deux Claude dans la grande maison.
A l’étage, celle-ci ressemblait plus à la réserve de monsieur Légi, qu’au petit nid douillet de la famille parfaite.
Dans les pièces étaient empilées des boites de mobiles, d’ordinateurs portables, des cartons de parfums, de cigares, de cigarettes… Plus loin dans une autre pièce étaient empilés des tableaux et des objets d’art rangés sur étagère, une pièce était pleine de hachich, de cocaïne, de gros sachets de pilules roses, bleues, il y avait une balance de précision posée sur une table en inox ainsi que des masques en tissus.
Une grande pièce était garnie d’une vingtaine de lits de camps et d’un tas de fringues de filles empilées dans un coin. Il y avait des barreaux aux fenêtres et la porte et les verres des vitres était blindés.
Seule une pièce était fermée à clé, et on voyait, par le trou de la serrure, un bureau, et derrière, un coffre fort façon western, avec un gros paquet de billet posés en deux tas dessus.
Une autre pièce encore était remplie de nourriture et de bouteille d’alcool.
Par terre, il y avait deux grosses boites aux vibrations bizarres. Jef ne put s’empêcher de regarder dans les caisses de Pandore. A l’intérieur de celles-ci, étaient rangés d’énormes fusils de guerre à l’allure futuriste, digne des héros des productions Lucas Films.
Ils avaient fouillé tout l’étage, et pas de trace des Claude.
Ils redescendirent rapidement les escaliers.
Il y avait encore les mansardes, il devait aussi surement y avoir un grenier, mais le grenier, ce n’est pas une bonne place pour conserver des prisonniers.
- Il doit y avoir une cave.
Ils trouvèrent facilement la porte de la cave car celle-ci n’était pas fermée.
Les escaliers étaient larges, et la cave paraissait nettement plus vieille que la maison. Elle était genre romaine ou romane, avec des colonnes aux chapiteaux robustes et taillés soutenant de grandes voutes qui s’enchainaient façon cave à fromage ou nefs bourguignonnes.
Ça sentait bon la moisissure, le vin séché et la terre.
Il y avait de grands chaix et une étagère en fer ou reposaient au moins des milliers de bouteilles de vin.
Jef en attrapa une pour voir l’étiquette.
Château Yquem 1857, une autre, Cheval Blanc 1983, Château Latour 1967, Puligny Montrachet 1973, Lafite Rothschild 1973, Petit Chablis 1985, Saint Émilion 1978, Haute côtes de Nuit 1975, Château Petrus 1927, Corton Charlemagne 1979, Romanée Conti 1984, Sauvignon…et plein de bouteilles de champagne.
Il y avait de quoi gouter pendant un bon moment et juste ce qu’il fallait pour faire pâlir le sommelier de la tour d’argent.
Le sol était jonché de cartons et de caisses en bois ou le nom du domaine était écrit au fer chaud avec le dessin de la propriété.
On voyait la trace de la bouteille qui parfumait la cave de son bouquet.
C’était un Bandol rouge qui c’était fraichement rependu sur le sol et qui se mariait à la terre, « né de la terre tu retourneras à la terre ». C’était beau, ça sentait bon, la date était invisible sur l’étiquette tachée, mais ils n’étaient pas venu là pour ça.
En avançant dans la cave, on voyait bien qu’elle était au moins trois fois plus grande que la maison.
Elle semblait s’enfoncer sous terre indéfiniment.
Il faisait bien frais.
Ils avançaient dans la semi obscurité, ou seuls quelques néons poussiéreux émettaient une lumière blafarde avalée par le brun-rouge des briques qui composait le matériau des voutes, et le brun de la terre au sol battue par des milliers de pieds allant de la sandale monastique à la santiag des ripoux.
Ils entendaient une voix qui parvenait de loin, au fond, une voix unique, et reconnaissable comme le cri du petit phoque sur une plage Namibienne.
C’était Claude qui consolait madame.
Il lui affirmait que Jef n’allait pas tarder à venir les chercheur, qu’il n’y avait pas à s’inquiéter, que c’était une question de temps, et que Jef était un grand détective qui ne laisserait jamais tomber ses amis , que ça n’était pas son genre.
Si ça n’avait pas été qu’ils étaient pressés, Jef aurait bien laissé Claude continuer ses louanges, mais ça n’était pas son genre de profiter des largesses de langages des gens.
Il eut quand même bien chaud au cœur en entendant comme Claude avait confiance en lui.
C’est toujours bon à prendre. Un peu comme une vie gratuite dans super-Mario ou une extra balle dans un flipper, si vous voyez ce que je veux dire.
Les deux Claude étaient prisonniers séparément dans des cellules fermées par de grosses portes en bois retenues par des serrures à coulisse sans cadenas.
Les fameuses oubliettes du commissaire.
Jef poussa le loquet de la serrure de madame qui laissait échapper un cri de surprise mêlé d’angoisse.
Aussitôt, Claude invectiva le tireur de verrou rapport aux façons que sa mère pouvait se laisser prendre pour arriver à l’orgasme, ou comment son frère pouvait utiliser son organe buccal au royaume de Satan, pour d’autres activités vitales que boire manger ou fumer Il affirmait même que l’extrémité expulsive de l’intestin du concerné et de son père, sauraient être rapidement comblés par l’appareil génitoire un mammifère canin de grande taille.
Si l’on écoutait en détail les propos du tribun, la question de fumer restait assez ambigüe.
S’en suivit une prédiction sur l’avenir des éventuels enfants du séquestreur et de leurs descendants sur au moins deux générations.
On revoyait l’ascendance généalogique du preneur d’otage façon théorie de l’évolution de Darwin en partant du cafard.
Jef ouvrit la porte de Claude en prenant bien soin de ne pas se ramasser une tarte gratuite des grandes paluches du gueulard.
Il n’y avait pas de risque, Claude était attaché par les pieds et les mains façon rôti du dimanche aux champignons de Paris, réunion de famille autour du thème « Et toi mémé qu’est ce que tu penses des testaments en général ? Est-ce que tu m’aimes ? ».
*Satan est mon copain, ou, j’ai une relation privilégiée avec Belzebuth. |
Franck courut chercher un morceau de verre de la bouteille de Bandol car personne n’avait de couteau sous la main et Jef coupa les liens de la réalité qui fixaient le cafetier qui avait les yeux maquillés façon gothique*, gonflés comme une libellule, et une trainée de sang qui avait bien coulé au coin de sa bouche, ce qui n’avait pas handicapé pour autant sa verve phocéenne.
A la vue de Franck, les yeux de Claude se plissèrent et ses muscles se tendirent.
Il se serait bien défoulé sur le taxi.
Maintenant qu’il était libre, on sentait qu’il se serait bien préparé un tartare à la main.
Heureusement que Claude n’est pas méchant. Il se raisonna de lui-même avant d’envoyer une grosse pince à Franck.
- Merci Franck.
- De rien Claude.
Les deux hommes se serraient la main les yeux fixés les uns dans les autres, genre : « Je te tiens tu me tiens… »
- Bon, charmante démonstration de virilité les gars, mais on ne va pas dormir ici hein ? Si on allait voir s’il fait encore jour dehors ?
- Vous avez raison monsieur le brigadier, nous sommes restés bien assez longtemps ici. Allez, lâchez vous tous les deux, sinon vous risquez de vous greffer.
- Il est détective madame.
Ils sortirent de la cave et, quand ils furent en haut des escaliers, Claude demanda.
- Ils sont où les chapons ?
- Ils mijotent dans un bouillon là bas. Désigna Franck.
On voyait leurs deux têtes bandées dépasser du jacuzzi géant.
- Je reviens.
- Non Claude ! Cria Jef.
Mais rien ne pouvait arrêter la montagne en mouvement, sauf madame qui restait complice, muette, et s’efforçait de se recoiffer dans une des énormes glaces du salon. Jef était persuadé que Claude allait noyer les momies. C’était mal connaitre les Marseillais.
Quand on connait bien les marseillais, on sait que volontairement, jamais un phocéen ne noierait une momie.
Une momie, c’est cinq volumes d’eau maximum.
Claude se contenta de faire effectuer à leurs membres, bras et jambes, des mouvements contre nature, que seuls quelques contorsionnistes chinois modelés depuis l’enfance, peuvent réaliser après quelques heures d’échauffement.
En gros, il leur avait pété les bras et les jambes avant de les allonger sur les transats.
Les deux momies reposaient confortablement installées, les bras repliés en arrière sur les cotés en W et les jambes sur leurs ventres en X.
Malgré leur inconscience, ils geignaient, et cela fit mal au cœur à Jef.
- Trop tard. Dit-il à haute voix.
- Quoi ?
- Rien, allons y.
Ils sortirent de la maison par la grande porte d’entrée dans l’intention de se glisser sous la haie mais le physique de Claude ne permettait pas ça.
Il fallait sortir par le portail, ce qui présentait un gros risque, mais bon, tant pis, ils n’avaient pas le choix.
A droite du portail, se trouvait un bouton commandant l’ouverture électrique de ce dernier.
Ils déclenchèrent la serrure électrique et la grosse porte vibra en couinant un peu*, elle s’ébranla et ouvrit le passage pour la rue.
*J’ai une copine qui... Non, rien. |
Franck avait récupéré les affaires dans le trou, et déclenchait l’ouverture de la maison voisine.
Un coup d’œil furtif dans la rue, et tous se dépêchèrent de changer de maison.
Le gros portail se refermait dans un couinement à l’envers qui faisait penser aux deux désarticulés de la véranda.
Celui de la maison glissa en silence car Franck l’avait huilé dernièrement.
Opération réussie, ils avaient sauvé les Claude !
Doux œufs.
- Vous ne pouvez par retourner au « 13 » tant que l’on n’a pas fini de démêler l’écheveau.
- Belle formule !
- Merci Franck.
- On ne sait pas combien ils sont, et c’est sur qu’ils ne vont pas aimer la surprise qu’il y a au manoir. Alors il faut que vous vous cachiez un moment. Vous savez où aller ?
- Non, nous n’avons que le « 13 » nous.
- Bon, ben vous avez qu’à rester ici l’temps qu'ça s’calme.
- Ou ça ? dans le parc ?
- Non dans la maison.
- Ah bon ? Elle est à toi cette belle maison ?
- Non, c’est à une amie.
- Ah oui ? Et elle fait quoi ton amie ?
- Elle est cascadeuse.
- Cascadeuse ? Génial ! Dis donc elle ne doit pas rigoler.
- Non c’est une gentille fille, en fait elle f’sait du cirque et pis un jour y a…
- Pardon de te couper, mais nous avons d’autres chats à fouetter, Franck.
- Ah ouhai, c’est vrai. Bon. Tenez, ça, c’est la clé, faites comme chez vous, mais n’oubliez pas qu’c’est pas chez moi dac’ ?
- Oui merci Franck.
- Tout de suite à gauche, repris Jef, il y a une porte. Au dernier étage, vous pouvez voir le manoir, si vous voulez le surveiller, mais ne vous faites pas remarquer, et n’allez pas vous venger sur le commissaire ok !?
- Ok, répondit Claude.
- Madame, jurez moi que vous ne vous vengerez pas.
- Ça va, je le jure.
- Vous n’avez pas croisé les doigts j’espère ?
- Non, je n’ai pas croisé com-missaire.
- Bon, montrez moi vos mains et jurez.
- On l’jure, reprirent les deux Claude en cœur, les mains tendues devant eux.
- Ça va, je vous crois. Allez à plus tard.
- A plus tard, repris le duo.
« J’espère qu’ils n’ont pas croisé les doigts de pieds » se dit Jef.
Mais c’était trop tard, ils étaient dans le taxi qui avait quitté la maison de la cascadeuse et qui roulait vers Paris.
- Dis moi Jef, c’est qui Dianus ?
- Un dieu romain.
- Ah…
- Et c’est qui l’bancal ?
- C’est moi.
- Mais t’es pas bancal !
- Si, j’ai une cale de deux centimètres dans ma chaussure droite.
- Ah oui ? Ça se voit pas.
- C’est parce que tu n’es pas dans ma chaussure droite.
- Ah non, j’y suis pas, t’as raison…
Franck restait absorbé. Cette histoire de cale ça l’avait séché.
Jusqu’à l’impasse, il ne décrocha pas un mot.
- Gare toi dans la rue Franck tu veux ?
- Si tu veux Jef.
- Qu’est ce que tu as ?
- Rien.
- Bien sur que si, tu n’as rien dit de tout le voyage. Tu t’inquiètes d’avoir laissé les Claude ?
- Non.
- Et bien, qu’est ce que tu as ?
- Rien.
- Si, je vois bien que tu as quelque chose, dis le moi.
- Non, non, j’ai rien.
- Je vois bien qu’il y a un truc, dis moi le, quoi.
- Non, j’veux pas t’gêner.
- Bon va y quoi, dis moi et ça y est.
- Tu m’fais voir ta cale ?
- Oui, si tu veux.
Jef retira sa chaussure et en sorti la calle.
Un petit tremplin de deux centimètres en plastique marron.
- Ah ouhai c’est ça ? Il avait l’air déçu.
- Ben… oui, tu t’attendais à quoi ?
- J’sais pas, aut’chose.
Jef remit la calle dans sa chaussure et en profita pour y remettre son pied et tout rattacher ensemble avec un nœud.
Puis ils sortirent de la voiture et entrèrent au « coin ».
- Salut Serge.
- Salut les gars, ça va ?
- Ça va, nous avons sauvé les Claude !
- Bien, bonne nouvelle, et ils vont rouvrir ce soir ?
- Non, ils sont en vacances un petit moment.
- J’ai hâte qu’ils rouvrent, les gens râlent parce que le pastis est trop cher selon eux. Je ne vais quand même pas me mettre à la notre moi aussi, ça n’est pas mon genre.
- T’inqu’êt pas, Serge, y vont r’venir les Claude.
- C’est l’affaire de deux ou trois jours j’espère. Il c’est passé quelque chose durant notre absence ?
- Je ne sais pas, j’ai passé l’après midi à négocier des Ricard.
- Dommage.
- Il faut que j’appelle Antoinette, elle est en haut, c’est elle qui surveille.
Claude pris un balai et tapa trois coups dans le plafond au dessus du comptoir. Une minute plus tard, Antoinette descendait toute excitée avec un papier ou elle avait tout noté bien propre sur trois colonnes.
Entrée, piéton, sortie.
- Merci Antoinette bon travail.
- Oh ! Monsieur Cacha, quelle histoire !
Sur le papier propre comme un devoir d’école d’élève zélé, était inscrit le numéro de la plaque avec la marque des véhicules qui avaient pénétré dans l’impasse, ainsi qu’une description des piétons qui n’étaient pas du quartier, ce qui comprenaient ceux qui étaient sortis de leurs véhicules, avec la marque de celui-ci.
Eux portaient un astérisque bleu qui précédait leur description et un numéro qui les répartissait selon le numéro de l’immeuble dans lequel ils étaient entrés (triangle rouge), étaient resté devant (triangle bleu), le triangle vert signalait ceux qui n’étaient entrés nulle part. Il y avait l’heure du passage à l’entrée et à la sortie, avec pour référence la ligne imaginaire du 1 au 2 de l’impasse. Un vrai travail de pro.
Dans la liste, il n’y avait pas beaucoup de suspects. Beaucoup de clients pour monsieur Légi, pour le coiffeur, les clients du « 13 » qui trouvaient porte close, on reconnaissait facilement la voiture de Douyoumdjian qui avait attendu un quart d’heure avant de repartir, ainsi qu’une autre avec un numéro de plaque qui n’était pas civil et qui était restée garée trois minutes devant le 14 avant de repartir.
Un homme en était descendu, rentré dans l’immeuble, et reparti.
- Comment avez-vous fait pour voir les voitures au 14, Antoinette?
- J’ai passé plus de deux heures à arroser mes géraniums. C’est un coup à les faire mourir ! Mais j’ai fait attention, je pense qu’ils vont s’en sortir. A la fin, je faisais semblant de mettre de l’eau, parce que ça gouttait trop.
Jef imaginait la tête ronde d’Antoinette plantée dans les géraniums comme s’ils avaient fait un fruit.
Si on en croyait la feuille, il n’y avait rien à craindre. Jef pouvait sortir sans peur de se faire trouer.
- Bien, je vais chez Pérès pour voir le travail du docteur.
- Ok j’monte chez moi, si t’as b’soin d’moi appelle. Dac ?
- Dac.
Jef traversa l’impasse et se retrouva rapidement au 12. Il ouvrit la porte de l’immeuble et frappa chez Paco Pérès. Pas de réponse.
Il tourna la poignée et la porte s’ouvrit.
Il entra.
Le salon était nettoyée et la pièce empestait l’eau de javel et le produit au pin.
L’espada avait retrouvé sa place et en ouvrant le buffet en formica, Jef trouva les banderilles bien propres et rangées.
Le docteur ronflait sur le canapé, une bouteille de whisky serré entre les bras.
Jef le secoua vigoureusement, il n’arriva qu’à le faire mousser.
Le médecin ne se réveilla pas.
Un tour rapide dans l’immeuble confirmait à Jef l’absence du concierge. Il n’y avait tout bonnement pas trace de lui. Paco Pérès avait disparu, envolé comme un contrebandier Andalou. Tant pis, il réapparaitra bien tout seul parce que ce soir, il y a match.
Il commençait à se faire un peu tard et avec tout ça, Jef se sentait un peu sale quand même.
Ses habits n’étaient plus très frais et sentaient le chlore. En plus ses cheveux avaient fait leur propre enquête et ramassé toutes sortes d’indices : gravier, terre, toile d’araignée, poussière de cave, puceron, écorce de charme, cochenille et poils de chien, un peu de sang…
Rien de tel qu’une bonne douche pour se remettre d’aplomb et réfléchir un peu.
Il grimpa rapidement chez lui et se glissa sous la douche (je passe ici sur la scène du savonnage érotique) de là, il se regarda dans son grand miroir et réfléchit.
« La maison était à Douyoumdjian et à un dieu Romain. Le gros commissaire menait Orient Express (grand train), en fait, ce n’était pas un léger le commissaire Douyoumdjian.
Trafic de drogue, d’alcool, cigarettes, armes, art, produits issus des nouvelles technologies, parfums… Tout ceci sentait le recel et le détournement de saisie. Et cette pièce avec ces lits, ça ressemblait fort à un centre de formation accéléré pour les pauvres gamines qu’on croise le soir au bois et un peu partout dans la ville, peut être même au Papagayo finalement.
Tout cet argent, ce n’était pas très propre tout ça.
Les hommes du commissaire avaient été bien clairs, le jacuzzi c’était au patron, et à voir la taille des transats et des fauteuils, pas de doute, tout ça était pour poser la viande avariée du gros poulet gavé.
Douyoumdjian était pas un rigolo, et il faudrait voir à se méfier sérieusement de lui. Il devait surement y avoir encore du monde au dessus, et puis une bonne pelletée d’employés aux basses œuvres. Avec la surprise que lui avait préparée Claude, si le gros ne faisait pas un infarctus, il risquait de montrer sérieusement dans les tours. L’avantage avec les manipulations anatomiques du cafetier, c’est que le commissaire sera obligé d’appeler au moins une ambulance, ce qui permettra qu’il y ait au moins du monde qui visite son salon. C’est toujours ça de pris sur l’ennemi, un bon sentiment d’insécurité, il n’y a rien de tel pour faire sortir le lièvre de son gite. En fait le commissaire il était un peu comme un hippopotame dans la vase, tout le monde savait qu’il était gros, mais on n’y voyait que les narines alors, difficile de se rendre vraiment compte. Il fallait faire peur à la bête pour qu’elle sorte de sa bourbe et se mette a nu devant tout le monde. »
Jef l’aurait bien dénoncé mais c’était toujours possible que le gros serve encore à quelque chose d’ici la fin du livre, ce serait dommage de gâcher un personnage comme ça. Enfin ça, l’avenir nous le dira.
« Quel salop ce mec quand même, se disait Jef en s’essuyant. Rien qu’a penser que cochon était un bon copain du paternel avec des « mon frère par ci », « mon ami par là » et vas y que je te donne des claques dans le dos, et vas y qu’on est des potes. Ça le dégoutait.
Quelque part au fond de l’esprit de Jef, Quelque chose lui disait que l’accident de son père n’était peut être pas si accidentel que ça et que le gros cherchait peut être à protéger ses intérêt. Peut être de Chisirophe avait mis le doigt dessus et qu’il voulait le dénoncer ? Mm… »
Jef s’habilla avec un de ses célèbres costumes à rayure et descendit de chez lui par les escaliers.
Grand calme.
Dans la loge, ronflement du docteur Doncier, toujours pas de Paco Pérès, tant pis.
Il sortit dans la rue et traversa pour aller au « 13 ».
La grille du café était descendue, c’était triste.
Pas de café.
Il fit demi-tour et s’engageât au 14.
Il grimpa les deux étages et petite foulée et arriva à son bureau.
Il ouvrait la porte, quand ses yeux se baissèrent instinctivement au sol ou reposait une enveloppe qui avait été glissée entre le plancher et la porte (évidement).
L’enveloppe était petite, façon carte de vœux qu’on plante sur les bouquets de fleurs quand on a quelque chose à dire mais qu’on n’y arrive pas avec des sons.
Le genre de paquet qu’on noie dans les aromes et les gypsophiles, et que le fleuriste à toujours bon goût d’agrafer sur le papier transparent entouré de bolduc.
Plus cher qu’un S.M.S. certes, cependant redoutablement plus efficace, essayez vous verrez.
Bon. Sur le coup, pas de bouquet.
Il ne devait pas passer sous la porte.
Mais une carte quand même, c’est gentil d’y avoir pensé.
Elle était de visite, et présidentielle, avec un numéro de portable, et le mot « merci » pour toute indication.
Jef fourra la carte de visite dans sa poche, et se promit d’appeler demain à la première heure.
Il se posa sur le canapé ou il avait dansé avec Ça, et alluma sa grosse télé pour voir si le monde ne s’était pas écroulé dans la journée, la télévision, infaillible moyen pour faire glisser son esprit sur le néant absolu histoire de travailler son détachement.
A la télé, on contait la fête de la comtesse dans une émission de ragoteurs.
Jef se cherche mais ne se trouve pas.
La fête avait l’air encore mieux enfermée dans la boite que dans la réalité. Le commentateur donnait le nom des gens déguisés et il se trompa carrément sur quelques uns ce qui amusa Jef.
Il zappa sur les infos en continu.
On voyait le président entouré de plein de gens, au sortir d’une réunion que le journaliste nommait : « Convention biannuelle des développements pluridisciplinaires inter-états, et d’interprétation des pré-résultats concernant les évaluations projectorales des outils vecteurs de coordination sectorielle dans les domaines de la macro-économie et de l’accès aux mécanismes de dérèglement des plateformes institutionnelles régionales, centrées autour des problèmes majeurs des zones intra-frontalières membres communautarisés à la charte des échanges défiscalisés francs ».
En bref, une bouffe entre potes.
Ça le grattait dans la poche. La carte avait l’air de vibrer. Jef avait la main qui chauffait et trop envie d’appeler le président. Il saisit son téléphone et composa le numéro qui était noté au verso.
En direct, devant des millions de téléspectateurs suspendus, désorientés, dans l’attente des résultats de cette réunion essentielle à l’avenir du monde de la macroéconomie et d’etc.…, le président tâtonnait sa poche et en sortait le petit téléphone portable dernière génération, cadeau de son copain X*, ce qui fit rire ses collaborateurs et ses copains dirigeants du monde libre qui étaient réunis autour de lui.
*Pas de nom surtout pas de nom ! **viche tourneur |
Le président sympa, fit un petit signe amical un peu gêné aux (n)ombreux journalistes internationaux qui étaient présents, et gratifia ses homologues de son plus beau sourire électoral.
Le président Américain le vannait, pendant que les autres sortaient eux aussi leurs téléphones pour taquiner le chef de la nation tricolore, s’il vous plait.
Testula était à droite du président avec son sourire faux derche** quand celui-ci prit l’appel.
- Allo ?
- Bonjour monsieur le président, excusez moi, je vous dérange, je vous vois à la télé.
- Pas du tout, c’est très bon pour les medias. Qui est à l’appareil ?
- C’est Jean-François Cachakopoulos monsieur le président, mais ne dites pas mon nom.
- Oui, bien sur.
Le président regardait l’écran de son mobile.
- Votre numéro est apparu sur l’écran, je vous rappelle dans quelques minutes entendu ?
- Bien monsieur le président.
- Alors à tout à l’heure.
- Président !
- Oui ?
- Votre braguette est ouverte.
Devant des millions de citoyens planétaires, le président de l’état français baissa ses yeux sur son organe présidentiel découvrant à sa grande surprise qu’un membre du cabinet tentait de se glisser au premier plan pour la photo.
- Ah oui merci.
Il raccrocha, se retourna rapidement et effectua le geste rapide consistant à remonter sa fermeture éclair en toute discrétion, ce qui amusa le gratin du monde.
Les commentateurs ne purent s’empêcher de noter que le président venait de recevoir un appel sur son téléphone privé pour l’informer de sa négligence vestimentaire. On verra l’image pendant de nombreuses années dans les bêtisiers de noël ou les émissions spécialisées dans les bourdes télévisuelles.
Jef continua à zapper.
Sur la une, une fille détruit un gros bloc de glace avec sa tête.
Sur la deux, un policier d’épisode américain tire sa vingtième balle sans recharger son pistolet.
Sur la trois, un lion couvre sa femelle l’air content. Il découvre ses grandes dents tout en lui mordillant la nuque. Un zèbre les regarde l’air voyeur.
Sur la quatre, un homme vêtu de plastique vert explique comment vider une truite.
Sur la cinq, des académiciens se disputent à propos d’une virgule en y mettant un point d’honneur.
Sur la six, l’émission de ragot continue, les stars grillent au soleil d’un paradis artificiel, cinq, les académiciens perdent leur sang froid, quatre, gros plan sur les intestins, trois, la lionne a accouché et transporte ses petits dans sa gueule pendant qu’au loin un zèbre (le même ?) la regarde l’air pensif, deux, le policier continue de tirer ses balles sur son pistolet à recharge automatique (Il n’a toujours pas touché sa cible), un, la fille à mal à la tête.
Les ennemis sont pris à revers, le zèbre observe, les écailles volent dans tous les sens sous les raclements du couteau pendant que l’animateur tente de calmer tout le monde et qu’un spot insiste les téléspectatrices à changer de marque de protège slips, la fille reprend un peu ses esprits pendant qu’une voiture explose à grands renforts de pyrotechnie. Le zèbre reste impassible.
Les filets sont tirés et un académicien bois la teinture des stars qui le valent bien, elle a le front bleu un peu (elle devrait mettre de la glace mais doucement) mais ça a l’air d’aller, baboum ! Encore une explosion, le zèbre n’est pas visionnaire, l’homme en vert montre une mouche, un académicien quitte le plateau visiblement très énervé, la blonde sourit, ils ont dévoré le zèbre, l’Amérique est victorieuse, un cadavre jonche la savane, la mouche c’est pris dans une branche, les lions dorment, le téléphone sonne.
- Allo ?
- Jean-François Cachakopoulos ?
- Oui, c’est moi.
- Bonjour, c’est la France qui vous parle.
- Par reflexe Jef se lève.
- Monsieur le président.
- Pas de Charles entre nous monsieur Cachakopoulos, assoyez-vous.
- Bien.
Et il se rassie.
- Monsieur le président, que me vaut le privilège ?
- L’honneur, vous voulez dire.
- Que me vaut l’honneur ?
- Et bien je, heu, souhaiterais vous confier, heu, un travail.
- Comme il vous plaira monsieur le président.
- Et bien, heu, excusez moi, heu, tenez vous à 20 heures, ce soir, au coin de la voie de droite du pont de l’Alma rive gauche. Un monospace viendra vous chercher, heu, vous le reconnaitrez facilement il est, heu, de couleur grise et, heu, il a le toit noir, heu. Il roulera avec le plafonnier allumé et, heu, attendez jusqu’à 20 heures 15. S’il n’est pas, heu, venu, effectuez la même opération demain c’est compris ?
- Oui monsieur le président.
- Soyez prudent, heu, détruisez ma carte et effacez ce numéro de votre téléphone je vous prie.
- Bien sûr monsieur.
- Merci et donc, heu, à plus tard, donc.
- A plus tard monsieur.
Et le président raccrocha.
A 20 heures 04, le monospace passa devant Jef mais ne s’arrêta pas.
A 20 heures 08 il passa encore toujours sans s’arrêter. A 20 heures 12 il fit un appel de phare et Jef monta par la porte latérale coulissante qui était tenue ouverte par le passager arrière à l’allure de catcheur.
Celui-ci lui tendit un sac en tissus de couleur noire.
- Veuillez mettre votre tête la dedans monsieur.
- Je ne peux malheureusement pas la détacher à discrétion, mais je puis mettre de sac autour, si vous voulez.
- Oui c’est ça, mettez ça autour de votre tête monsieur.
Le catcheur n’avait pas l’air rigolo.
- Pourquoi ?
- Il y a des choses qu’il vaut mieux que vous ne voyiez pas monsieur.
Ça paraissait difficile de négocier. Jef ne se fit pas prier une seconde fois. Il enfila le sac puis sentit de grosses mains le palper avec avidité.
- Hé ! Qu’est ce que vous faites ?
- Simple formalité monsieur.
- Ne soyez pas trop insistant voulez vous ?
- Ce n’est qu’une fouille monsieur.
- Oui mais ça n’est pas une raison, il n’y a rien pour vous à cet endroit là.
Le véhicule roulait assez vite, et Jef sentait qu’il passait d’une rive à l’autre. Il reconnaissait au son que le véhicule était repassé trois fois sur le même pont.
Une démonstration les yeux bandés du système politique : Sur la seine, alternance droite-gauche sans véritable programme. L’important de brouiller les pistes en étant sûr de ne pas être suivit tout en restant bien maitre de la situation.
Plutôt à droite remarqua Jef.
Le véhicule s’engageait dans une descente Hélicoïdale puis stoppa.
Un parking souterrain.
- Laissez-vous guider monsieur.
- Oui allez y.
Jef avait chaud dans le sac et en plus, celui là était neuf, donc odorant.
Ce n’était pas agréable.
Le catcheur sorti Jef du monospace et le fit entrer dans un autre véhicule ou il l’allongeât entre la banquette arrière et les sièges avant.
Il le couvrit d’un tissu.
Le véhicule démarra.
Il montait en tournant puis s’immobilisait.
Reparti, gauche, droite, droite, droite, gauche, gauche droite à l’infini.
Le véhicule stoppa à nouveau.
Re-descente hélicoïdale et le chauffeur coupa le contact.
Quelqu’un retira le tissu qui dissimulait Jef. Il reconnu la main vicieuse du catcheur qui le tenait par le bras et ce qui aurait put être la ceinture quinze centimètres plus haut.
- Laissez-vous guider monsieur.
- Allons-y.
Ils firent une dizaine de mètres à pied puis s’arrêtèrent. L’endroit où ils se trouvaient était frais et silencieux.
Jef entendit le son spécifique de la porte à coulisse d’un ascenseur.
Non ! Pas d’ascenseur !
Quoi ?
Pas d’ascenseur.
Allons entrez, ne faites pas d’histoire !
- Écoutez-moi bien. Je ne fais pas d’histoire. Je ne veux pas vous faire de difficulté, mais s’il vous plait pas d’ascenseur, les escaliers s’il vous plait.
- Ne compliquez pas la situation.
- Je ne veux pas compliquer la situation, je vous dis pas d’ascens…Hump !...Hump hump !
On lui collait de force un tampon imbibé sur les voies respiratoire. A travers le sac, Jef suffoquait et en peu de temps il était complètement inconscient.
Il pédalait dans une voiture à pédale verte pomme, la même que celle de ses sept ans, seulement, avec les années, elle était devenue trop petite pour lui, il était sur une surface rose fluo d’où s’échappaient des girafes zébrées de bleu et d’orange qui jouaient de la cithare et qui explosaient dans l’air comme des bulles de savon. Une truite tentait de fendre un lion congelé avec un protège slip sur lequel Armand Mugne calligraphiait une mouche. La truite explosa éjectant des couleurs dans tout les sens, il y avait une balle échappée du film « Qui veut la peau de Roger Rabbit » qui regardait Jef et qui lui disait d’appuyer encore. La fille au front inexistant tirait un filet plein de zèbre, elle appelait Jef pour qu’il vienne l’aider. Jef pédalait le plus vite qu’il pouvait, mais la petite voiture s’enfonçait dans la mer ectoplasmique qui laissait sortir une voix qui disait à son tour, d’essayer encore, d’appuyer plus fort.
Allez monte ! disait la voix.
Jef pédalait comme un fou, le plus fort qu’il pouvait mais il n’arrivait pas à monter, il s’enfonçait inexorablement dans le rose qui sentait le chouchou et la barbapapa (comme à la foire). La voix du lac se dédoublait et se faisaient plus claires. Bientôt Jef reconnu la voix du catcheur et d’un autre. Sans doute le chauffeur qui était resté muet jusque là.
Ils se chamaillaient.
Ils étaient bloqués dans l’ascenseur.
Bravo les gars, champions du monde !
Super. Ça vaut bien la peine de monter une opération comme ça pour finir enfermé comme des rats on ne sait même pas où.
Les gars se disputaient, Jef crut qu’ils allaient se battre.
Franchement un ascenseur, ce n’est pas l’idéal pour se mettre des gnons, en plus il n’y a pas d’échappatoire, et Jef était allongé par terre. Ça n’était pas confortable.
Une douleur naissait dans le milieu de son dos, et il avait envie de bouger.
Est-ce que c’était bien le moment ?
Au bout d’un bon quart d’heure d’heurs heurts, la douleur était bien en demeure, et Jef ne pouvait plus la supporter.
Il toussa histoire d’annoncer son retour.
- Tais toi il reprend connaissance. Dit le catcheur.
Jef émit quelques grognements pour faire pointe Bic (mine) de se réveiller, puis il bougeât un peu.
La douleur parti en vapeur le temps d’un battement de cœur. Oh bonheur !
- Où sommes-nous ?
- En route, on va arriver, ne vous impatientez pas ça ne va pas trainer.
« Menteur, et sa sœur ? Ce que du dis compte pour du beurre » Pensa Jef, mais il se garda bien de le dire.
L’homme s’acharnait sur les boutons, mais la machine refusait d’obéir. Les gars se remirent à parler. Ils étaient convaincus qu’ils étaient pris dans un guet apens, et commençaient à devenir carrément paranoïaques, certains d’être victimes d’une contre mission des services secrets.
Gavé, Jean-François ne put s’empêcher de parler.
- Je vous avais dit pas d’ascenseur.
- Toi on ne t’a pas sonné.
- Écoutez-moi bien les rigolos. D’abord je vais retirer ma cagoule que cela vous plaise ou non, secundo, vous le pleutre, interdiction de me tutoyer.
Jef retira sa tête du sac. Il lui fallut un petit moment pour adapter ses yeux aux néons, puis il observa ses guides malheureux qui flippaient comme des poilus dans les tranchées.
Ils s’attendaient à voir surgir l’ennemi de n’importe où, ce qu’ils ne savaient pas, c’est que l’ennemi c’était l’ascenseur et c’est tout.
- D’abord il faut savoir ou nous sommes. Vous, avec vos gros bras, vous devez bien pouvoir ouvrir la porte non ?
Le catcheur força un peu, et ouvrit suffisamment la porte pour qu’ils puissent constater qu’ils étaient coincés entre deux étages face à un mur de béton gris.
- Bon, au moins, on sait ou nous sommes. Alors maintenant, deux solutions.
- Petite une, on appelle des secours.
- Non, hors de question de rameuter du monde ici monsieur Cachakopoulos, nous ne devrions pas être là, ni personne.
- Alors par défaut :
- Petite deux, il faut tenter de sortir par le plafond.
- On peut sortir par le plafond ?
- Oui ça m’est déjà arrivé.
Une fois de plus, le costaud fut mit à contribution pour arracher la garniture du plafond de la cage. Les tôles étaient solides, et malgré sa forme, le catcheur avait du mal à les arracher.
C’est finalement une phalange de son index qui fut croquée par la bête.
Celle-ci, repue du sang sacrificiel, repris sa course vers les hauteurs.
« Intéressant » se dit Jef « Il faudra que je reprenne l’idée. Un sacrifice rituel au dieu païen Othis peut être la solution ?... Envisager de voyager avec une poule vivante, est ce que ça marche avec une poule ? » Se demandait il lorsque l’engin élévateur s’ouvrit dans le hall d’un appartement.
Le catcheur fouillait dans les tôles pour retrouver son bout de doigt.
Il maculait le porte charge de son sang.
La bête devait jubiler.
Jef sorti avec le chauffeur pendant que le grand type continuait ses investigations tactiles.
L’homme qui le précédait était plutôt petit avec un visage neutre et les cheveux coiffés façon étudiant d’Oxford, la raie bien posée à droite.
Il avait une voix plate et, encore sous l’effet du stress de l’ascenseur, ses gestes n’étaient pas coordonnés à ses paroles.
- Veuillez me suivre !
Dit il le bras tendu paume de la main visible vers Jef.
- C’est par là.
En passant la main dans les cheveux.
- Attendez ici.
En décrivant un large cercle englobant toute la pièce ou ils se trouvaient.
L’homme partit en direction d’un couloir.
Il devait avoir un problème à la hanche gauche car il força pour envoyer le premier pas, ensuite sa démarche paraissait tout à fait naturelle.
Le catcheur revint dans la pièce ou se trouvait Jef.
Il avait l’air désolé et la main en sang.
- Il m’a bouffé mon doigt. (Il avait une grosse voix de bébé triste et ne semblait pas ressentir la douleur de son amputation accidentelle) C’est le deuxième, reprit il en montrant sa vain valide ou il manquait la dernière phalange de l’auriculaire.
Jef se garda bien de répondre au catcheur. Il aurait eut l’impression de prendre sa part de responsabilité dans l’accident.
- Le président vous attend, déclara le petit neutre en se grattant le nez et en lui montrant une porte du regard.
- Ici ?
- Non ça c’est un placard, au bout du couloir.
Ceci dit, en avant pour le couloir.
Un homme de grande stature était visible depuis la porte au bout du couloir.
Il tournait le dos à son visiteur et semblait observer le spectacle des lumières de la ville.
- Monsieur le président ?
L’homme se retourna. Il avait perdu son sourire électoral et ses traits étaient tirés vers le bas.
Il avait l’air fatigué par sa journée de travail et las d’avoir attendu.
Il ne lui fallut pas plus de quelques secondes pour remettre le mécanisme en route.
Tous ses muscles faciaux se remirent en mouvement, les veilleuses de ses yeux se rallumèrent, son visage retrouvait maintenant la même expression que sur les affiches.
- Bonsoir, Monsieur Cachakopoulos.
- Bonsoir, monsieur le président.
- Installez vous je vous en prie.
Il lui désignait un fauteuil près d’une table base.
- Voulez vous boire quelque chose ?
- Un Perrier merci.
- Nature ?
- Oui merci
- Tiens, c’est curieux !
- Quoi donc monsieur ?
- Je croyais que les détectives buvaient tous du whisky.
- Vous n’avez pas une flasque en cuir sur vous ?
- Non monsieur le président.
- Pas même une bouteille dans un tiroir de votre bureau ?
- Non monsieur.
- Ah.
Le président servit deux verres d’eau gazeuse.
Il avait l’air embarrassé.
Visiblement il ne savait pas par quel bout « Tenir la banane » ce qui veut dire : il ne savait pas comment engager la conversation.
Jef se sentit obligé d’engager la première balle.
- Vous m’avez fait demander monsieur le président ?
- Oui en effet…. Un grand silence suivit
Balle perdue. 15 – 0.
- Est-ce que vous avez quelque chose à me demander ?
- C’est cela…heu… re- grand silence.
30 – 0
- Est-ce rapport à mon travail ?
- Oui c’est exact…
45 – 0
- Vous connaissiez mon père monsieur le président ?
- Oui …heu…j’ai…heu… bien connu votre père, en fait, j’ai… heu… je, l’ai… heu...connu quasiment toute sa carrière. D’abord en tant que chef de la sécurité à l’Élysée car (quatre tours de manivelle avaient suffit pour lancer le moulin. Un bon modèle ce président) il travaillait au Palais un peu avant mon ascension aux hautes responsabilités de l’état. J’avais déjà lu son nom en tant que policier à l’époque ou j’étais à l’intérieur, mais je n’avais jamais vu son visage. Il y a maintenant une vingtaine d’années, c’est moi même qui l’ai fait entrer aux renseignements. Votre père était un grand professionnel et a toujours été d’une discrétion et d’une efficacité sans égale, un grand homme en vérité que Chisirophe Cachakopoulos.
Jef était touché par les mots du président, ça lui faisait plaisir que l’on parle comme ça de son père, surtout venant d’un de ses responsables les plus directs.
- C’est un peu pour ça que je vous ai contacté Jean-François. Je peux vous appeler Jean-François ?
- Bien sûr, monsieur le président.
- Je vous ai contacté parce que vous êtes le fils de votre père, voyez vous.
- J’entends bien monsieur. Discrétion.
- Professionnalisme et efficacité, Jean-François.
- J’espère mériter ces qualificatifs qui ne se transmettent pas forcement par filiation, monsieur.
- Pensez-vous qu’un prince ne fait pas un roi, Jean-François ?
- Non monsieur, je n’ai pas dit ça.
- Bien. Je vais vous exposer les faits tels que je les connais.
- Je vous écoute, monsieur.
- Vous ne prenez pas de notes ?
- Non monsieur, jamais.
- Bien, ça n’est pas plus mal. Et bien voila.
- Je sens qu’autour de moi, il se passe toute une série d’événements que je ne contrôle pas.
- C'est-à-dire, monsieur ?
- On me pousse du trône.
- Pardon ?
- Quelques uns dans mon environnement proche ont tendance à se croire plus président que le président.
- Vous avez des noms ?
- Oui, mais je les garde pour moi, à vous de découvrir si ce sont les mêmes que moi.
- Très bien, monsieur le président.
- Oui, très bien… De quoi parlions-nous ?
- Du trône, monsieur.
- Ah oui, le trône. Comme je vous disais, certains de mes proches collaborateurs ont tendance à essayer la couronne pour voir si elle est à leur taille quand j’ai le dos tourné et ça m’agace. S’il n’y avait pas la régente pour les soutenir, mais non, bref.
- Comment cela se concrétise t’il ?
- Ils utilisent mon carnet d’adresse, mes contacts et mon avion.
- Comment savez-vous cela ?
- On me remet les enveloppes du nettoyage de mon jet et je sais très bien que ce n’est pas moi qui l’ait utilisé, je ne suis pas encore complètement gâteux savez vous ?
- J’en suis certain, monsieur.
- Bien, de quoi parlions nous ?
- Du jet.
- Ah oui, le jet. Donc on me ramène des objets abandonné dans mon avion, encore aujourd’hui on m’a remit un peigne et des pièces de monnaie.
- Et vous savez ou va cet avion quand on s’en sert ?
- Non, aucune, il y a une machination. Je n’arrive pas à avoir la moindre information. On me jure la main sur le sceptre que l’avion n’a pas bougé et que ce sont des erreurs des équipes de nettoyage. Mais enfin, heu…deux fois dans la même semaine. C’est un peu gros quand même. Vous ne trouvez pas ?
- Et vous ne pouvez pas envoyer une équipe à vous pour voir ?
- Vous les avez vu les deux que j’ai ?
- Oui, monsieur.
- Alors ?
- Rien, monsieur.
- Voila ! Rien, je pense la même chose. Pour le reste c’est impossible, il y a des protocoles, des circuits à suivre, des autorisations, une autorité, un système, et ce système n’est pas présidentiel.
- Il faut passer par les ministères, les services et ceux là ne sont pas sous ma responsabilité directe.
- Je suis sur la fin de mon second mandat, Jean-François, le soleil se couche et les ombres s’allongent, vous me suivez ?
- On ne peut mieux, monsieur.
- Ce que je veux savoir c’est : Qui utilise mon avion avec qui et pour aller où ?
- Pourquoi m’avez-vous contacté moi, monsieur le président.
- C’est moi qui ai signé votre autorisation d’exercer quand j’étais à l’intérieur. Je sais que vous êtes le fils de votre père et que vous êtes détective. De toute façon, je ne sais pas qui contacter d’autre que vous. Les autres, je ne les connais pas, et je n’ai pas confiance.
- Merci de votre confiance, monsieur.
- Je vous en prie, Jean-François.
- Avez-vous les pochettes de nettoyage ?
- Prenez vous l’affaire ?
- Bien sûr, monsieur le président.
- Combien ?
- Rien.
- Comment ?
- Rien, je vous dois une signature, monsieur.
- Non je l’ai offerte à votre père.
- Et bien, disons qu’à la mémoire de mon père, et dans l’intérêt public, je me mets à votre disposition.
- Non, j’insiste pour payer.
- Un euro.
- Comment ?
- Donnez-moi un euro, et nous sommes quittes.
- Vous êtes bien curieux, Jean-François, vous n’aimez pas l’argent ?
- Ce n’est pas la question. Avez-vous les enveloppes de nettoyage ?
- Oui, attendez.
Le président se leva et faisait pivoter un Cloc période jaune qui masquait un coffre dans le mur. Il composa un code sur le clavier numérique.
« La date de son premier mandat » Se dit Jef.
Puis il sorti cinq enveloppes identiques à celles de l’équipe ménage.
- Tenez ! Il lui tendait les enveloppes.
A l’intérieur de l’une d’elles, Jef reconnu le peigne qu’il avait lui-même trouvé ce matin.
Il vida les cinq enveloppes sur la table basse, et fit deux tas. Les objets d’un coté, et les pièces de monnaie de l’autre. Dans les objets, un préservatif neuf (ouf !) une chainette en argent, un calendrier porte feuille, une carte plastifiée portant des chiffres et des symboles, un peigne à cheveux et un bouton de manchette simple.
En monnaie, 13 euros et 17 centimes.
- Je peux garder les indices ?
- Bien sur, allez y, vous pouvez tout garder, tout ceci ne m’est d’aucune utilité.
Jef pris une enveloppe ou il glissa tous les objets et un euro. Il rendit les autres pièces au président.
- Mes appointements monsieur.
- Comme vous voudrez, Jean-François.
Voici un numéro ou vous pourrez me joindre. Laissez un message au secrétaire comprenant les mots « rince » et « lisse », je saurais que c’est vous et je vous contacterai.
Le président se leva.
- Il me reste à vous saluer, Jean-François
- Une dernière question, monsieur le président.
- Oui ?
- Il y a des escaliers ici ?
Chapitre treize. (Celui qui porte malheur) Chapitre quatorze (pour les superstitieux)
Jef sortit de l’appartement du président par les escaliers de service qui sentaient l’urine, très sales et très poussiéreux, puis il sorti de l’immeuble par la porte principale.
D’où il était, il voyait bien la silhouette du président qui s’était remit à la vitre.
Très haut, tout seul, en contre jour.
Entrées secrète, sortie flagrante ! Il savait l’adresse, l’étage, et le numéro du coffre de la garçonnière présidentielle, ainsi que le moyen de rentrer dans celle là par l’escalier de service.
Il se retourna et fit un pas.
Au second, il avait gommé de sa mémoire ces informations qui n’avaient rien à y faire.
Jef marchait le long de la scène comme un acteur amnésique. Il regardait l’Yonne rebaptisée refléter dans la nuit les lumières des lampadaires et des appartements avec vue. On aurait cru qu’une ville "bis" était logée sous les eaux, posée au fond du lit vaseux du fleuve.
Un brouillard d’altitude chargé de monoxyde de carbone planait sur la ville nourri parles longues files de véhicules qui encombrent les avenues et les boulevards, formant un énorme vers aux annelets rouges et blancs que coupent les signaux tricolores.
Jef semblait être le seul piéton de la capitale, comme si tous s’étaient donné le mot pour lui laisser la voie libre. La citée contemporaine de Lutèce était pleine du ronronnement des véhicules et des hurlements des scooters et des mobylettes.
De rares canards noctambules se repaissaient de choses flottantes, et quelques petits poissons attirés par les lumières de l’espace inaccessible qui brillait de l’autre coté de la couche infranchissable, s’étonnaient, à la limite des mondes, que tout cela existe vraiment.
Le fleuve déroulait immobile entre ses rives ouvragées. A le voir comme ça, un être venu de là bas se serait laisser prendre au jeu de l’illusion, qui faisait prendre l’onde pour une autoroute fermée pour travaux.
Un véhicule s’arrêta au niveau de Jef, et une portière s’ouvrit étalant sur le trottoir le rayon lumineux de l’habitacle allumé et les luminions bleus de ses portières.
- Monte ! Tu vas mourir asphyxié.
- Tu m’as suivi ?
- Non, j’travaille.
Jef monta dans le taxi. Désormais, il n’y avait plus un seul piéton sur la terre d’ile de France.
- On va voir les Claude ?
- Si tu veux.
Le taxi s’engageât dans la circulation, ajoutant un anneau supplémentaire au ténia urbain qui parasitait la ville.
Plus ils circulaient, et plus la bête s’affaiblissait, s’étiolait, jusqu’à n’avoir comme apparence que celle d’une amibe phosphorescente perdue dans une veinule isolée, entouré de formation calcifiées.
Ils coupèrent à travers les rares espaces dominés par ce qu’un urbain appellerait nature, puis ils pénétrèrent dans la petite cille basse de Chatou.
Les rues étaient vides, et il n’y avait pas de véhicules garés face aux maisons devant lesquelles ils passaient dont, seules quelques lumières allumées derrière des rideaux tirés, affirmaient qu’il y avait des habitants dedans.
Franck éteignit les phares du taxi, et envoya le rayon invisible de la télécommande.
Le portail du 11 s’ouvrit bien avant qu’ils ne soient à son niveau.
Ils pénétrèrent dans le parc et se garèrent.
13 coups rapides de l’index sur la porte, et on l’ouvrait.
Madame se trouvait derrière.
Ils s’engouffraient prestement dans la maison.
- Hé, bonsoir mes petits.
- Bonsoir madame ça va ? Pas trop dure la rétention ?
- Non, tranquille, j’ai arrosé les plantes ! Une heure que ça m’a pris, une heure !
- Il est où Claude ?
- En haut, il surveille. Dit-elle tout mystérieuse. Montons !
Dans la pièce bureau, ils trouvèrent Claude bien installé, les yeux un peu dégonflés mais bien noirs rivés sur la maison du voisin.
Alors ?
- Rien. Le commissaire est rentré dans la maison une demi-heure après votre départ et depuis, rien.
- Pas d’ambulance ?
- Non, personne n’est sorti, personne n’est entré.
Jef pensait aux deux pitoyables désarticulés qui gisaient sur les transats.
Soit ils étaient en train de souffrir le martyr,
Soit le gros avait mit fin à leur calvaire.
Jef optait pour la seconde solution. Voir les deux momies cul nu en train de faire du yoga au bord de sa piscine, pendant que les prisonniers prenaient la poudre d’escampette, ça avait dut le mettre en boule (On en serait à moins).
Une chose était avantageuse, on pouvait situer le Libanais.
- Vous voulez un Kafai ?
- Oh oui, reprirent les trois.
- Ici ou en bas ?
- Ici c’est bien non ? Comme ça je peux continuer à surveiller.
« Il y a pris goût » se dit Jef.
Franck se mit à l’ordinateur pendant que Claude se recollait la tête à la fenêtre. Madame descendait faire du Kafai et Jef se posa sur un fauteuil. Il sorti la carte de sa poche.
Elle avait le format d’une carte de crédit plastifiée couleur or et portait vingt quatre chiffres ainsi que deux lignes de symbole. Quelque chose comme ça.
585.682.56.879.7.458.41.23.1063.2
S158FRTGJju2
80uh0tS3b.A
A quoi pouvait-elle bien servir ?
Jef tournait la carte entre ses doigts.
- C’est quoi c’te carte qu’tu r’gardes ?
- Je ne sais pas.
- Fait voir pour voir
- Tiens.
- Humm, bizarre com’truc.
Franck continuait de pianoter et Jef de retourner la carte dans ses doigts. Madame revenait avec les cafés et servit tout le monde.
- Dis donc, elle a bon goût ta copine, Moka d’Éthiopie, c’est bon.
- Au perco madame ?
- Fais voir la carte.
- Non à l’italienne.
- Tiens.
- Tenez, votre kafai.
- Tu y comprends quelque chose ?
- Combien de sucre ?
- deux.
- trois.
- Pas grand-chose mais p’tèt.
- deux pour moi, madame, merci.
- C’est quoi ton idée ?
- OUI !
- Un arrière goût de cacao non ?
- Quoi ?
- J’ai tapé les chiffres sur un moteur de recherche et je suis tombé sur un site.
- Ah oui, fait voir ?
Franck tournait l’écran vers Jef sur celui-ci on pouvait lire C.C.et une fenêtre exigeant « nom d’usager » et « mot de passe » s’était ouverte au premier mouvement de souris.
- Nous voilà bien avancés. Nous n’avons pas de code.
- L’code c’est surement ça, désignant les lignes de symbole.
- Oui c’est sûr, mais on ne peut pas taper ça, ce n’est pas sur le clavier.
- Non c’est clair mais c’est dans l’ordi tu vas voir.
Franck ouvrit le logiciel de traitement de texte WORD de l’ordinateur et cliquât sur - Insertion – Caractères Spéciaux. Une fenêtre s’ouvrit. Il sélectionna wingdings et une fenêtre pleine de symboles s’ouvrit avec les mêmes icones que celles de la carte.
Franck commença à fouiller en cliquant avec sa souris sur les symboles identiques au code.
Quelques minutes plus tard, il avait recomposé le code et fermé la fenêtre.
- Nous ne sommes pas très avancés, observa Jef.
- Attend, regarde.
Franck ouvrit le logiciel EXCEL.
Sur la page de texte, il cliqua Edition- Sélectionner tout- Edition- Copier.
Il passa sur la page EXCEL, Edition – Coller- puis changeât le caractère d’écriture pour Arial et là miracle !
S158FRTGJju2
80uh0tS3b.A
- Bravo Franck !
- De rien, mais ce n’est pas très malin de coder comme ça.
- Non, c’est malin justement, nous ne sommes pas pendant la guerre, c’est juste un moyen simple de faire que c’est vraiment dur de s’en rappeler.
Goutte noire, dossier ouvert, deux casier de bureau, souris, doigt à l’est, soleil, flocon, doigt en l’air, smiley, er bizarre, carreau, papier corné en haut à droite. Deuxième ligne, souris dossier fermé, carreau, verseau je crois, dossier fermé losange, goutte noire, papier écrit, vierge.
- Non, lion.
- Bon, lion, boite à lettre ouverte, doigts en viva… Si quelqu’un venait à avoir la carte sous les yeux même un bon moment, je ne crois pas qu’il pourrait rendre le code, en tout cas moi je ne pourrais pas. Si c’est un code normal, chiffres et lettres, peut être que je pourrais m’en rappeler, mais ça, c’est complètement impossible selon moi et en même temps décodable partout, tu nous en as fait la démonstration Franck. C’est malin en fait, et en plus, il y a des caractères en minuscule et en majuscule. Je trouve ça super pratique.
- Oui c’est pratique.
- Imprime moi ça tu veux ?
- Oui.
Avec deux, Copier – Coller, Franck avait rempli les cases de la serrure numérique et d’un coup de majeur sur entrée, validé le tout.
L’ordinateur pris son temps pour afficher le contenu de la page gardée, et les URL en bas de la fenêtre principale défilaient. Le site se redirigeait encore et encore jusqu’à ce qu’une fenêtre JAVA apparaisse à l’écran.
En haut de celle-ci était écrit : Cormillo Conseil.
On pouvait y voir un choix de menu par dates depuis près de vingt cinq ans et par catégories.
Finances, Bien immobiliers, Biens mobiliers, Contrats, en cours, Organigramme, Agenda, Accès administrateur ainsi qu’un moteur proposant une recherche par mot clé.
Franck cliqua sur la page finance.
La remise à jour datait de quatre jours, c’était marqué en haut.
Trois menus étaient proposés.
Récapitulatif depuis le début de l’exercice.
Entrée par année – bilans –
Graphique.
Franck cliqua sur récapitulatif global depuis le début de l’exercice.
Un chiffre apparu en haut de l’écran.
651 589 687 458.18
Il retourna et cliqua sur - Entrée par année – et sélectionna l’année en cours. Un autre chiffre apparu.
72 897 433 281.14
Il cliqua sur – Détail du mois en cours – et un tableau apparu crédit – débit.
Le crédit s’élevait à 131 209 596 473,18
Et le débit à 58 312 163 192,14
Soit un exercice positif de 72 897 433 281,04
- Soixante douze milliards, huit cent quatre vingt dix sept millions, quatre cent trente trois mille, deux cent quatre vingt un et quatre centimes.
- Beuh ! fit Claude avec sa grosse bouche.
- Pfouiiit ! répondit madame.
- C’est des ouguiyas ? demanda Franck.
- Non je crois que ce sont des euros répondit Jef.
- C’est à qui toute cette caillasse ?
- A un client à moi, un gars pas clair.
- Dis moi Jef, il ne s’appellerait pas Camillo Cornelli ton client pas clair par hasard ?
- Je ne sais pas Claude, pourquoi ?
- C’est juste que Cormillo ça me fait penser à Cornelli Camillo.
- Et c’est qui Cornelli Camillo?
- Un gars du panier qui à sut retirer ses œufs au bon moment.
- Tu peux être plus clair ?
- Bon, je veux bien, mais je ne le connais pas personnellement d’accord ? Je connais l’histoire c’est tout.
- Ce n’est pas grave, vas-y.
- Madame ?
- Oui, allez-y, monsieur Claude.
- Bon. Camillo Luccia, dit le dandy.
- Né à Marseille il y de ça environs soixante cinq ans maintenant. Fils d’un pécheur de sardine Sicilien et d’une femme de ménage Sarde, Octavio et elle Maria je crois.
Ses parents n’étaient déjà pas clairs. Ils étaient courrier pour un patron de la pègre locale. A trois ans, ses parents lui bourraient ses couches de bijoux volés pour les livrer chez le receleur du parton.
A cinq ans, il pique sa première bague chez un bijoutier de Marseille, enfin ce que je vous dis, c’est la légende, hein ? C’est peut être pas du tout vrai…
- Ce n’est pas grave, continue.
- Donc, à sept ans, après que ses parents se soient fait piquer avec lui en train de casser une banque, il est placé dans un bagne pour mineur.
Les parents sont condamnés à mort parce qu’ils ont tué une hirondelle.
Deux jours plus tard, Camillo Luccia s’échappe du bagne pour enfant et rejoint le patron des parents, Aldo Cornelli, dit « Le Chanceux » ou «Le Cornu ». Ce dernier devient le père adoptif de Camillo et son mentor.
A neuf ans, Camillo torture son premier gars, un bistrotier de la canebière qui ne voulait pas payer sa protection.
Bref, il y va un peu fort, il le zigouille.
A treize ans il se fait arrêter par un flic parce qu’il conduit la voiture de son père adoptif en ville. Il descend le flic d’un coup de pistolet puis l’écrase avec la voiture. On l’envoie en prison, il y reste deux heures et en ressort avec les excuses du chef de la police.
A seize ans, il forme une équipe avec des hommes de paille et remporte la mairie de Marseille. De là, il engage et dirige de grands travaux, port, autoroute, réfection de la ville etc. Les contrats sont donnés légalement aux entreprises modestes de son père adoptif.
A dix sept ans, il retrouve par hasard son frère de sang sous un pont. L’autre à vécu dix ans comme un clochard. Il le prend sous son aile et en fait son poisson nettoyeur. Désormais, Camillo Cornelli ne se salira plus les mains.
Le père adoptif est aux anges, parce que les deux gaillards se démènent comme des fous et font le ménage autour d’eux.
A vingt ans, il crée avec pas mal de paravents une entreprise de fond qui obtient, grâce à l’influence de la mairie, le contrat de déménagement de la marseillaise de crédit.
Des tas de billets et des tonnes d’or plus ce que les gens, clients de la banque, ont dans leurs coffres, bijoux et documents.
Le jour du déménagement, le mistral souffle tellement fort, que les camions blindés s’envolent tous remplis à ras bord, alors qu’ils étaient escortés par une brigade de flics de Marseille à moto.
Les flics raconteront tous la même chose, les camions se sont évaporés devant eux. Une enquête sera ouverte et n’aboutira pas.
Camillo Cornelli organise la création d’un organisme chargé d’enquêter sur les O.V.N.I. et les phénomènes paranormaux. Le dossier est transmit là bas et est perdu. « Bonjour, bonsoir comme disait mon grand père ». Fin de l’histoire.
A partir de là on entend plus parler des deux frères. La rumeur dit qu’ils sont en Amérique
Cinq ans plus tard Camillo Cornelli ouvre un casino clandestin sur un paquebot qui mouille au large de Marseille. Il brasse tous les joueurs de la méditerranée car on y joue sans limites. Il fait des millions avec ses roulettes truquées, les mauvais perdants sont jetés par-dessus bord.
Environs six mois plus tard, les grands patrons de la pègre internationale se font buter un peu partout dans le monde quasiment le même jour, ambiance templiers, tu vois, Aldo Cornelli y passe aussi.
Camillo reprend les affaires du jour au lendemain avec une organisation qu’il a pris le temps de monter en cinq ans. Partout, à Vichy, Deauville, Nice, Chambéry, Biarritz, Las Vegas… A partir de là, Camillo Cornelli devient le patron des patrons, « Il capo de tutte li capi”.
Plus rien ne peut l’arrêter et ceux qui ne se soumettent pas, il les fait liquider par son frère ou ses lieutenants. Il n’y a pas de discutions possible avec Camillo Cornelli.
- Comment tu sais tout ça, Claude ?
- J’ai travaillé pour lui.
- Quoi ?
- Attend mon petit, ne te fais pas de fausses idées, repris madame.
- Madame ?
- Bon, à moi maintenant, écoute bien mon petit parce que je ne me répéterai pas.
Comme vous l’imaginez bien, et le radotez au « Coin » vous autres, dit elle en regardant Franck, je ne m’appelle pas Claude mais Victorine, comme les studios de cinéma de Nice. Victorine Lampoccia, je suis la fille de Pédrolino Lampoccia, l’ancien propriétaire des distilleries du même nom, du 1 au 15 de la rue Garibaldi à Marseille.
Mon père était un entrepreneur, et il faisait de la politique à Marseille, il était intègre, honnête et fidele aux marseillais. Il a osé affronter le clan Cornelli, et ça lui a couté la vie. A lui, à ma mère, à mes trois sœurs, mes quatre frères, tous les cousins, les cousines, les tantes, les oncles, ils ont même tué la grand-mère, la pauvre qui était paralysée et aveugle.
Les yeux de madame se replissaient de larmes.
Aujourd’hui il n’existe plus un seul membre de la famille Lampoccia de vivant, sauf moi, parce que c’est Claude qui devait me tuer, mais il a pas put parce que l’amour, il est venu se mettre entre le pistolet et mon cœur. Quand on s’est vu, on est tombé amoureux et Claude, il n’a pas eut envie de tuer sa future femme. Hein mon Claudio ?
- Tu es toujours aussi belle ma garrigue.
- Oh, mon boudin d’amour.
- Mon papillon du midi.
- Mon nounours en miel.
- Ma luciole du jardin.
- Mon étoile de badiane…
- Pardon de vous couper, vous pouvez finir ?
- Oui bien sûr, alors voila, Claude (elle lui envoyait un regard amoureux) m’a caché dans un cabanon de la Ciotat le temps de trouver l’argent, et, quand il a eut fait le relevé des compteurs pour son patron Cornelli, il est venu me chercher et on est monté direct à Paris. On a acheté des papiers et le « 13 » et depuis on se cache.
- Mais ça fait vingt cinq ans !
- Et oui, ça fait vingt cinq ans qu’on se cache, avoua madame l’air accablé.
- Vous savez qui c’était le vieux avec le gorille, hier matin ?
- Non ?
- C’était Alberto Cornelli.
- Oh mon dieu !
Le visage de madame montrait plus que de la peur. C’est la terreur qui se réveillait en elle à l’évocation de ce nom. Elle avait dût vivre et voir des choses traumatisante pour se mettre dans cet état vingt cinq ans après les événements qui avaient bouleversés sa vie.
La souffrance se lisait dans ses yeux, son visage, son corps.
- Alors vous z’étiez pas une…une…enfin j’veux pas dire l’mot.
- Non Franck, moi j’étais pianiste à l'opéra de Marseille. Premier prix du conservatoire. En vérité, j’ai beaucoup travaillé mon personnage pour changer, pour devenir ce que je suis maintenant. Mais je ne veux pas passer pour une parisienne. Je suis Marseillaise moi, Marseillaise monsieur et ça, ça veut dire quelque chose ! Marseillaise monsieur.
Un grand silence suivit le discours de madame. Tout le monde restait dans ses pensées.
Chapitre quinze
Ils passèrent une grande partie de la nuit à regarder les pages du site internet, à faire le tour de tous les bien de Cornelli et son organisation.
Tout était maquillé par des sociétés fantômes, des fonds d’épargnes, de pensions… Tous, bien évidement, logés dans des paradis fiscaux à travers le monde, ainsi qu’une grosse organisation non gouvernementale internationalement reconnue pour ses actions humanitaires.
Tout était classé par année et organisés avec une précision déconcertante.
Le cerveau du mafieux et sa poche en direct sur l’écran. On trouvait tous les numéros de ses comptes, ainsi que les contacts des personnes aptes à faire les opérations, et celles qui disposaient des serrures électroniques et des réponses aux phrases secrètes, le « sésame ouvre toi » pour les coffres forts des banques ou Cornelli cachait ses trucs (diamants, actes divers, or, etc.…)
Il y avait tous les organigrammes des sociétés, avec tous les leviers pour agir au sein de celles-ci.
L’organigramme de l’organisation lui même était présent, pyramidal, évidement, et le pharaon tout en haut c’était Camillo Cornelli, le contraire eut été étonnant. Au second rang, des noms, Alberto Cornelli et Anastasia Dimitoviskamikolokov.
« La comtesse » se dit Jef.
Au troisième rang, on se bousculait au portillon. Il y avait des centaines de prétendant au trône.
Il y avait tellement de noms mélangés que ça paraissait impossible d’en trouver un en particulier.
- Heureusement, l’gars qu’a fait l’site a mit un moteur de r’cherche et d’indexation. Tu veux qu’on cherche quelqu’un ?
- Oui, Douyoumdjian, j’aimerais bien voir s’il est là dedans.
- Comment t’écris ça ?
- D.O.U.Y.O.U.M.D.J.I.A.N.
- Ah oui, il est là, troisième étage, dis donc c’est bien pensé, y a même tous les organigrammes qui se superposent depuis son entrée.
- C’est bien fait comme site, tu vois le logiciel surligne le nom, et si on clique dessus ?... Oh ! Y a même une fiche !
Jef lisait.
- Daniel Marie Douyoumdjian, commissaire principal, son adresse, téléphone, ressources, activités au sein du groupe, hum… prostitution, formation, trafics, drogue, nettoyeur, hum… Note 11/20. Couleur orange, nom de code Souris. Hum…
- Bien organisé l’loulou.
- Hum… tape voire Cloc, Benjamin Cloc.
- C’est là.
- Cloc, peintre, téléphone, machin, machin, copiste, faux. Note 18/20. Couleur jaune, nom de code Cloc hum…pas très original. Dis, vas y, tape Testula.
- Non ! dirent les trois en chœur, incrédules.
- Va y, ça coute rien.
- Ah ouhai ! Dit donc y a une fiche pour Testula. Note 10/20. Couleur verte, nom de code Prince.
- Et le président ?
- Ah oui, aussi il y en a une.
- Et…mon…père ?
- Ah non Jef, j’peux pas faire ça.
- Vas-y quoi !
- Non, j’veux pas, vas-y toi, moi j’veux pas.
- Il a raison monsieur Jean-François, ce n’est pas bon ce que vous voulez faire.
- Pourquoi ? Il faut bien savoir non ?
- Il y a des choses qu’il vaut mieux ne pas savoir monsieur l’inspecteur.
- Détective.
- Vous comprenez monsieur Jean-François, c’est votre papa, ce n’est pas bon de vous poser des questions comme celle là, monsieur Jean-François.
- Et si je ne vérifie pas, toute ma vie je vais croire qu’il était sur la liste, ce n’est pas pire ça ? Il faut regarder les choses en face et ne pas avoir peur des conséquences de ses actes, c’est comme ça, de toute façon je ne vais pas lui faire de mal, il est mort.
- Mais tu peux t’en faire à toi Jef.
- Ce n’est pas grave, je suis prêt, aller.
- Non j’le f’rais pas.
- Donne-moi ce clavier.
- Vous ne devriez pas monsieur Jean-François.
Les doigts de Jef tremblaient un peu mais arrivèrent à taper le nom du commanditaire à qui ils devaient leur forme et de leur taille.
Pas de réponse.
Tout le monde souffla.
Convaincu de la culpabilité de son père, Jef sentait qu’il y avait un truc.
Comme un sourcier avec sa baguette de noisetier, il sentait qu’il y avait de l’eau quelque part, mais sans savoir ou vraiment.
Il entendait son nom dans la bouche du mafieux.
« Tout le monde connait le général Cakakopoulos ».
Il retapa le nom de son père comme il sortait de la bouche de Cornelli.
Pas de réponse.
- Bon et bien voila monsieur Jean-François, il n’est pas trempé là dedans votre papa, c’est bien non ?
- Oui, mais je sens que je n’ai pas exploré toutes les voies.
- Qu’est ce que vous dites ?
- Cornelli m’a dit le nom de mon père comme s’il le connaissait vraiment, et son attitude avec moi…Non, il y a un truc qui cloche.
Jef retapa le nom de son père avec une faute Cackakopoulos et valida.
Bam ! La fiche sortit. Il était présent sur tous les organigrammes depuis vingt cinq ans. (Il n’y avait pas d’informations de plus de vingt cinq ans sur le site).
Jef lut.
- Chisirophe, Hermès Cakhakopoulos, décédé, directeur des renseignements généraux, téléphone, adresse, oh ! …9 rue du moulin à Chatou, activités : valise, marionnettiste, influence, sais tout, connait tout, peut tout, fait tout, ne dit rien…La note 20/20. Couleur noire. Nom de code Dianus.
Sur le dernier graphique d’avant sa mort il était au second rang, devant Alberto Cornelli.
Ainsi donc, depuis vingt cinq ans au moins, Chisirophe Cachakopoulos avait menti à tout le monde ! Il avait triché, et joué un double rôle autant sur le plan professionnel que familial. Il abusait de la confiance qu’on pouvait lui donner pour servir à l’ennemi, sur un plateau d’argent, toutes les informations ultraconfidentielles dont il était le gardien.
Tous les amis de Jef l’accompagnaient dans sa peine.
- Quel vieux salop !
- Ne parlez pas comme ça monsieur Jean-François.
- Cette vieille carne nous à pris pour des cons moi et ma mère avec ses airs de militaire et de… à moins que…donne moi le clavier !
Jef tapa Komisatromikolokov.
- Oh non ! Ma mère !
Jef lisait à haute voix.
- Nataniela Katarina Komisatromikolokov, chiffre, transmission, correspondance… Nom de code Pigeon blanc. Couleur rouge, note 18/20.
Jef hallucinait !
- Mes parents étaient des bandits, des traitres à la nation, des pirates ! Mes parents étaient des pirates ! répétât-il en regardant ses amis.
Ceux-ci ne savaient pas quoi faire ou quoi dire. Il fallait attendre que ça passe, il n’y avait rien d’autre à faire.
Quand le miroir aux alouettes se casse, il faut attendre que tous les morceaux tombent par terre avant de balayer.
C’est comme ça la vie !
La vie, c’est pas de cadeau. Pour personne et jamais !
Claude avait vu Douyoumdjian quitter la propriété seul dans sa voiture, mais vu l’état émotionnel de Jef il avait jugé qu’il n’était pas bon de le prévenir de l’événement. Il prit la parole.
- Elle a de l’alcool ta copine Franck ?
- Heu oui, en bas j’crois.
- Aller, tout le monde en bas, moi je connais la bonne façon de traiter le problème.
- Et c’est quoi ?
- C’est tuer le verre dans le fruit fermenté, venez !
Le ton sur lequel Claude parlait ne laissait pas de place à la discussion.
Comme de bons petits soldats à cinq sous par jours, ils se levèrent et descendirent au salon. Claude se mit au bar et prépara deux grands verres ou il mélangeât toutes sortes d’alcool ainsi que du sucre de canne et du jus de fruit puis il tendit un des verres à Jef.
- Tiens bois.
- Tu sais Claude je n’ai pas l’habitude de boire de l’alcool.
- Ce n’est pas de l’alcool c’est un médicament.
- Non Claude, c’est de l’alcool ça.
- Médicament !
Claude avait un regard insistant et dur. Jef comprit que s’il ne buvait pas, Claude allait le forcer, d’ailleurs, il caressait un entonnoir qui était derrière le comptoir et regardait Jef comme un gaveur regarde son oie.
- Bois Jef, ne me force pas tu veux ?
Jef s’enfila le verre.
- Plus vite !
Jef s’enfilaleverreplusvite.
Claude lui tendait le second.
- Bois !
- Hé, doucement !
- Bois !
- Bon ça va je bois, lâche don entonoar.
Jef but son verre un peu moins vite
- Plus vite ! et tout.
Jef fini son verre et le posa sur le comptoir.
- Lève-toi de ton tabouret.
Il se leva ce que : hop !
- Tourne en rond sur un pied trois fois
Jef oh….tourna un, deux, oh …trois fois.
- Sur l’autre pied, dans l’autre sens trois fois.
Jef se, oh… il tour… tourna sur son oh ! tre … pied une …de deux fois…et demi, travois fois …ouf !
- Baisse-toi !
Jef se bais…Ça. Bouarf !
- Debout !
Debout oh la !
A ce moment, tout autour de lui se mit à vibrer. Il se raccrocha au comptoir du grand mat.
- Quesek ta féé Glaude?
- La maniere forte Jef.
- Kessek du voeux fer?
- Je veux que toute ta peine ressorte d’un seul coup. Demain ça ira mieux.
- José badquoâ du barles !
- Fais pas comme si ça t’avait pas brisé le cœur de voir tes parents sur le fichier.
- Les barents ? Le chifier ? Quesèqui di laut ? kesessek izon tousa me’r gaârdé gomme chat ? Quesquispassedansmoâ ?
Jef regardait Claude et il voyait une espèce de grosse bête kaléidoscopique qui exhibait ses grosses bajoues dans des sons qu’il ne comprenait plus.
Autour de lui, les objets semblaient muter en d’étranges animaux immobiles mais vivants, car ils respiraient. Depuis les feuilles des plantes, sortaient des couleurs musicales qui se mélangeaient jusqu’à former une odeur avec un drôle de son.
Dans les tableaux, les fleurs donnaient l’impression d’être agités par un vent liquide.
Les trois créatures autour de Jef bougeaient leurs bouches comme des poissons hors de l’eau, et l’entouraient de vibrations qui frappaient son corps sans entrer dans ses oreilles.
Jef sentait son corps, son être devenir trop grand pour la petite enveloppe que formaient ses tissus.
Bientôt, il senti la vibration du fond de la terre, il senti les rivières et les blocs magmatiques en fusion qui se frottaient les uns aux autres dans un grondement sourd. Il ressentait le vent qui caressait les murs de la maison puis, il traversa les murs et de développa dans le ciel, l’univers, le cosmos.
Autour de lui, tout lui était devenu curieusement inaccessible.
Tout autour de lui semblait s’approcher et s’éloigner par vagues.
Il baignait dans une matière à la fois solide et gazeuse et puis il senti ses yeux se mettre à couler.
Dans le bas de son ventre, il senti une petite boule se former puis grandir, prendre corps, devenir solide, mature.
La petite boule devenait une graine.
Elle se réveilla arrosé de larmes et la petite pellicule qui l’enveloppait se fendit.
Un petit germe apparu et s’enfonça vers la terre.
Il se divisait et envoyait ses radicules dans les jambes de Jef pour se planter dans le sol.
Ensuite les racines de la plante envahirent tout le corps de Jef.
Un cri prenait naissance, un cri des premiers jours, des premières minutes de la vie, un cri libérateur, de ceux qui brisent les liens de l’être et ouvrent les portes du devenir.
Inconscient et incapable de maitriser son corps, Jef s’abandonnait à l’émotion qui s’installait dans son être.
Il était l’humus de ce trouble dont les racines invisibles le transperçaient, s’installaient.
La plante posait ses pivots au plus loin qu’elle pouvait et puis, une fois qu’elle c’était assurée une bonne fondation, elle émergeât à la lumière par la bouche de Jef en deux petits cotylédons de soupirs puis elle grandit, envoya ses feuilles, sa tige, se créa, se développa dans le corps de Jef et dans l’espace laissé libre à se tristesse.
Au sommet de son cri de désespoir, le bouton explosa faisant naitre la plus belle et la plus misérable des fleurs dont chaque pétales porte un nom, colère, frustration, mensonge, trahison, dégoût de soi et des autres, abandon, regret, culpabilité, remord et rancœur.
Arrosée par les larmes de Jef, elle crut, sema quelques larmes dans ceux qui étaient autour de lui, fana et mourut.
Jef sombra dans le bain vaporeux de l’alcool et de l’épuisement physique.
Chapitre 16 - Sa pitre chaise
- Bicarbonate de soude et aspirine sans glace !
Jef ouvrit les yeux encore tous collés de larmes et devant lui, un verre gazeux lui parlait.
- Bois ! dit le verre avec un accent du sud.
Jef l’attrapa et le but.
Le goût piquant-salé et les bulles de la boisson le remirent rapidement dans le sens de la marche.
- Comment va Jef ?
- Bien ça va.
- Sur ?
- Oui, ça va, ça va.
- Super. Une bonne douche maintenant, et un petit déjeuner de la bonne mère !
Au sortir de la douche, tout le monde était installé autour de la table, et ça sentait bon le café au lait et le pain grillé beurré.
- Je n’ai pas fait trop de bruit hier soir ?
- Aucune importance, ce qui est important c’est comment tu vas ?
- Je vais bien, très bien, je me sens tout neuf.
- Bien c’est ce qu’il faut, alors qu’est ce qu’on fait aujourd’hui ?
- Le ménage.
- Quoi ?
- Je vais faire le grand ménage, le justicier masqué qui débarrasse le monde des méchants.
- Tu vas appeler les flics ?
- Non, que non.
- Et comment tu vas faire ?
- J’ai un plan. Il faut réunir les amis du coin, je vous expliquerai.
Chapitre dit : "Ce set"
*(Une confidence, les chapitres, c’est gratuit !)
L’impasse des sinistrés était vide.
Même Élias Légi avait exceptionnellement tiré le rideau.
Paco Pérèz était toujours invisible.
A 18 heures 56, une voiture entra dans la rue, vitres teintées et fermées.
C’était Camillo Cornelli.
Son frère le suivait dans une autre voiture.
Ils se garèrent devant le numéro 14.
Quelques secondes plus tard, une autre voiture entra. C’était une luxueuse bagnole du gouvernement avec dedans, Testula accompagné de Victor.
Elle se gara au 12.
18 heures 57, deux voitures qui se suivaient se garaient devant le numéro 11.
Quinze secondes plus tard, encore une autre voiture entrait dans l’impasse.
Elle se garait devant le 13.
Il y avait deux hommes dedans.
Il y eut encore une voiture avec deux hommes qui se rangeât au 7.
Deux gros véhicules de luxe se parquèrent au niveau du numéro 6.
Il eut encore une voiture qui entra.
C’était celle des deux hommes qui avaient évacué la camionnette Mercédès avec les trois cadavres ils rangèrent leur voiture au niveau du numéro 15.
18 heures 58, Une voiture entra et se posa au numéro 3 de l’impasse des sinistrés avec deux hommes à son bord.
18 heures 58, 30 secondes il ne manquait plus que le commissaire.
18 h 59, celui-ci fit son apparition dans l’impasse.
Ça y est, tous les invités sont là, le bal va pouvoir commencer.
« Bas les masques messieurs, la fête est finie. »
Au pied de la voiture de Camillo Cornelli, un petit filtre blanc fumait sur le trottoir.
L’impasse était silencieuse même le vent avait décidé d’aller souffler ailleurs.
Sous prétexte d’un risque lié à la manipulation d’une conduite de gaz, tous les habitants avaient été évacués dans l’après midi, et conduis à Disneyland-Paris par des convois en autobus.
Les gens étaient enchantés de la générosité des services publics sans se poser plus de question que cela.
Douyoumdjian se gara devant le numéro 12.
D’un signe depuis les vitres blindées de la banque, et quatre camions de transport de fond aux carrosseries robustes qui stationnaient dans la rue, vinrent se garer tête à cul pour boucher l’accès de l’impasse.
A 19 heures 00 précise, tous les passagers sortirent de leurs véhicules.
Il fallut quelques secondes pour qu’ils se dévisagent et se reconnaissent.
Placés dans la banque, les complices observaient la scène avec intérêt sur les écrans de contrôle des cameras extérieures, ainsi que sur internet, via les webcams que Franck avait installé dans les appartements de tous les amis dont les fenêtres donnaient sur l’impasse.
D’abord il y eut un effet de surprise générale, comme un flottement, un défilé d’anges stupéfaits, puis, Camillo Cornelli se dirigeât à grand pas vers le ministre Testula qui répondit à Cornelli par une gifle.
Alberto Cornelli sorti son arme et tira sur Testula avant de se faire abattre par le passager de la voiture du 11.
Un homme au 6 tira sur une voiture du 11 qui fut rapidement transpercée de balles.
De tout cotés maintenant, les passagers et les chauffeurs se tiraient dessus.
Les deux voitures posées au 6 furent rapidement mises hors d’usage ainsi que leurs occupants par les tireurs embusqués dans les voitures garées au 3 et au 7.
Les deux passagers du trois furent abattus ainsi qu’un au 7 à première vue par le chauffeur du 12.
Les échanges de coups de feu étaient vifs entre les voitures du 11, du 15 et du 12 contre les deux véhicules du 14.
Ils vinrent rapidement à bout de ces deux derniers non sans avoir perdu les tireurs du 11 et du 15.
La bataille avait lieu maintenant entre Victor et le chauffeur du 12 contre les deux hommes du 13.
Victor étant un bon tireur, les deux hommes du commissaire furent expédiés dans un monde meilleur et quelques balles. Le chauffeur leur ouvrit la voie céleste.
L’homme du 7 sortit discrètement de sa voiture et alla se placer entre les deux voitures aux vitres brisées et aux pneus crevés garées devant le numéro 6. De là, il ajusta bien son tir en visant Victor et l’abattit. Victor mourut sans savoir d’où était venue la balle sentencieuse.
Le victorieux tireur se dirigeât vers le commissaire dont il était l’employé et ouvrit la portière de son patron. Le Libanais n’eut pas le temps de sortir de sa voiture que la bataille était commencée et finie.
Au moment ou le ripou ouvrit la portière de la Clio, l’homme s’affala sur les grosses jambes de son chef rependant un peu de matière grise sur celui-ci.
C’est Camillo Cornelli qui, malgré sa balle dans son épaule gauche, avait tiré et qui visait maintenant le gros commissaire.
Celui là sortit une arme avait, posée sur le siège passager de la Clio, et tira sur Cornelli au moment même ou il tirait sur Douyoumdjian.
Les deux balles se croisèrent dans l’espace, nul ne sait si elles eurent le temps de se saluer, puis ensemble, elles allèrent se planter dans leurs cibles respectives.
Cornelli tomba à genoux, lâcha son arme et s’effondra sur le sol.
Douyoumdjian resta assit dans son véhicule. Il était 19 heures 06.
L’ensemble des événements s’était déroulé dans un silence quasi religieux.
Seuls les « pop-pop ! » des silencieux et le son métallique des projectiles entrant en contact avec les carrosseries, avait donné un peu de crédibilité à la scène qui semblait plus un spectacle de mime qu’une rencontre ragée entre bandits.
Il n’y avait plus de mouvement dans la rue et tous sortirent de la banque.
Par terre, les trottoirs étaient couverts de morts et de sang.
Le gros commissaire semblait le seul survivant de toute la bataille. Il était quasiment immobile et seul son souffle sortait de sa bouche ainsi que des petites bulles par le trou de son poumon percé. Il avait les lèvres blanches et une grosse tache rouge envoyait une forte odeur de sang chaud dans la voiture.
Douyoumdjian regarda Jef dans les yeux. Il avait le regard trouble.
- Tu m’as .ien eut .acha !
- Je n’ai eut personne, je ne tire pas moi.
- .. as vengé .on .ère.
- J’ai vengé personne vous êtes tous les même.
- C’es. Moi … .’ai buté .. .oulais sa place .. .e l’ai et. C’est .oi le chef i.i .’est .oi le dernier .’ai .agné !
- T’as rien gagné cochon, vous avez tous perdu.
- .on j’ai .agné, .’est .oi .e .atron .aintenant !
Puis il perdit connaissance.
Dans la journée, le banquier et le complice s’étaient démenés pour nettoyer les comptes de Cornelli.
L’architecte et l’entrepreneur avaient combiné avec des copains à eux pour les propriétés et les chantiers en cours.
Monsieur Légi avait fait en sorte que les entreprises gèrent les stocks et la clientèle le temps que les nouvelles équipes dirigeantes s’installent aux responsabilités.
Les quatorze hommes de l’impasse chargèrent rapidement les corps (après les avoir empaquetés dans des sacs conçus par Antoinette et monsieur Benbouhot) dans un fourgon blindé qui, quelques minutes plus tard, déchargeât sa marchandise dans les fondations d’un immeuble en cours de construction sous la responsabilité de l’entrepreneur.
Des dépanneuses franchirent le mur de fourgons blindés et chargèrent leurs plateformes.
L’assureur qui s’était chargé de trouver les plateaux arrosa généreusement les chauffeurs pour qu’ils ne posent pas de questions.
Robert Sleig, qui avait eut une liaison d’amour filmée avec le patron d’une casse, n’eut pas de mal pour le convaincre de récupérer ce qu’il voulait rapidement, puis de transformer tout cela en cubes parfaits.
A 20 heures 00, l’impasse était déserte.
De rares chiens errants reniflaient ou léchaient le goudron avec délectation.
A Disneyland Paris, la parade des personnages battait son plein au pied du château de la belle au bois dormant.
A 22 heures 00, au Lido, une bande de seize compagnons attablés riaient et blaguaient plus fort que tout le monde.
Il y avait l’homme qui bientôt sera le propriétaire d’une chaine de salon de coiffure pour homme uniquement, un assureur prévoyant en qui on pouvait mettre toute sa confiance, le directeur général d’une banque privée et son bras droit, le responsable des communications du groupe, un futur pilote de rallye sur voitures de collection uniquement, monsieur « nourrisseur du monde », l’entrepreneur des grands travaux, L’architecte avant-gardiste, le tailleur diamantaire, les futurs restaurateurs étoilés, les bientôt torréfacteurs marseillais, le docteur éthylophile et le détective privé.
Tous levèrent la main à la question qui avait fait rire tout le monde.
Quelle bonne idée de rebaptiser la rue des sinistrés !
Quant à monsieur Pérèz, il avait disparu.
Quelques jours plus tard, dans une cave fermée de l’immeuble, l’homme du syndic, trouvera quatre congélateurs de mille litres, remplis du corps de quelques habitants de la rue et des anciens locataires du numéro 12 de l’impasse des sinistrés dont : Monsieur Solas, madame Ledu et son Lhassa-apso ainsi que le corps d’un homme à la cuisse déchiquetée dont il manquait les oreilles et la q…
Mais ça, c’est une autre histoire.
Fin.
Version dactylographiée
Le 25/07/2011 à Vittoria (Pays Basque - Espagne)